Une fois la muraille de Chine franchie, nombre d’entreprises
délaissent leurs discours sur la responsabilité sociale et le
développement durable. Pollution à l’échelle d’une région
européenne, innombrables accidents du travail mortels,
interdiction des syndicats, salaires de misère, corruption,
torture : investir en Chine s’accompagne de petits désagréments
qui pourront se muter en crises majeures… même économiques.
Les façades et le marbre de Shanghai, ses tours, ses
incalculables grues pointées vers le ciel, la docilité de sa main
d’œuvre, sa croissance à deux chiffres, redonnent l’espoir à
nombre d’entrepreneurs lassés des revendications occidentales, de
la lourdeur du droit du travail et du B.I.T, des syndicats, des
salaires minimum trop élevés et des employés fainéants qui n’ont
d’autres préoccupations que leurs week-ends. Shanghai est
décidément belle et l’occident tout entier lui déclare sa flamme :
Shanghai, mon amour.
Il est curieux de voir à quel point le capitalisme décomplexé
et le communisme totalitaire peuvent se marier, à priori, si
harmonieusement, et s’aimer à en perdre la raison. Enfin, la
raison de l’occident, car la Chine a les pieds sur terre et ne
s’apprête pas à un mariage d’amour, ni même de raison, mais
intéressé, très intéressé. Et pour que la mariée soit encore plus
belle, elle ne dévoile que ses plus beaux atours : Shanghai. Car,
même si cela est de mauvais ton de le rappeler, la réalité
chinoise est toute autre. Commençons par l’évidence qui échappe à
un occident frappé d’amnésie : la Chine est un pays totalitaire
avec tous ses avatars. La crasse d’un pouvoir corrompu à toutes
les échelles, ses assassinats sarcastiques, ses tortures dont les
cris sont à peine étouffés, ses déplacements de masse dans des
bidonvilles lorsqu’il s’agit « nettoyer » Pékin pour les jeux
olympiques, la substitution de la population du Tibet, son racisme
institutionnalisé et j’en passe.
Oui, me direz-vous, le regard attendri – concupiscent ? – posé
sur Shanghai la belle, « mais la Chine s’ouvre aux valeurs
occidentales, ceci grâce à l’économie de marché.» Et bien non !
Définitivement non. Car la Chine a une culture plurimillénaire,
des codes, des principes, une histoire de 3500 ans qui ridiculise
celle de la vieille Europe. La Chine n’a cure des valeurs
occidentales qu’elle regarde d’un œil amusé, voir condescendant.
Certes, la Chine a toléré l’existence d’une poignée de nouveaux
riches, occidentaux de façade. N’était-ce pas un faible prix à
payer pour asseoir le totalitarisme du régime chinois ? Car, outre
l’obtention de technologies sans en payer le développement, ce
semblant d’ouverture et la promesse de marchés mirifiques ont pour
effet de taire toutes les critiques occidentales, voir de
ridiculiser ceux qui osent encore critiquer toute compromission
avec le régime totalitaire chinois.
Avec son intelligence millénaires, sa maîtrise de l’art de la
guerre, son raffinement, son expérience de la manipulation des
masses à faire pâlir les spins doctors occidentaux, «
L’empire du milieu » a réussi à détourner les investissements
mondiaux à son profit, obtenir des technologies sans autres
contreparties que des promesses issues de notre imagination,
bâillonner ses dissidents - y compris à l’étranger -, et en
définitif prendre l’occident dans ses filets dorés.
Car la Chine est un piège.
Piège idéologique, avec pour conséquence le renoncement à nos
valeurs si durement acquises et du sacrifice des droits de l’homme
sur l’autel du « réalisme économique ». Pour le comprendre, il
suffit de voir comment furent muselés les dissidents chinois lors
de la visite du président chinois Hu Jintao à Paris en Mai 2004.
Piège économique qui non seulement consiste en une entreprise de
pillage systématique des technologies occidentales, mais également
à s’approprier les ressources naturelles et matières premières
nécessaires pour son unique développement. Piège pour les
entreprises occidentales qui auront des comptes à rendre lorsque
la question de la RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale)
de leurs usines ou sous-traitants chinois sera posée, lorsqu’elles
seront à l’origine de pollutions ou d’accidents mortels à de
telles échelles que même le régime chinois ne pourra plus les
cacher.
Est-il nécessaire de le rappeler, en chinois crise se dit [
Wei-Ji ], risque et opportunité. Je suis loin d’être convaincu
que, dans ce mariage, ce soit l’opportunité qui nous soit
réservée, et ceci dit en vertu même du sacro-saint réalisme
économique. Peut-être est-il temps de s’en rendre compte avant que
le piège chinois ne se referme définitivement sur nous. N’est ce
pas Shanghai, mon amour ?
Didier Heiderich
Article publié dans le Magazine de la communication de crise et
sensible vol. 11
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