Depuis peu, force est de constater la fréquence de
l’utilisation du terme ‘alliance’ pour évoquer tel rapprochement
d’entreprises, telle opération politique ou telle initiative
sociale. En quelques années, ce terme - à très forte connotation
militaire, voire biblique - est devenu un lieu commun du monde des
affaires, de la stratégie en général et de l’univers politique en
particulier, du langage journalistique ainsi que de l’action
associative et citoyenne. A croire que la syntaxe guerrière a
définitivement envahi toutes les sphères de l’activité humaine et
que chaque opération en relevant puise dans ces ‘conjonctures
fluides’ propres aux crises politiques décrites par Michel DOBRY
(1) il y a une vingtaine d’années.
Cet article cherchera à montrer comment un concept difficile,
au périmètre originel très réduit, a pu autant essaimer jusqu’à
suggérer une nouvelle représentation de la complexité du jeu
social dont les conséquences pour les entreprises sont de plus en
plus lourdes. En effet, davantage aujourd’hui qu’hier, celles-là
sont contraintes de mettre en place de nouvelles formes
d’alliances avec leurs ‘parties prenantes’ afin de stabiliser le
jeu politique et social, générateur de crises, dans lequel elles
s’incèrent : le temps des alliances de positionnement stratégique
est - semble-t-il - venu, dernière génération d’un phénomène
économique apparu il y a bien longtemps. De fait, l’objectif de
cette réflexion n’est pas de traiter des alliances financières,
des rachats d’entreprises et autres coopérations inter marques
mais de comprendre, sur la base d’un bref rappel historique des
pratiques en la matière, comment les entreprises sont de plus en
plus tributaires des liens qu’elles créent – ou ne créent pas -
avec leur environnement et leurs réseaux, en particulier en
période de ‘turbulences’.
C’est donc à partir de l’examen rapide du passé que les auteurs
entendent expliquer ce phénomène nouveau qui constitue,
vraisemblablement, une des réponses aux crises d’entreprises, en
particulier celles affectant leur image ou leur réputation. Ainsi,
après avoir caractérisé le contexte qui légitime le concept même
d’alliance de positionnement stratégique (I), ils s’attacheront à
dégager les principales règles qui commandent à sa pérennité ainsi
qu’à son utilité dans un contexte de crise (II) et exposeront ses
principales caractéristiques comme les différentes mécaniques
auxquelles il obéit, sur la base de multiples exemples concrets
tirés de l’actualité économique et sociale la plus récente (III).
I - Les différents Temps de l’alliance
Fondations - Depuis les premiers économistes néoclassiques (2),
l’inspiration des modèles de concurrence ou des stratégies
militaires dont se nourrissaient nombre d’analyses était
symptomatique d’une certaine vision de l’affrontement : celui-ci
était considéré comme inhérent aux affaires, excluant toute
alliance du champ concurrentiel. Pourtant, le rationalisme
appliqué aux sciences de la gestion permit progressivement
d’envisager l’alliance comme une option stratégique, même si elle
était considérée comme atypique dans un univers concurrentiel.
Sur le terrain anthropologique, cette fois-ci, la théorie de
l'alliance constitua le fondement du structuralisme en
anthropologie qui orienta la majeure partie des travaux
ethnologiques français jusque dans les années 1980. En effet, si
ce courant de pensée fut initié dans le champ de la linguistique
en 1916, c'est Claude Lévi-Strauss qui l'a remis au goût du jour
dans les années 1950 (3). Dès lors, une grande partie du champ
scientifique français fut portée par son essor jusque dans les
années 1980. Ni la psychologie, ni la philosophie n'ont pu
échapper à sa puissante influence, s’agissant d’une nouvelle forme
de communication entre individus et groupes sociaux dont l'objet
est justement l'étude des relations entre individus, briques
élémentaires de ce qu'on appelle la société. Ce qui suffit en soi
à expliquer sa diffusion rapide vers d’autres terrains
d’expertise, en particulier celui du management d’entreprise, puis
bien au-delà comme évoqué plus loin.
