La communication de crise fait sa pub, Sophie Giret
Meilleur mémoire 2003
 

 

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Résumé du mémoire

"La communication de crise fait sa pub", Sophie Giret
La publicité, entre risque et opportunité, une réponse inédite à une situation de crise"
Sophie Giret, lauréate du Prix 2003 du meilleur mémoire en communication de crise.
 

Sophie Giret est titulaire d’un Master Communication des Entreprises et Organisations Internationales (C.E.L.S.A.)

Publicité et communication de crise, voilà a priori deux champs de la communication qui n’ont pas grand chose à se dire. Cherchez donc un ouvrage qui traite de cette relation singulière : 5 lignes ici, 1 page ailleurs, de bien maigres références. Il est évident que la communication de crise n’est pas de la publicité et qu’elle s’appuie traditionnellement sur des vecteurs de communication hors-média, depuis les relations presse jusqu’à la communication interne, interpersonnelle et locale. Le dispositif hors-média est davantage à même de servir les exigences d’interactivité, de proximité, d’empathie et de transparence de la communication de crise.

Pourtant, afin de porter et d’apporter un nouveau regard sur la communication de crise, notre étude ne concerne pas directement ces vecteurs hors-media, mais comme son titre l’indique, la publicité. Cette publicité de crise est atypique dans la mesure où elle véhicule un message relatif à une situation le plus souvent désavantageuse, loin des registres et de l’imaginaire publicitaire traditionnels. Elle est traitée sur le mode du factuel, du réel et non du vraisemblable. Ainsi, dès organisations aussi variées que Mercedes (suite au renversement très médiatisé de la classe A, que la CGT et le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (durant la controverse des retraites au printemps 2003), ou bien qu’Air France (suite à une grève), ont émis une publicité pour expliciter leur vision de la crise et pour reconquérir des citoyens-consommateurs méfiants. A la lumière de l’utilisation croissante de la publicité comme outil de communication de crise, nous avons tenu à isoler cette application publicitaire singulière en posant une problématique à même d’en cerner les enjeux, les risques et les opportunités : Compte tenu des spécificités de la communication de crise, la technique publicitaire est-elle transposable à ce domaine sensible de la communication et en quoi cet achat d’espace peut être une réponse pertinente et adéquate à une situation de crise ?

Entreprise, gouvernement ou association, toute organisation peut avoir à faire face à une crise compromettant sa pérennité. Pour s’en prémunir, elle doit avant tout être pro-active et responsable dans la conduite de sa stratégie économique et financière, sociale et sociétale, mais aussi de communication. Le vecteur publicitaire de la communication de crise, qui s’insère elle-même dans le plan global de communication corporate, semble peu utilisé comparativement aux supports hors-média qui confèrent une plus grande crédibilité au message. Pourtant, si la publicité ne se suffit jamais à elle même en temps de crise, elle peut parfois offrir un complément ou une alternative aux limites des supports hors-média :

-Cette publicité, aussi appelée recovery ou advocacy advertising dans les pays anglo-saxons, permet bien sûr de toucher une plus large audience et donc de s’adresser symboliquement au grand public, dont la capacité de jugement et d’action en temps de crise ne cesse de croître.

-Tout en renforçant et en accélérant les effets du dispositif hors-média, elle permet surtout de contrôler le message en s’adressant sans intermédiaire à l’opinion générale. Les journalistes ne sont pas toujours des co-émetteurs et n’ont pas pour fonction de faire passer le message de l’entreprise dans son intégrité, avec la rapidité et la forme voulues. De plus, en crise, le risque accru de rumeurs, la montée en puissance des adversaires et des sources d’information aux intérêts contradictoires, génèrent un besoin de clarté et de certitude auquel la publicité peut répondre. Elle redonne à l’entreprise en crise un droit de réponse direct ou une part de voix, soit perdue, soit insuffisante, dans le débat médiatique qui se joue.

-Enfin, elle contribue à considérer et à répondre directement aux attentes légitimes du citoyen-consommateur, qui est en temps de crise bien plus demandeur d’information et de communication, notamment dans les crises alimentaires comme l’illustre le titre de la publicité de crise Paul Prédault, « Nous vous devons des explications, » et dont le ton rompt avec la trop fréquente langue de bois publicitaire.

Toutefois, l’utilisation de la publicité de crise reste limitée comparée au nombre de crises. Malgré ses potentialités, pourquoi certaines, voire la majorité, des organisations en crise, n’optent t-elles pas pour ce support ? Alors que le contexte de crise exige humilité, transparence, crédibilité et interactivité, la publicité est un procédé mass-média, par nature peu mesuré, peu crédible et unidirectionnel. En crise plus que jamais, le choix de l’émetteur influe sur la crédibilité du message. La crédibilité la plus faible est accordée au communicant pour sa vocation à façonner le message, notamment lorsqu’il s’agit de messages publicitaires. Ce déficit de crédibilité et d’interactivité, ajouté à la suspicion ambiante et à la crise de légitimité généralisée de la publicité, rendent périlleuse et parfois illégitime ou inappropriée son utilisation en crise. Ainsi, le gel des publicités, qui évite une exposition inutile de la marque, est souvent l’unique opération publicitaire à recommander durant la phase aiguë de la crise, où il est d’abord préférable d’établir une communication par la preuve, en se rendant sur les lieux et en communiquant via et vers les médias, les élus et les victimes.

