« Et derechef, qu’y a-t-il d’intéressant ? Ce qui jaillit
hors de prison, hors de règle et d’uniforme : la sortie. » -
Michel Serres, Rameaux.
Daniel Kaplan, délégué général de la
Fing, a développé le
concept d’ «EntreNet» qui désigne l’espace entre communication
interpersonnelle et communautaire. Cette idée ouvre d’énormes
perspectives qui débordent la sphère internet pour s’étendre aux
autres domaines de la communication, comme en sociologie.
Au commencement, il y avait les 4 points cardinaux de la
communication : communication interpersonnelle (1 à 1), la
communication de masse (1 à n), la communication
intercommunautaire (n à n) et la communication de la base vers le
haut (n à 1). Et les nostalgiques vous compteront les temps
heureux de la division entre la communication média et hors média,
ceux de la toute puissance de la presse, de la maîtrise de
l’information par les spins doctors, des voyages de presse, des
contingences, des priorités, des rendez-vous, des limites
géographiques et culturelles. Ces ensembles étaient régis par des
codes, connus de tous, que l’on pouvait théoriser, pratiquer et
maîtriser. Et puis patatras : les barbares, chers à Jean-Michel
Billaut , ont franchi le Rubicon de la communication, imposant
internet comme un média incontournable.
Qu’importe, nous allions imposer les codes de la communication
à ce nouveau canal. Celui-ci ne servira qu’à automatiser ce que
nous connaissions déjà, du « one-to-one » au « one-to-many ».
Alors nous nous sommes focalisés sur l’audience des sites web, sur
un nombre d’abonnés, sur les communautés virtuelles, utilisant les
bagages du XXe siècle pour se rassurer. Une partie de la presse -
en France, principalement et paradoxalement la presse économique
libérale engagée et donneuse de leçons -, rejette encore d’un
revers de main dédaigneux la concurrence d’internet, cri à
l’imposture et s’arque boute sur ses archaïsmes. D’autres comme le
Guardian, Les Echos ou Le Monde ont su l’utiliser, s’adapter et en
tirer profit. Mais quelque soit les modèles, les propositions, les
essais, nous sentions tous que quelque chose d’autre se tramait,
qu’un « bidule » échappait à notre analyse, que se soit l’analyse
des échecs comme des réussites. Thierry Libaert en a fait la
conclusion de son livre
Communication. La nouvelle donne « Le terme de transversalité
est certes grandement galvaudé, mais la réalité qu’il recouvre est
désormais indépassable : la communication de demain devra être
durable, interactive et globale ; la communication thématique et
balistique a vécu. » Heureuse prescience.
L’idée nouvelle est de considérer que les 4 points cardinaux
nommés ci-dessus délimitent les frontières d’un espace dans lequel
se joue la communication d’aujourd’hui. Et si cet espace ne répond
à aucune des règles rigides de la communication, il correspond à
une réalité bien plus tangible, celle de la vie, du quotidien, des
idées, des échanges. La nouveauté est qu’internet permet de
fusionner la communication avec l’espace social, celui des
réunions de quartier, des cafés philosophiques, des discussions de
comptoir, des échanges entre amis, entre clubs, entre entreprises,
entre…nous. Et si cette communication a toujours existé, internet
la met en valeur pour l’ouvrir au monde au-delà des frontières de
l’espace et du temps. Avec internet, cette communication
interstitielle concurrence par sa masse, mais aussi par sa
puissance, sa fluidité et son adaptation, tous les archétypes de
la communication contingente.
Et si cette vision de « l’entre-quelque-chose » s’appliquait à
plus de domaines que nous pourrions l’imaginer ? N’est-ce pas
dans cet espace que se jouent les cultures d’entreprise ? Les
échanges internationaux ? L’inter culturalité comme la définit
Joop Theyse-Saab , voir l’alter culturalité, fruit de ce nouveau
melting pot issu du cyberespace, si créatif et dangereux pour
l’establishment ? N’est-ce pas dans cet espace que se jouent les
crises de demain ? Les
cybercrises qui naissent hors des formats
définis par les médias de masse, pire hors des crises proposées
par la presse et prennent corps en se passant de cette dernière,
en sont déjà la preuve.
Prenons l’opinion, source de toutes les conjectures. Elle se
mesure par des sondages qui ont pour limite les questions posées,
le champ des propositions, aussi complet semble t-il être. Nous
pouvons nous complaire dans la lecture de l’évolution de l’opinion
sur un objet donné. Mais n’est-ce pas, en réalité, dans la surface
couverte par ces courbes que se situe la réalité ? N’est-ce pas
dans les interstices abandonnés aux comptoirs ou au contraire dans
la superposition et le brouhaha que se forgent les opinions ?
J’ai la faiblesse, même si l’image peut paraître légère,
d’imaginer « l’opinion » comme un millefeuille plutôt qu’un point
savamment posé sur une courbe, fruit d’une réponse binaire à une
question parfaitement délimitée. « L’EntreNet » de Daniel Kaplan
peut revêtir les couleurs de « L’EntreNous », cette liberté qui
surface les courbes compromises de teintes inattendues,
chaotiques, hors des formats.
Justement, n’est-il pas possible de lier cette idée à la
théorie du chaos afin de faire de cette vision un nouvel espace à
investir ? La théorie du chaos nous affranchit de la linéarité,
redessine le déterminisme en une multitude de possibles, démontre
qu’il existe des bassins d’attraction dans lesquels peuvent
s’engouffrer l’opinion, les risques, les crises et peut-être même
l’inter culturalité ; ceci à quelques battements d’aile de
papillon des stratégies les plus savamment orchestrées.
Voici quelques unes des questions, mais peut être aussi des
réponses, que cette idée que nous pressentions tous de « l’entre
quelque chose » pourra nous apporter. Plus proche de la réalité,
plus propre à décrire et comprendre le monde, plus propice à
imaginer de nouvelles méthodes d’approche systémique. Que ce soit
l’ «EntreNet » ou « l’EntreNous », cette notion ouvre de
nombreuses voies à explorer sur une terra cognita à redécouvrir, à
entrevoir hors des formats, en se souvenant, à chaque pas, que la
carte n’est pas le territoire. Ceci dit entre-nous.
Didier Heiderich.
Président de l’Observatoire International des Crises, auteur de
« Rumeur sur Internet. Comprendre, anticiper et gérer une
cybercrise », Village Mondial, 2004
A lire sur le sujet :
L'EntreNet : ces petites (ou grandes) choses que l'on fait
ensemble, Daniel Kaplan, 2006
http://www.internetactu.net/?p=6350
Crises et fractales : quels enseignements ? Alain Grandjean,
Magazine de la communication de crise et sensible, 2006
http://www.communication-sensible.com/articles/article0111.php
Communication. La nouvelle donne, Thierry Libaert. Editions
Village Mondial, 2004
http://www.jdoqocy.com/click-2732609-10478215?url=http://www.alapage.com/mx/?type=1&...
La crise médiatique et le battement d'aile, Didier Heiderich,
Magazine de la communication de crise et sensible, 2001
http://www.communication-sensible.com/articles/article0009.php
La problématique interculturelle, Interview de Joop
Theyse-Saab, 2006
http://www.communication-sensible.com/articles/article0123.php
Article publié dans le Magazine de la communication de crise et
sensible vol. 11
(c) Tous droits réservés par les auteurs
|