1er temps : Avant les années 80, l’alliance stratégique
s’inscrivait dans une approche d’absorption et de maximisation des
profits et ne se limitait donc pas à une démarche de réduction des
coûts. La coopération industrielle était aussi une forme de
croissance externe, se substituant aux relations d’échanges sur un
marché, une participation concertée à une activité commune
productrice de valeur susceptible de modifier les règles du jeu
concurrentiel par la création de ‘zones de stabilité’. Cette
option stratégique permettait alors à des entreprises en situation
de dépendance mutuelle de ressources de bénéficier de
complémentarités tout en conservant l’autonomie de la décision
concurrentielle.
Toutefois, les années 80 marquent une évolution évidente dans
l’idée de rachat car plus qu’une unité de production, une
technologie, un savoir-faire, c’est dorénavant une marque que l’on
acquiert, c'est-à-dire un symbole, une image, une personnalité, et
tout un potentiel client attaché à celle-ci. Les deux décennies
suivantes confirmeront cet élan vers les marques, jusqu’à
développer des réactions anti-marques (4).
2nd temps : Les alliances ont considérablement évolué et se
sont beaucoup assouplies ces dernières années. Ainsi, plutôt que
de se faire concurrence les unes aux autres sur l'activité
concernée, de fusionner entre elles ou de procéder à des cessions
ou acquisitions d'activités, la caractéristique fondamentale des
alliances réside dans la pérennité d'une certaine concurrence, au
moins potentielle, entre des entreprises ayant affirmé leur
volonté de coopérer et de mener à bien un projet ou une activité
spécifique en coordonnant les compétences, moyens et ressources
utiles. C'est un état intermédiaire entre la concurrence ouverte
du marché et le rapprochement définitif : les alliances sont
stratégiques.
Les entreprises peuvent aussi choisir une alliance qui ne porte
que sur de simples échanges commerciaux ou sur un accord de
concession réciproque de licences, ou encore établir un
partenariat plus complexe à partir d'ententes de coopératives
industrielles ou de coentreprises avec capital-actions. De même,
les alliances peuvent être complémentaires (ouvrir un produit à de
nouveaux marchés stratégiques), d'intégration conjointe avec des
accords limités à la R&D ou la production, ou bien encore
additives (en couvrant toute la chaîne de valeur) (5). L’une des
illustrations de cette pratique réside dans la formation d’une
alliance entre marques, outil stratégique ‘marketing’ utilisé par
de nombreuses entreprises pour atteindre un certain niveau de
développement (co-marquage) et qui se fonde sur une coopération
dans la conception du produit au plan fonctionnel ou symbolique,
et sur la co-signature du produit par les marques partenaires.
Ainsi, on peut distinguer trois principaux types d’alliances entre
marques : le co-développement de produit, des formes de co-communication
et le co-branding (6).
Les alliances inter firmes contribueraient aujourd’hui à plus
de 20% des recettes des plus grandes entreprises mondiales (6
bis). En France, une enquête menée en 2003 faisait ressortir que
les ¾ des entreprises de vingt personnes et plus de l’industrie
manufacturière entretenaient au moins une relation de coopération
avec d’autres sociétés. Concernant donc à ce jour de très
nombreuses entreprises, et souffrant paradoxalement d’un manque de
littérature spécialisée, les alliances sont devenues en peu de
temps un objet central de la fonction ‘management stratégique’,
perdant progressivement de leur caractère exceptionnel pour entrer
dans le champ de la coopération et devenir, ainsi, une nouvelle
‘norme organisationnelle’ (7).
Aujourd’hui : Nous entrons depuis peu dans le temps des liens
et des réseaux, élargissant encore plus le champ des alliances. De
nouvelles représentations de l’univers stratégique et des
structures émergent.
