Et si la problématique interculturelle était plus complexe que
nous pourrions l’imaginer ? L’internationalisation des marchés,
l’accélération des cycles, les turnovers, la multiplication des
intermédiaires…, sont autant de facteurs crises. Au-delà de la
barrière de la langue, nous comprenons tous « qu’il se passe
quelque chose ». L’idéogramme chinois du mot crise se dessine «
risques et opportunités » : nous pouvons considérer l’inter
culturalité avec ces deux approches, un facteur de risque, mais
également une formidable opportunité à saisir. Pour en savoir
plus, le magazine de la communication de crise et sensible a
interviewé Joop Theyse-Saab, fondateur d’Irenea.
MCCS : Irenea est spécialisée dans le management interculturel,
pensez-vous que des crises peuvent naître de l’absence de prise en
compte de cette dimension ?
JTS : La réponse est dans la question ! Des statistiques plus
ou moins officielles montrent que plus de la moitié des
fusions/acquisitions échouent au bout de quelques années, tout
simplement parce que les différences culturelles des deux entités
n’ont pas été prises en compte, ou bien négligées, en espérant
qu’elles se résoudraient « toutes seules », ou que la culture
dominante « effacerait » et remplacerait la culture dominée. La
réalité est rarement aussi simple…
JTS : Ces crises sont-elles plutôt internes ou externes ?
Connaissez-vous des exemples marquants ?
MCCS : Il y a aussi bien des cas de crises internes
(fusions/acquisitions, ou communication entre maison mère et
filiale) qu’externes (négociations commerciales internationales,
par exemple). Certains de nos consultants ont travaillé dans de
grandes entreprises et ont vécu de l’intérieur des
fusions/acquisitions. Ils ont pu constater qu’il n’est pas rare,
des années après l’opération, que des anciens d’une société X ou Y
continuent à se considérer (et à être considérés par les autres)
comme membre de la société X ou Y, alors même que cette entité a
disparu depuis longtemps dans la fusion/acquisition. Songez à
l’énergie gaspillée en interne par ces rivalités, alors que cette
même énergie pourrait être consacrée à conquérir de nouveaux
marchés ou à inventer de nouveaux marchés ! C’est un peu comme
quand, dans un organisme vivant, les anticorps se retournent
contre l’organisme lui-même, au lieu de lutter contre ses ennemis.
MCCS : Le « on dit » voudrait que PSA a raté son entrée sur le
marché chinois pour des problèmes d’ordre culturel, vous pouvez
nous en parler ?
JTS : L’environnement éthique et culturel chinois, hérité du
confucianisme et du communisme, change les règles du management.
Chaque chose ayant sa place dans l’univers, le respect de la
tradition et de l’ordre fonde une morale collective qui conduit à
un “leadership-type” assez distant du modèle occidental.
Si certaines qualités du leader “à la chinoise” comme
l’intégrité, le sens du devoir, le sens de l’honneur ou la
solidarité sont assez proches de notre conception du leader,
d’autres, comme le respect des règles de protection des siens
(qui, en Europe, s’appellerait le népotisme) en sont plus
éloignées. Conséquences de ce regard particulier, des attitudes
parfois très différentes des nôtres.
Cela n’a pas du faciliter l’entrée de PSA, et de beaucoup
d’autres entreprises, en Chine.
Peugeot a engagé 70 interprètes qui ont progressivement
entraîné une rupture entre salariés et dirigeants. Lorsqu’on a
demandé à Peugeot de changer des modèles pour s’adapter aux goûts
chinois, les dirigeants de Peugeot ont refusé. Enfin la traduction
en Chinois de Peugeot n’a pas été assez étudiée. En effet Peugeot
se dit Biaozhi en Chinois qui, prononcé maladroitement devient
Biaozi qui veut dire prostitué. Ainsi une publicité de Peugeot
dont le slogan est « la Peugeot de Canton vous offre les meilleurs
services » peut devenir « la prostituée de Canton vous offre les
meilleurs services ».
Aujourd’hui Peugeot Citroën table sur une hausse de 50% de ses
ventes en Chine d'ici 2010, une croissance favorisée par le
lancement de nouveaux modèles. Le constructeur européen espère
vendre 200 000 unités en 2006 et atteindre 300 000 en 2010.
La seconde entrée de PSA est donc nettement meilleure que la
première.
