Entrer dans une démarche d’anticipation pour une entreprise
n’est pas sans risque. Dans un environnement social, politique et
économique en constante évolution et de plus en plus complexe,
cela conduit généralement à une remise en cause des modèles
d’analyse sur lesquels l’entreprise a fondé son développement. Ce
n’est jamais très facile de se remettre en cause. Mais c’est une
nécessité pour qui veut survivre et croître. En tout cas, la
démarche d’anticipation illustre une volonté de ne pas subir.
Alors lançons-nous ! Que disent les oracles ? Que nous réserve
l’avenir ? Avant de partir vers cette conquête de l’avenir, il
faut d’abord répondre à deux interrogations essentielles : quelles
est la question et de quel avenir parle-t-on ? En effet,
l’approche et les moyens ne seront pas les mêmes s’il s’agit de
déterminer la réaction d’un concurrent au lendemain du lancement
d’un nouveau produit ou bien de savoir ce qui mobilisera l’opinion
publique dans 5 ans.
L’enjeu de la méthodologie est déterminé par la projection
temporelle souhaitée : court terme (de quelques heures à 1 an),
moyen terme (de 1 an à 4 ans) et long terme (au-delà de 5 ans).
Les usages, en sciences économiques par exemple, proposent des
durées plus étendues. Les plages proposées ici nous apparaissent
pertinentes dans le cadre d’un pays occidental comme la France
suivant ses rythmes politiques, ses évolutions de consommation et
les pratiques d’amortissement, d’investissement et de financement
des entreprises. Précisons également qu’au sein même des
différentes plages temporelles, il peut être utile d’introduire
des sous-catégories suivant la problématique. Ainsi, en situation
de crise, la projection anticipative opérationnelle peut être
l’heure ou la journée*. À l’inverse, sur des enjeux
environnementaux, la perspective d’anticipation peut être de 25,
50 ou 100 ans.
Court terme et long terme : des méthodologies
opérationnelles
Dans l’introduction de leur article « Ten trends to watch
in 2006 (Financial Times, 13/01/06), Ian Davis et Elizabeth
Stephenson (McKinsey), indiquent que : « Predicting short-term
changes or shocks is often a fool’s errand. But forecasting long-term
directionnal change is possible by identifying trends through an
analysis of deep history rather than of the shallow past ». Cette
posture semble un peu radicale. En effet, les apports de la
théorie des jeux et des systèmes de modélisation des
comportements, couplés à une solide expérience des phénomènes
socio-économiques peuvent permettre d’anticiper avec un certain
degré de certitude ce que seront la plupart des phénomènes à court
terme. Concernant les éléments économiques, même s’ils sont
régulièrement critiqués, les indicateurs conjoncturels de l’INSEE
restent des références. Concernant les enjeux d’opinion, Nicolas
Narcisse, TBWA Corporate, a mis au point un dispositif de
diagnostic à 3-6 mois. Celui-ci permet à une entreprise, en
croissant un agenda prévisionnel d’événements, les déterminants
structurels de l’opinion (environnement, travail, santé …) et les
caractéristiques de l’actualité prévisionnelle de l’entreprise, de
déterminer les risques et opportunités d’opinion. Et ainsi,
permettre l’élaboration d’argumentaires spécifiques ou toutes
autres actions en fonction des phénomènes anticipés. Bien
évidemment, ce dispositif est enrichissable et actualisable en
continu et devient de plus en plus pertinent que l’on se rapproche
de l’échéance cible. Ainsi, même si les résultats sont
particulièrement fragiles, car fortement dépendant d’événements
conjoncturels quasi-imprévisibles, il est possible de structurer
une mécanique d’anticipation à court terme en associant modèles
statistiques et expérience des phénomènes. Concernant le long
terme, ici aussi la méthodologie apparaît bien rôdée. L’approche
prospective, ou plutôt, les approches car il existe de multiples
techniques, permettent sur la base de phénomènes structurels
quasi-certains, notamment démographiques, de dégager des scénarios
à 5, 10 ou 20 ans. Les scénarios alternatifs sont basés sur
différentes convictions ou hypothèses par rapport à l’évolution de
variables d’ajustement. En France, les travaux de Michel Godet (CNAM)
et les rapports de l’ancien Commissariat Général au Plan
illustrent la vigueur de ces approches. Aux Etats-Unis, on relève
une certaine tradition de « futurists » dont l’un des plus
influents est Alvin Toffler.