- Quotidiennement, de nouvelles formes de revendications
sociales voient le jour et interpellent l’opinion directement en
court-circuitant les relais traditionnels de communication …
Certes, la mobilisation ‘citoyenne’ existe depuis longtemps en
France, la lutte contre l’extension des terrains militaires du
Larzac ayant permis la naissance d’une génération de leaders
syndicaux et associatifs dans les années 70 (8) et ouvert la voie
à une contestation élargie au nucléaire civil et aux risques
industriels et technologiques majeurs (9).
Toutefois, l’accélération actuelle de la réactivité des
mouvements associatifs et leur capacité à mobiliser pèsent de plus
en plus sur la fiabilité à court et moyen terme des entreprises.
En effet, des collectifs d’associations très rapidement constitués
via la toile n’hésitent plus à interpeller les pouvoirs pour
obtenir gain de cause, si besoin est en passant par le tribunal de
l’opinion au travers de plate formes communes offensives
susceptibles de déclencher, par exemple, des opérations de boycott
en réseaux (10 et 11). Certains chercheurs parlent même de
mobilisations globales rendues possibles par les TIC ou de
l’émergence de phénomènes d’e-participation / e-solidarité. La
multitude d’outils développés sur le web facilite, il est vrai,
ces rapprochements ‘spontanés’ et ces synergies ‘glocales’ :
forums, blogs, marketing viral, « moblog », photo-reportages,
cyberactivisme ... (12)
- Côté Entrepreneurs, on est d’ores et déjà passé de
l’entreprise ‘château’ à l’entreprise ‘réseau’, à la recherche
d’une image et de perceptions positives afin d'influencer
favorablement son environnement élargi, c’est à dire les parties
prenantes. Le positionnement est donc devenu un choix stratégique
global en matière d’offre et d’identité dans le but de fonder en
continu de nouvelles relations avec un environnement mouvant ainsi
qu’avec l’opinion publique.
Ainsi, l’identité corporate d’une entreprise cherche à faire
évoluer constamment les rapports avec l'opinion en faisant de la
réputation un ‘par choc’ efficace contre le risque d’opinion
puisqu’elle met en scène ce que l'entreprise apporte à ses clients
et, plus largement, à la société. Au cœur de ce dispositif se
trouve le ‘relationnel corporate’ qui vise à instaurer des modes
d'échanges réguliers et d'égal à égal avec différents publics
(13). Ces relations génèrent donc l’édification de nouveaux liens
(les liens que j’établis grâce à la posture que j’adopte), plus ou
moins proches selon le niveau d’interface de l’entreprise avec une
société qui la rend particulièrement perméable aux enjeux de
santé, d’éthique, de développement durable, de droits de l’homme …
On parle alors de prise en compte des parties prenantes en
considérant toute composante du corps social comme acteur du débat
citoyen, avec lequel il faudra compter, quitte à passer de
nouveaux compromis par tous acceptables. C’est alors la posture
adoptée par l’entreprise qui devient la clé des liens qu’elle
établit, le pilotage des différents publics devenant une matrice
fondamentale de la communication d’entreprise (13 bis, 13 ter).
II - Passer du réseau à l’alliance de positionnement
stratégique
Dans ce nouveau paysage ‘multipolaire’, le pouvoir n’est plus
aussi aisément localisable qu’auparavant, ses lieux étant
désormais divers et évolutifs, géographiquement difractés et
territorialement dispersés. Les parties prenantes en sont elles
aussi dépositaires, ce qui oblige l’entreprise à imaginer de
nouvelles alliances pour y faire face : celles-ci ont pour tâche,
non plus de gagner contre les autres, mais de gagner avec eux,
même si les alliés se confronteront inévitablement aux acteurs
extérieurs. De fait, à plusieurs, on est plus fort …
- De l’identité de l’alliance de positionnement stratégique :
L’objectif des partenaires est de construire un référentiel
commun, produit d’une symbiose entre valeurs convergentes
partagées par des grappes d’acteurs extérieurs, qui leur donne
l’opportunité d’agir en acteurs responsables aux yeux de l’opinion
publique et de leurs parties prenantes.