L’aspect culturel y contribue à un degré certain : une
meilleure appréciation de la diversité chinoise de la part des
dirigeants de PSA, mais aussi de la part des partenaires chinois
qui portent un regard différent sur la France, les français et
leurs produits. C’est encore souvent le romantisme, le luxe et la
frivolité qui sont les valeurs attribuées aux Français et à leurs
produits ; ce qui nuit à l’image des produits industriels.
L’expertise en management interculturel que nous apportons à
nos clients nous permet aussi de faire tomber les préjugés et de
sortir des stéréotypes, chez chacun des acteurs, de part et
d’autre !
MCCS : La problématique interculturelle et les crises qui
peuvent en surgir sont-elles au-delà de la barrière des langues ?
JTS : La notion d’interculturel ne se limite pas aux
différences de langue ou de nationalité ! Chaque métier, chaque
secteur d’industrie a sa propre « culture ». Même 2 entreprises
oeuvrant sur le même secteur peuvent avoir des cultures très
différentes. De ce fait, personne n’est à l’abri d’une « crise
interculturelle ».
MCCS : Pensez-vous que seuls les groupes internationaux sont
soumis au risque interculturel ?
JTS : Justement non. Qu’une grande banque française rachète une
autre grande banque française, et des différences culturelles vont
se manifester ! Mais l’interculturel n’est pas qu’un risque, il
est aussi une formidable opportunité. Nous sommes convaincus que
la diversité est une richesse, car chaque « culture » apporte une
vision du monde différente, et de ces points de vue différents
émerge une vision plus large, plus riche, plus complète, et donc
en fin de compte plus performante.
MCCS : Quels conseils pourriez-vous donner à nos lecteurs pour
éviter ces crises ?
JTS : Dépasser le stade de l’ignorance. On ne sait pas qu’il y
a des différences ou bien on les vit comme des obstacles alors
qu’elles sont des opportunités. Dépasser aussi le stade du
jugement (on se juge supérieur –ou inférieur- à l’autre culture),
pour atteindre un certain recul vis-à-vis de sa propre culture et
de celle de l’autre. Cela permet d’acquérir une certaine « agilité
» comportementale, c’est-à-dire la capacité de choisir un
comportement effi-cace, issu de telle ou telle culture, en
fonction des circonstances.
MCCS : Auriez-vous quelque chose à ajouter ?
JTS : S’intéresser aux situations interculturelles n’est pas un
« gadget », c’est au contraire un gage de performance
supplémentaire. La plupart des sociétés veulent aujourd’hui gérer
au plus serré leurs ressources, leurs finances, leurs produits.
Celles qui ont compris que la gestion des phénomènes humains
interculturels est incontournable ont un avantage compétitif sur
leurs concurrentes. Les autres se contentent d’improviser, de
faire de « l’à peu près ».
MCCS : Enfin, pourriez-vous nous décrire votre société en
quelques mots ?
JTS : Nous avons délibérément choisi de nous appliquer à
nous-mêmes ce que nous prônons pour les autres, en constituant une
équipe multiculturelle, qui plus est dispersée géographiquement.
Les origines et les influences géographiques de nos membres vont
de l’Asie aux deux Amériques, en passant par l’Europe et
l’Afrique. Nos parcours sont divers, nos âges sont variés. Et,
bien entendu, notre équipe est mixte ! Nous n’avons pas cherché à
créer une entreprise de « clones » mais au contraire, la
diversité. Nous avons plaisir à travailler ensemble, tout en étant
efficaces !
Nous sommes persuadés que notre exemple incitera de nombreuses
entreprises, administrations, associations, ONG… à cultiver la
diversité, car c’est une véritable richesse.
Propos recueillis par Didier
Heiderich
Joop Theyse-Saab
Fondateur d'Irenea, consultant et formateur international,
Joop a plus de 20 ans d'expérience à des postes de management
opérationnel et de direction générale dans des entreprises
internationales et organismes gouvernementaux. Il gère des
projets internationaux en Europe, Afrique du Nord et Asie. Il est
trilingue Hollandais, Anglais et Français, diplômé du CPA-HEC et
Ingénieur CESI Lyon. Il est coach de dirigeants et managers,
certifié par Vincent Lenhardt. Joop consacre ses vacances à
contribuer au développement des populations dans des zones
défavorisées d'Indonésie, son pays de naissance et d'enfance.
IRENEA
La Défense 12 - Le Grand Plaza - 4, rue du R.P. Cloarec
92400 Courbevoie contact@irenea.com -
www.irenea.com
Article publié dans le Magazine de la communication de crise et
sensible vol. 11
(c) Tous droits réservés par les auteurs
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