Le moyen terme : une approche entre deux eaux
C’est certainement sur le moyen terme que les enjeux pour les
entreprises sont les plus cruciaux. Mais, c’est également là que
les approches méthodologiques restent les plus floues. On peut
cependant dégager trois principaux types de pratiques. Le premier
moyen d’éclairer l’avenir à moyen terme est tout simplement
d’écouter un gourou ou de suivre ceux qui font les tendances en
espérant, et c’est parfois le cas, que leurs anticipations seront
auto réalisantes. C’est le cas des cabinets de tendances qui
déterminent les couleurs et les ambiances à venir. Comme tous les
acteurs de la mode et du design s’appuient sur leurs fameux «
cahiers de tendances », tous passent en même temps les mêmes
commandes de tissus et au final, on retrouve des magasins de
prêt-à-porter qui offrent tous la même vitrine. Deux approches, à
la fois complémentaires mais opposées dans la mécanique, sont
également exploitables. Il est possible tout d’abord de se baser
sur les résultats obtenus au travers de la prospective. Il s’agit
dès lors de choisir le ou les scénarios les plus en adéquation
avec les attentes de l’entreprise, puis de mettre en place un
dispositif de veille charger d’identifier les signes
avant-coureurs de la réalisation de ces scénarios. Pour les
entreprises les plus importantes, cette approche conduit au fil du
temps à valider ou invalider une vision, et à mettre en œuvre les
actions adéquates pour rétablir la tendance souhaitée. Bien
entendu, cela implique d’avoir un certain degré d’influence.
L’autre option consiste plutôt à prolonger les approches de court
terme en y intégrant des dimensions plus structurelles issues de
la sociologie et d’approches systémiques. Cette mécanique se
structure autour d’un dispositif de Vigie dont les ressorts sont
l’extrapolation et la conviction. L’extrapolation est basée sur
une capacité à questionner des tendances sociologiques,
économiques, politiques et technologiques émergentes dans le temps
: est-ce que ce phénomène va prendre de l’importance ? La
conviction, qui va permettre d’orienter, de valider ou de rejeter
l’anticipation, résulte « d’interactions tacites ». C’est-à-dire
de ces éléments non-formalisés au sein d’une entreprise qui
conduisent les salariés à partager leurs connaissances, à
dialoguer et à s’interroger ensemble. Dans sa forme la plus
simple, un dispositif de Vigie s’apparente à un groupe de travail
composé de personnes d’horizons divers qui débattent de la
pertinence et de l’intérêt d’approfondir des éléments
d’information issus d’un processus de veille. On voit bien que ces
approches ne sont pas exclusives les unes des autres. Les
fondements d’une anticipation à moyen terme pertinente résultent
d’un mix de chacune.
Pour conclure, on peut modestement rappeler que, quels que
soient les dispositifs mis en œuvre, l’enjeu principal reste la
réappropriation des perspectives identifiées par le top management
et la mise en place d’actions concrètes. Sans réalisations
opérationnelles, l’anticipation reste une satisfaction de
l’esprit.
Benoît MATHIEU, gérant d’Objectif Opinion
Objectif Opinion, au travers de l'approche du "Planning
stratégique d'opinion", propose une série de prestations
directement opérationnelles pour l'élaboration et l'accompagnement
d'une politique de communication afin de défendre, d'asseoir et de
développer l'image et la réputation d'une entreprise ou d'une
institution.
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