A la base de cet accord se trouve l’intention, formalisée sous
la forme d’un projet qui se doit d’être le plus précis possible si
l’on veut qu’il serve à structurer les relations entre
cocontractants. Par exemple, de manière structurelle - et non plus
seulement conjoncturelle , plusieurs organisations peuvent décider
de travailler sur un projet en prise directe avec des enjeux de
développement durable, de responsabilité sociale d’entreprise,
d’éthique … Stratégique, cette alliance est un rapport de forces
mais aussi de négociation dynamique qui s’articule autour d’une
intention, d’un projet, d’une relation et d’un contrat :
l’intention est donc fondatrice du reste, de la clarté de la
stratégie retenue jusqu’à sa gestion quotidienne.
Surtout, elle permet à l’entreprise de nouer des liens
structurels avec des acteurs divers et variés en combinant
apprentissage et vigie stratégiques, l’objectif ultime étant de
pérenniser les activités de l’entreprise à partir de nouveaux
liens passés soit avec les parties prenantes, acteurs d’une
opinion publique existante / à venir, soit autour d’un cœur
identitaire fort d’engagements et de valeurs signifiants pour les
contractants comme pour l’opinion. En générant ainsi du sens, les
partenaires peuvent alors survivre dans un système de négociation
politique rendu d’autant plus complexe que les enjeux éthiques
globaux et la responsabilité sociale redessinent de nouvelles
lignes d’horizon (14 et 15). Elle constitue donc une combinaison
située à la croisée des développements interne et externe et
propose un nouveau type de management culturel, comportemental et
identitaire.
- Du réseau à l’alliance : il s’agit donc de passer de
relations simples avec les parties prenantes à un maillage tissé
d’alliances, formalisées et durables. Ceci nécessite un certain
nombre de conditions préalables pour garantir leur instauration et
leur pérennité.
Il faut que les systèmes de prise de décision entre
partenaires, leurs comportements, leur éthique et leurs valeurs ne
soient pas opposés. D’autres éléments sont à réunir : la volonté
forte de travailler en commun (choix des partenaires, relationnel
historique …) ; un projet commun se construisant d’abord à partir
de la définition d’un vrai projet stratégique, fruit d’une analyse
d’un secteur (activités concernées, zones couvertes, objectifs …)
; un système relationnel, c’est à dire l’élaboration d’une charte
qui édicte le rôle de chacun dans le cadre d’un cahier des charges
évolutif mais clair ; enfin, un contrat qui inscrit l’alliance de
positionnement stratégique dans la durée (5).
La difficulté majeure tient à la longévité de l’alliance, tant
celle-ci peut créer des frottements entre partenaires. C’est le
prix à payer pour s’adapter aux contraintes et aux évolutions de
l’environnement ainsi qu’à celles de ses propres parties
prenantes. Ne durent alors que les alliances de positionnement qui
évoluent en restant en phase avec leur environnement, externe et
interne. De fait, il s’agit là du plus difficile, tant une
alliance peut demander un partage, en particulier d’identité. La
réussite d’une alliance passe donc par ce saut culturel et
comportemental (5).
- De l’intérêt de l’alliance de positionnement stratégique dans
la gestion de crise : Bien plus qu’une recherche de positionnement
dans l’instant, l’alliance fonde les actes de l’entreprise en
accord avec son environnement, également par souci de prévention
des périodes de turbulences. Dans un monde structuré par les
réseaux et les interactions, elle est une façon moderne et
efficace d’exercer le pouvoir en le partageant, l’objectif 1er
étant de s’incérer dans un ‘jeu’ donné, voir de peser sur lui en
prévenant ses spasmes. En cela, elle est une réponse appropriée
aux mutations en cours car elle fait en sorte que le pouvoir
n’échappe définitivement à l’organisation.
