Le mutisme gouvernemental par les pays asiatiques est pratique
courante, et toute raison est valable pour ne livrer les
informations sur l’état de la nation qu’au compte-goutte:
maintenir le statu quo, rassurer les investisseurs étrangers,
garantir des flux touristiques stables, ou encore tenir les médias
loin des dossiers sensibles. Mais est-ce un droit que de retenir
l’information lorsque des populations sont en danger ?
Déjà en 2003, le gouvernement indonésien avait refusé de
reconnaître en première instance l’existence de cas de grippe
aviaire dans le pays. Les fermiers souhaitant vacciner leur
volaille devaient se fournir les vaccins illégalement. Ce n’est
que lorsque la crise a été découverte par les médias
internationaux que l’Indonésie a accepté officiellement le
problème et a légalisé l’utilisation de vaccins. Mais a-t-elle été
honnête quant aux dangers réels dont il fallait se prévenir ?
La volaille élevée dans des fermes est certainement la moins
dangereuse qui soit. Les conditions d’hygiène y sont assurées et
les propriétaires ont suffisamment de moyens pour traiter leur
élevage. Pourtant, cette production avicole est avant tout
destinée aux agglomérations urbaines et à l’exportation alors
qu’une grande partie de la population, principalement urbaine,
côtoie des animaux à plumes quotidiennement. Nombreuses sont les
familles qui possèdent une basse-cour pour leur consommation
journalière d’œufs et de viande.
En Indonésie, les volailles tiennent une part importante dans
l’économie locale. Des marchés aux oiseaux en attestent ; certains
spécimens peuvent atteindre des prix astronomiques et équivalents
à ceux d’une Mercedes. Des familles entières entraînent des
oiseaux au chant, source précieuse de revenus, et les combats de
coq rapportent gros à leur propriétaire.
Certes, le gouvernement arrose de pesticide les marchés publics
et abat des poulets, mais est-il capable d’expliquer à sa
population que leurs coqs de combat devraient être sacrifiés
également et les marchés aux oiseaux interdits ? L’Indonésie
est-elle financièrement prête à soutenir une population privée de
volaille ? Pour éviter de propager la peur parmi la population,
les mesures préventives demeurent superficielles et insuffisantes.
Le clivage entre les actions menées et les refontes structurelles
nécessaires se creuse.
L’Indonésie a communiqué son quatrième cas de décès humain
causé par la grippe aviaire. Dans quelle mesure peut-on faire
confiance à ce chiffre ? Alors que les entreprises multinationales
interdisent catégoriquement les déplacements de leurs cadres vers
les îles indonésiennes, l’Indonésie se démène pour préserver les
flux touristiques. L’île de Java est réputée pour ses sites
religieux et ses paysages, mais se forge aujourd’hui une pauvre
image par les cas de polios et de grippe aviaire découverts.
L’Indonésie pense-t-elle en avertir les voyageurs qui partent à
l’aventure pour découvrir la « vraie » Indonésie, où hommes et
animaux vivent en communauté ?
Dans une région où en pleine rue, les commerçants vendent et
égorgent à mains nues poulets et canards devant leurs clients,
plus qu’un accès à l’information, c’est une éducation basique en
hygiène qu’il faut pourvoir aux populations. Au Vietnam, en
Thaïlande ou au Cambodge, les maladies se propagent par manque de
soins personnels et de désinfection de l’eau. Les commerces de
rues sont souvent insalubres et les collectes d’ordures peu
satisfaisantes, mais la population demeure insouciante des risques
qu’elle encourre.
En contrepartie, les villes asiatiques les plus occidentalisées
comme Hong Kong et Singapour, fournissent à leur population une
sécurité comparable à celle aujourd’hui existante en Europe :
inspections minutieuse des produits avicoles et retentions des
volailles aux frontières. Pourtant, les populations vivent dans la
peur, prêtes à dénoncer le voyageur qui reviendrait des pays en
crise pour mise en quarantaine si nécessaire. Dans une communauté
où la délation est de mise, une paranoïa collective n’est pas à
exclure, à l’image de l’Europe qui connaît dans ses frontières une
ruée des consommateurs vers les anti-grippaux et une chute
conséquente de la consommation de volaille avec des conséquences
déjà visibles sur les prix mondiaux.
Après l’Asie du Sud – Est, de nouveaux pays sont touchés, et
c’est à la Chine de faire ses preuves et de se montrer
transparente. A ce jour, aucun cas de grippe aviaire sur l’homme
n’a été rapporté. Alors que l’Empire du milieu annonce la
découverte de nouveaux foyers de grippe aviaire dans le centre du
pays – récemment 545 poulets et canards en sont morts – comment ne
pas défier l’information transmise? Peut-être est-ce la fin du
glorieux canard laqué pékinois…
P.S.
(c) 2005
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