Bien qu’elle soit un mot ancien, la réputation refait surface
depuis une vingtaine d’années dans la sphère économique au point
d’être aujourd’hui intégrée comme un élément majeur de la
stratégie commerciale des entreprises. L’importance prise par le
marché boursier, le développement considérable des canaux de
communication et la dimension d’acteur social prise par
l’entreprise depuis les années 1980 obligent les multinationales à
se préoccuper de leur réputation. Il semble donc que l’activité
d’une entreprise, voire parfois sa survie, repose aujourd’hui
largement sur sa réputation, capital immatériel d’importance.
Depuis les années 1970, le nouveau contexte de mondialisation
des échanges a fait des entreprises un nouveau lieu de pouvoir
dans la vie de la Cité. Dès lors on attend aujourd’hui tout, ou
presque, de l’entreprise, y compris qu’elle agisse dans des
domaines jusqu’alors réservés à la sphère publique tels que le
respect de l’environnement et le bien-être social.
Cette nouvelle envergure internationale de l’entreprise, liée à
la mondialisation, suscite en parallèle plus de méfiance au sein
de l’opinion publique. Face à cette réaction, les multinationales
tentent aujourd’hui de promouvoir leurs actions et d’améliorer
leur réputation auprès de leurs publics en revendiquant, par la
communication « corporate » ou « produit », des valeurs éthiques
et symboliques qui adoucissent l’image terne et froide des
entreprises et des industries globalisées.
Néanmoins, irrités par la revendication parfois hypocrite de
ces valeurs et par le silence entourant les réelles pratiques des
entreprises, de nouveaux acteurs ont peu à peu décidé de contrôler
de leur propre initiative les actions et le discours de ces
dernières. Il s’agit de ce que Jean-Noël Kapferer a nommé les «
sentinelles de la réputation». Parmi elles, on trouve les ONG qui
ont un rôle primordial dans le processus de veille et de
vérification des agissements des firmes notamment dans un contexte
où les normes internationales existantes dans le domaine de la RSE
ne contraignent pas légalement les transnationales. Les
sentinelles de la stratégie guerrière, scrutaient inlassablement
l’horizon dans le but de prévenir toute arrivée d’assaillant, et
participaient ensuite aux combats sous forme de factions. De la
même manière, les ONG ont désormais acquis les moyens de
surveiller les agissements des entreprises, et peuvent les
contester grâce à une organisation en réseau efficace. Leur botte
secrète est leur capacité de nuire à la réputation des entreprises incriminées et donc à leur compétitivité, voire à leur
pérennité. Cette capacité est liée à plusieurs facteurs dont leur
professionnalisation, leur accès privilégié aux medias et leur
crédit auprès de l’opinion. Elles constituent en cela un certain
contre-pouvoir à la puissance économique.
Possédant plus d’outils que le citoyen lambda pour surveiller
les faits et gestes des acteurs économiques, les ONG se situent
donc en amont du processus de contestation et se chargent
d’alerter l’opinion lorsque l’entreprise abuse de son pouvoir.
Face à la surveillance quotidienne qu’exercent ces « sentinelles
», la responsabilité sociale et les démarches éthiques deviennent,
de gré ou de force, de nouvelles normes de conduite des
entreprises, intégrées à leur stratégie globale. Les ONG, perçues
— souvent à tors — comme des lilliputiens modernes face aux
Gullivers que constituent les multinationales, ont donc appris peu
à peu à ligoter ces géants de l’économie.
Si les ONG ne sont pas les seules créatrices de pression sur
l’entreprise, les types et pratiques de communication qu’elles
mettent en place dans le but de faire évoluer le comportement
social et environnemental de ces dernières en font un acteur
redoutable. La communication militante de la majorité des ONG,
relayée par des médias (dont l’Internet) qui constituent une
caisse de résonance, a les capacités de mobiliser l’opinion et
d’autres acteurs militants. Cela peut engendrer des crises, aux
effets immédiats et parfois durables, qui amènent l’opinion à se
positionner en juge et l’ONG à générer des normes de conduite.
L’entreprise doit gérer cette période brillamment pour éviter de
mettre en péril sa réputation, son chiffre d’affaire, voire son
existence. La crise est donc un moment critique où la défense de
la réputation est plus que jamais d’importance et où plusieurs
logiques de communication se mettent en place (celle des ONG,
celle des medias et celle de l’entreprise incriminée).
Gérer la crise face à ces nouvelles sentinelles qui ont conquis
le cœur de l’opinion n’est pas une tâche facile, d’autant plus que
les ONG ont suivi le courant de la mondialisation en
s’internationalisant elles aussi, afin de pouvoir répondre de
manière efficace aux entreprises.
Plusieurs moyens sont néanmoins à la disposition de
l’entreprise pour conserver sa réputation face aux attaques des «
nouvelles sentinelles ». Elle doit désormais être attentive à son
discours et mettre en place un système de riposte réactive. Pour
cela, plusieurs outils sont à sa disposition : outils de veille,
power-map, cellules de crise, simulations stratégiques, réponse à
la crise sur Internet etc. Mais elle peut également devenir
proactive en s’engageant dans une collaboration avec des «
sentinelles ». Ainsi, il ne s’agira plus seulement de chercher à
conserver sa réputation face à une « sentinelle », mais de
promouvoir et d’améliorer ses actions et sa réputation, en
collaboration avec elle, afin de s’ancrer de manière pragmatique
dans le développement durable et la responsabilité sociétale. Les
ONG peuvent donc offrir à l’entreprise la possibilité de
promouvoir sa réputation sociale et environnementale auprès de
l’opinion publique, tout en contribuant de manière efficace à une
« grande cause ».
La construction d’une éthique, l’engagement dans le
développement durable et la consolidation d’une responsabilité
sociétale de l’entreprise semblent parfois être des tâches
sisyphéennes face aux attentes exigeantes des « sentinelles ».
Néanmoins, cela paraît être aujourd’hui primordial si l’entreprise
souhaite conserver sa réputation dans un contexte d’économie
mondialisée. Au-delà de la crise, la confrontation et la
collaboration entre les ONG et les entreprises semble être devenue
un nouveau schéma de relation amené à perdurer. L’entreprise a
donc tout à gagner en s’y adaptant.
* Abstract du Mémoire de Kristine Drullion, lauréate du
3ème concours du meilleur mémoire sur la communication de crise
organisé par L'Observatoire International des crises
et
Hill&Knowlton
A télécharger :
Dossier de presse de la remise du prix
14 pages, 341 Ko
Le mémoire «
Les ONG sont-elles les « sentinelles » de la réputation des entreprises ? », 167 pages, 5,4 Mo - format PDF
A écouter en complément :
Réputation des entreprises et ONG,
intervention de Kristine Drullion.
MP3 - 3Mo - 13 min
** Kristine Drullion
Major de l’IEP d’Aix-en-Provence et Major du Master en
Communication des Entreprises et des Institutions, option «
Institutions Publiques » du CELSA, Kristine Drullion est âgée de
23 ans. Elle a passé la moitié de sa vie à l’étranger, en Angola,
en Ecosse, au Canada et vit à présent au Mexique où elle occupe
depuis octobre 2005 le poste de Chargée de Communication chez
Essilor Mexico.
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