De plus, elle permet de rebondir en introduisant dans la boucle
de réponse les partenaires et alliés qui participeront de près à
la gestion d’une crise contre ceux qui l’instrumentaliseront (16
et 17). Car l’entreprise navigue dans un monde ‘chaotique’ dans
lequel les relations qu’elle créé avec son écologie naturelle
doivent lui tenir lieu d’espaces de ‘stabilité’, de ‘zones
d’absorption des chocs’ construits sur des maillages souples
pré-connectés, activables en tous temps ; et surtout en cas de
crise, où il ne s’agit plus de rassurer les parties prenantes mais
de les rendre partenaires d’un engagement responsable et créatif
en faisant preuve d’exemplarité et d’engagement personnel au plus
haut niveau.
De même, l’alliance de positionnement stratégique est aussi
comme un organisme vivant qui évolue et se transforme en continu,
suscite donc des frottements, naviguant entre ordre et désordre
mais obligeant ses cocontractants à imaginer d’autres ‘Possibles’.
De fait, il faut accepter, pour qu’elle soit durable, qu’elle
génère du désordre ‘créatif’, né de déséquilibres, parfois de
crises, voire de conflits, pourvu qu’il soit correctement
appréhendé et géré : l’admettre oblige les acteurs à la
négociation permanente car plus l’entreprise appréhende ces
problèmes, plus elle aura de chances d’éviter la seconde forme du
désordre qu’est la crise, puis le conflit et enfin la catastrophe,
au sens de René THOM (22). Ce positionnement crée l’action,
génératrice de risques mais aussi de gains rendus possibles par
une écoute renouvelée de toutes les parties prenantes, y compris
l’opinion.
Véritable poumon du concept même de développement durable, cet
‘art du lien renforcé’ peut ainsi contribuer à développer, loin
des origines martiales du concept d’alliance, les capacités de
veille stratégique et d’écoute attentive des publics de la part
des entreprises, tant ceux-ci deviennent un paramètre récurrent
d’une bonne gouvernance (18) ; à développer de nouvelles capacités
d’apprentissage, en particulier en situation tendue ; et à mieux
conduire, au travers du risque d’opinion, le pilotage des modes
relationnels des organisations vers leurs publics afin d’éviter le
tribunal de l’opinion (10). Au final, parce qu’elle tisse du lien,
l’alliance de positionnement stratégique permet à chacun de créer
des repères, mobilisables en ‘situation de croisière’ ou par gros
temps, en faisant le pari de la confiance.
Ainsi, elle a vocation à peser sur un environnement
contraignant, voire dégradé, à rendre possible un projet sensible,
à impacter une image corporate / réputation mise en doute, à
concilier – voire réconcilier - des parties prenantes en conflit
sous conditions, à attaquer ou à se défendre, à prévenir une crise
d’opinion …
III - Petit lexique des alliances de positionnement
stratégique
De nouveaux systèmes d’alliance apparaissent donc, structurés
autour de nouvelles représentations des enjeux sociaux que sont
l’adhésion, la coalition, la concertation et la médiation. Chaque
mode génère ses propres logiques, mais obéit à une mécanique
d’ensemble que le schéma suivant tend à simplifier, l’axe
horizontal (attitude défensive ou offensive) complétant l’axe
vertical (prévention ou médiation / cicatrisation).
a) La stratégie de l’adhésion : l’alliance est avant tout un
processus d’adhésion à un projet, à une idée, à des valeurs … dont
la finalité demeure en général de susciter un consentement.
L’adhésion ne se nourrit pas de l’opposition Défense / Attaque.
Autrement dit, l’alliance reste du registre du volontariat
symbolique du temps de paix puisqu’il s’agit de recueillir
l’assentiment, la négociation restant circonscrite à un périmètre
restreint.
Malgré la richesse lexicale qui la révèle, cette catégorie
d’alliance n’est pas forcément la plus intéressante au plan de
l’étude, compte tenu de la mécanique de l’accord élémentaire
qu’elle exige des parties prenantes. Elle ne constitue pas non
plus la catégorie stratégique la plus utilisée. De nombreux termes
proches pourraient lui correspondre : approbation, agrément,
volontariat, mise en commun, mutualisation, partage, coopération,
partenariat, convergence d’intérêt, consentement, assentiment,
acceptation, ralliement, accord, rassemblement, association.
b) La stratégie de la coalition : à l’opposé, l’alliance se dit
aussi du regroupement de certaines forces en vue de mener une
action commune, généralement assez forte et tournée vers la
défense ou l’attaque, l’initiative, la prise de contrôle. C’est
pourquoi l’analogie avec l’univers militaire est ici prégnante.