Nous constatons, en plus de détournements publicitaires, que bien des publicités émises en réponse à une crise ont fait l’objet de critiques acerbes : Celle de Total suite à la catastrophe de l’Erika, accusé de nettoyer son image plutôt que les plages ; celle du cabinet Arthur Andersen qui en plein scandale financier a acheté de pleines pages publicitaires dans plus de 40 publications aux Etats-Unis et qui font pâle figure d’auto-justification. Concernant la crise Enron, nous adhérons à la position de Patrick Lagadec, directeur de recherche à l’Ecole Polytechnique : « au-delà de la publicité, les marques doivent trouver de nouvelles façons d’aborder les enjeux sociaux, le plus en amont possible et en associant les citoyens ». Il convient de faire la différence entre émettre une publicité légitime car susceptible de répondre aux attentes des récepteurs et émettre un message publicitaire pour faire valoir coûte que coûte ce que l’entreprise a à dire, quelle que soit sa légitimité.

La campagne publicitaire de Bull alors en crise financière illustre l’ambiguïté de l’utilisation de la publicité en crise : « C’est le pire moment pour faire de la publicité, c’est pourquoi nous en faisons. » « Ce n’est pas en courbant le dos qu’on redresse la tête. » En effet, nombreux des professionnels que nous avons rencontrés insistent sur la primauté du dispositif de communication hors-média mais attestent du potentiel d’une publicité de crise intelligente. La publicité, outil principal de mise en forme de l’image voulue, a logiquement une responsabilité dans le travail d’image notamment en sortie de crise. Ne pas l’envisager au sein d’un plan de communication de crise, peut revenir à se priver d’un outil de gestion de crise et d’image. Tout en s’assurant d’abord de la rigueur du dispositif hors-média, comment alors savoir utiliser la publicité de crise, en évitant les risques et les travers auxquels elle expose ?

-Il convient d’abord de s’interroger sur l’organisation et le type de crise qu’elle subit, son secteur, sa renommée et sa relation au grand public. Les marques qui s’expriment habituellement via la publicité auront plus de légitimité et de crédibilité à utiliser la publicité de crise. Ainsi, les crises produit, notamment grande consommation, nous semble particulièrement appropriées au recours publicitaire. Le secteur alimentaire en est l’illustration la plus pertinente : Deux tiers des personnes interrogées pensent spontanément à l’univers alimentaire quand on parle de problèmes liés à la qualité. De plus, la pertinence de la publicité pour une crise alimentaire s’explique par la culture publicitaire du segment agroalimentaire. La publicité, support de communication grand public, est le vecteur le plus naturel pour les secteurs et les produits grande consommation. Dès lors, le maintien du mode publicitaire lors de ce type de crise est plus pertinent et légitime que pour des secteurs ou des entreprises moins enclins à utiliser la publicité et moins connus du grand public.

- Du positionnement de l’entreprise et de la marque dépendra aussi la pertinence d’une réponse publicitaire à la crise : Par exemple, si au yeux du public une marque automobile est perçue comme la référence en matière de sécurité et qu’elle fait face à une crise remettant en question cette promesse, la dissonance est telle que le recours à une communication publicitaire vers le plus grand nombre se justifie.

-La donne médiatique et publique conditionne également le degré de pertinence et d’efficacité de la publicité de crise. Disposer du capital sympathie ou du soutien d’au moins une frange de l’opinion implique un message publicitaire différent de celui d’une organisation unanimement décriée. Savoir quelles thématiques sont abordées par les médias et les acteurs clés du débat conditionne également le contenu des messages et le degré de nécessité d’une publicité en réponse à la crise. Dans tous les cas, il faut éviter que cette-ci ne soit perçue, à juste titre ou non, comme accusatrice car, si l’entrepris n’a pas une totale légitimité à porter cette accusation, elle sera d’autant plus critiquée par le public, les relais et leaders d’opinion.

 Enfin, en termes de conception visuelle et rédactionnelle, ces publicités ne ressemblent pas à l’image que nous nous faisons traditionnellement de la publicité. En effet, pour servir les objectifs et l’image d’une organisation en crise, elles doivent se différencier de la publicité classique via des codes visuels et des messages renouvelés et adéquats à la situation de crise : plus informatifs et interactifs, plus sobres et autocritiques. Ces publicités se composent ainsi de peu d’images et sont au contraire très textuelles, allant parfois jusqu’à imiter l’article journalistique. La mise en forme, sans hyperbole et souvent en noir et blanc, renforce leur caractère informatif et s’éloigne volontairement des codes publicitaires habituels. Dès lors, ces publicités ont une forte dimension institutionnelle (forte présence du logo d’entreprise et du site Internet ; engagement de la hiérarchie ; propos d’ordre plus politique, réglementaire ou social que commercial.)

Après une prise en compte des contraintes et opportunités du contexte de crise, et forte de ces nouveaux codes, la publicité de crise peut participer activement à la restauration d’image (en réaffirmant les valeurs de la marque), à la modification d’image (en cas de repositionnement stratégique lorsque les dommages sur la réputation sont irréversibles) ou au renforcement d’image (gain d’image en cas de crise transformée en succès). L’image, actif de l’entreprise, reste non pas un rempart contre les crises, mais un atout pour en sortir moins déstabilisé.

Sophie Giret

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