L’alliance devient un bouclier ou un outil au service d’une cause
/ ambition pour laquelle plusieurs acteurs agissent en commun …
Les termes voisins seraient : pacte, ligue, union, mobilisation,
front, phalange, bloc, offensive, entente …
L’actualité 2006 révèle de très nombreux exemples en l’espèce :
en mars 2006, lancement de ‘Alliance pour la planète’ par les
principales associations et collectifs d’associations liés à
l’écologie avec pour objectif d’interpeller les candidats aux
élections présidentielles de 2007 ; actions menées en commun pour
défendre des valeurs, en général liées à l’environnement (‘Appel
pour un moratoire sur les projets autoroutiers’, juin) ainsi qu‘à
des enjeux de santé publique (‘Alliance contre le Tabac’) ;
logiques de politique concurrentielle (association Maaf / Fruit
d'Or et AGF / Danacol, avril), de positionnement (‘Alliance
S’Miles’, septembre) et de ‘réputation corporate’ (campagne ‘Qui
mieux que … ?’ de 22 marques nationales de grande consommation
issues de 14 groupes industriels différents, juillet).
c) La stratégie de la concertation : l’alliance peut également
concerner un processus de concertation avec des parties prenantes
à un projet afin de s’entendre sur l’essentiel, l’intérêt étant
d’intervenir en amont d’un projet / idée pouvant générer du
conflit. Ainsi, au delà des seules obligations légales en la
matière, les processus de concertation peuvent être déployés dans
de nombreux secteurs de la vie politique, économique et sociale,
laissant la place à de nouveaux jeux d’acteurs, dans l’idéal moins
tendus parce qu’issus d’une négociation collective préalable.
L’intérêt d’un processus de concertation est d’abord de capter
et de révéler les énergies que les uns et les autres entendront
utiliser ainsi que leur niveau de perméabilité aux différentes
sollicitations qui leur seront faites sur le plan de l’information
et de la stratégie politique puis de créer une dynamique autour de
laquelle chaque partie prenante sera amenée à se positionner.
L’alliance stratégique a donc ici pour objet de prévenir
l’occurrence d’un conflit, d’asseoir la légitimité d’une idée /
projet en mettant en scène les enjeux et les procédures de la
négociation collective et de trouver des compromis sociaux
acceptables pour tous avec des acteurs (dans l’idéal non subis)
autour desquels des alliances peuvent se former. Les termes s’en
approchant pourraient être les suivants : consultation, compromis,
réunion, participation, prévention.
d) La stratégie de la médiation : l’alliance est un processus
de conciliation, intervenant après des évènements suffisamment
graves pour exiger le recours à une mission de ‘médiation’ dans
des univers ‘dégradés’. A la place de l’affrontement direct
cherchant l’anéantissement de l’autre – type coalition -, la
médiation apporte une alternative : créer un nouveau contrat
relationnel imaginé par les adversaires eux-mêmes en désamorçant
les tensions en amont ou en aval. On ne compte plus les médiateurs
: grands médias, services publics, justice de proximité, experts
en conflit comme Jacques BRUHNES dans la grève SNCM de 2006 ...
Les mots les plus proches sont : conciliation et réconciliation,
stabilisation, règlement, arbitrage, équilibre, reconstruction,
restauration, retour à la normale, réhabilitation, aide et
soutien, solution et sortie de crise, (re)nouer les fils d’un
dialogue rompu …
Mais elle peut également avoir pour objet de ‘cicatriser’ les
plaies ouvertes dans des cas de crises ouvertes : c’est la
cicatrisation où le retour à la normale devient l’objectif qui
permet de rétablir un équilibre acceptable pour tous et qui
irrigue des rapports de force à nouveau stabilisés en remaillant
des tissus économiques et sociaux déchirés. Il en est ainsi des
procédures judiciaires classiques mais aussi des juridictions
visant à réconcilier les fragments d’un pays et retisser les liens
fondamentaux après une histoire meurtrie et douloureuse
(Commission Vérité et Conciliation d’Afrique du Sud).
Conclusion : Peut-être sommes-nous en train de passer d’un
‘système’ global (19), qui maintenait jusqu’ici sa structure en
coordonnant les initiatives de ses acteurs par des mécanismes de
jeux relativement stables., à de nouvelles formes d’équilibres
sociaux, polymorphes car sachant s’adapter au rythme imposé par le
marché et plus souples parce qu’issues de multiples rouages de
régulation constituant autant d’horlogeries nouvelles … En
revanche, à coup sur, nous sommes rentrés dans l’ère de l’alliance
de positionnement stratégique ! Exister oblige en effet de passer
des alliances, celles-ci ne durant que si elles sont flexibles et
évolutives (20). Stratégie offensive ou défensive mais aussi
système d’écoute ou de règlement des conflits, l’alliance de
positionnement stratégique semble en effet pouvoir offrir une
large gamme de réponse, tant les situations qu’elle permet de
traverser restent ouvertes, en particulier en zone de turbulences.
Car plus la société devient complexe, plus elle semble générer
du frottement entre blocs d’intérêt, donc de la stratégie,
celle-ci consistant d’abord en la définition d'actions cohérentes
intervenant selon une logique séquentielle pour réaliser ou pour
atteindre un ou des objectifs. Elle se traduit ensuite en plans
d’actions, y compris éventuellement en plans alternatifs
utilisables en cas d'évènements changeant fortement la situation
(notamment en cas de crise). C’est l’avènement du stratège, placé
au cœur de nos relations sociales et politiques qui gagne d’autant
en légitimité qu’il aide à trouver de la vitesse et de la
cohérence (21, 23).
Gageons, de fait, que le principe de l’alliance de
positionnement stratégique gagne rapidement un statut culturel
fort (sous ce vocable ou sous un autre), en opposition à
l’imaginaire d’opposition / affrontement valable encore jusque
dans les années 1970 et à celui de l’intégration des années 1980 –
1990 (7). Elle pourrait alors devenir un élément déterminant de
toute démarche stratégique soucieuse de faire entrer dans la
négociation sociale, économique et politique, les parties
prenantes, certes représentatives d’intérêts multiples mais
souvent essentielles à une lecture équilibrée d’un débat d’opinion
auquel n’échappe plus aucune organisation ‘responsable’, en
particulier l’entité ‘entreprise’.
Surtout, cette montée en puissance de l’idée même d’alliance
(donc du ‘jeu politique’ – 24 et 25), placée au cœur du discours
qu’entretient la société sur elle-même, reflète la complexité
croissante de l’action collective, fut-ce au prix de changements
importants comme l’apprentissage de nouvelles formes d’initiatives
ou la rupture avec les anciennes règles du jeu. C’est pourquoi les
décideurs sont contraints de faire des choix entre des finalités
contradictoires selon une matrice générale construite - d’abord -
à partir des revendications émises par la base ; ce qui nécessite
de plus en plus de finesse dans la lecture de l’opinion publique
et des jeux d’acteurs, de leurs intérêts dynamiques comme de leurs
secousses …
Aussi s’agit-il, pour conclure, de replacer tout système
d’alliance dans un mouvement brownien produisant accélérations,
surprises et impacts comme autant d’effets immédiats de la grande
fluidité du champ économique, social et politique (26 et 27) …
Sylvianne VILLAUDIERE dirige le cabinet conseil
ALLIANTIS qu’elle a fondé en 2000 après une quinzaine d’années
d’expérience professionnelle au sein de cabinets spécialisés en
communication corporate (Bernard Krief Consultants, Tilder
Associates). Elle a enseigné au sein de nombreuses écoles et
instituts.
Contact :
alliantis@alliantis.fr
Thierry PORTAL mène des missions de conseil en
COMMUNICATIONS SENSIBLES aux fins d’EVALUATION (sensibilités et
menaces, acceptabilité d'un projet…), de PREVENTION (risques
d'opinion, d'information...), de STRATEGIE (concertation et
consultation, alliés / mobilisation et adhésion ...), et
d’ACCOMPAGNEMENT
Contact :
thierry.portal@libertysurf.fr
Bibliographie utilisée
1 - Michel DOBRY - ‘Sociologie des crises politiques’ – Presses
de Sciences Po – 1986
2 - Alain MINC ‘Les prophètes du bonheur : une histoire
personnelle de la pensée économique’ - Grasset 2004
3 - Claude LEVY STRAUSS – Thèse de doctorat ‘les structures
élémentaires de la parenté’ - 1949
4 - Naomi KLEIN ‘La tyrannie des marques’ 2000 Poche
5 - Anis BOUAYAD ‘Les alliances stratégiques : Maîtriser les
facteurs clés de succès’ 2007 Dunod
6 - MICHEL et CEGARRA – 2003 – IAE Université Paris 1 /
Panthéon Sorbonne
6 bis - Fabien BLANCHOT – Paris Dauphine CREPA / DRM – Mars
2006
7 - URBAN & VENDEMINI ‘Alliances stratégiques et coopératives
européennes’ 1994 De Boeck Universités
8 - Luc FERRY ‘Le Nouvel Ordre écologique’ – Grasset 1992
9 - Jean Louis FABIANI et Jacques THEYS ‘La Société Vulnérable’
Collectif dirigé en 1987 – Presses de l’ENS
10 - Nicolas NARCISSE ‘Issue Management : le tribunal de
l’opinion’ / OIC 2006
11 - Caroline FOUREST ‘L’entreprise face au défi de la
consommation citoyenne’ – Dunod 2005
12 - Howard RHEINGOLD ‘Foules Intelligentes : une révolution
qui commence’ – Editions M2 2005
13 - Bernard EMSELLEM ‘Le Capital Corporate’ Editions Textuel -
Sept. 2001
13 bis - Jean Pierre BEAUDOIN ‘Etre à l’écoute du risque
d’opinion’ Ed. BROCHE 2001
13 ter – Thierry PORTAL ‘Quelques perspectives pour le conseil’
O I C Novembre 2006
14 - Élisabeth LAVILLE ‘L'Entreprise verte ’. Ed. Village
Mondial. 2006
15 - CAPRON et QUAINEL LANOIZELEE ‘La R S E’ La Découverte /
Repères, 2007
16 - Patrick LAGADEC ‘Ruptures créatrices’ Editions
d'Organisation-Les Echos Editions 2000
17 - Patrick LAGADEC ‘La société française confrontée aux
risques et crises en émergence’ Déc. 2003
18 - Roland CAYROL ‘La revanche de l’opinion’ Jacob Duvernet
2007
19 - Michel CROZIER ‘L’acteur et le système’ Seuil 1977
20 - Jean-Paul CHARNAY ‘Critique de la stratégie’ • L'HERNE –
1989
21 - Paul VIRILIO ‘Vitesse et Politique’ Editions Galilé 1977
22 - René THOM ‘Paraboles et catastrophe’, Flammarion, Paris,
1983
23 – Marc ABELES ‘Politique de la survie’ 2006 Flammarion
24 - Pierre LENAIN ‘Le jeu politique’ Economica 1989
25 - Pierre FAYARD ‘Comprendre et appliquer SUN TZU’ – Dunod
2004
26 - Paul LANGEVIN ‘Sur la théorie du mouvement brownien’,
Académie des Sciences (1908)
27 - Bertrand ROBERT ‘Esquisse d’un alphabet de la surprise’
Argillos 2005
Prévenir les crises d’image et de réputation
de l’entreprise : les alliances de positionnement stratégique
Par
Sylvianne VILLAUDIERE et Thierry PORTAL
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