Un évènement imprévu se produit. Il menace les populations
riveraines (quartier d’habitation, collège...). L’autorité doit
communiquer pour informer la population de ce qui se passe,
indiquer quelles sont les conduites à tenir et ce que font les
secours.
La communication de crise n’est pas une communication sur un
événement banal. Un accident même majeur s’il a été prévu,
préparé, donne lieu à une communication préalable adaptée, dès les
premiers signaux précurseurs de survenance. L’événement est géré
conformément à un plan testé à l’avance. Cela ne signifie pas que
tout se passe comme prévu. Ni que la population vive forcément
bien l’événement. Mais on n’est pas à proprement parler dans une
situation de crise.
Par exemple a Vimy en 2001 la découverte de bombes non
explosées datant de la première guerre mondiale a justifié le
déplacement préventif de plus de 10.000 habitants durant une
semaine pour assurer la sécurité de la manipulation des explosifs
aux fins de les déplacer vers une zone non urbanisée. La
population concernée a été avertie, accompagnée et ses
désagréments ont été pris en compte. L’événement a donné lieu à
une information nationale dédramatisée. On a vu à l’antenne des
familles souriantes, coopératives et nullement inquiètes.
De la gestion de crise à la communication de crise
La communication de crise apparaît des lors qu’un élément au
moins apparente la gestion de l’événement majeur à une gestion de
crise :
- soit l’événement n’était pas prévisible (première tempête de
décembre 1999), ou pas prévu (tsunami de décembre 2004 en Asie du
sud-est).
- soit il n’existait pas de plan adapté pour y faire face
(cyclone Katrina de l’été 2005 à la Nouvelle Orléans)
- soit la gestion de l’événement a été débordée (l’hôpital peut
être touché par une inondation ou un séisme…)
- soit la population n’a pas été préparée en amont, elle ne
comprend pas ce qui se passe, elle ne coopère pas à la gestion de
l’événement (ex : tous les sinistrés appelant les pompiers en même
temps)
- soit encore la communication est déstabilisée : elle n'est
pas assez rapide, pas complète, pas adaptée. Ou bien les
populations n’ont pas confiance en ce qu’on leur dit (exemple de
la pollution du Rhin à Bâle en 1989 ou du nuage de Tchernobyl au
dessus de la France en 1986)
Plusieurs de ces raisons peuvent se conjuguer pour conduire à
une gestion de crise et à une communication de crise. Un événement
peut être très mal géré alors que la communication est
remarquable. A l’inverse, une mauvaise communication entraîne une
gestion de crise qui alimente en retour une gestion de crise.
Trois autorités peuvent communiquer sur un événement grave :
- l’exploitant, lorsque l’événement prend sa source dans une
installation humaine (une usine par exemple) ;
- le maire, quand l'évènement se passe dans sa commune et
surtout dès lors qu’il dépasse l’enceinte de l’usine (en restant
sur l’exemple industriel) ;
- l’Etat, c'est-à-dire le préfet le plus souvent, le ministre
voire le Président de la République plus rarement, quand
l’événement est d’ampleur, notamment quand il dépasse le périmètre
ou les capacités de la commune sinistrée.
La communication de l’exploitant…
Dans la réalité, il arrive souvent que ces trois autorités
communiquent en même temps, et rarement de concert. L’une des
sources de la crise peut provenir de là. De manière générale, les
populations n’ont pas confiance dans la communication des
industriels, ce que confirmait une étude conduite par le ministère
de l’environnement en 1991, qui recherchait le meilleur vecteur de
communication sur les risques. Par exemple, au début des années
1990, le directeur du CEA de Saclay avait laissé en liberté, dans
la zone grillagée non aedificandi autour du site nucléaire, des
daims que son frère directeur de zoo lui avait donnés pour
entretenir le gazon et parce que ces animaux étaient en
surpopulation dans le zoo. La population locale a toujours voulu y
voir des expériences sur la réaction animale aux radiations.
En période de crise, l’exploitant risque d’être en difficulté,
s’il n’a pas communiqué à froid sur les risques et si la relation
avec la population n’est pas basée sur la confiance, ce qui,
rappelons-le, n’est pas le cœur de son métier ! Aujourd’hui, les
exploitants industriels classés Seveso, poussés par la
réglementation qui les y oblige, ont développé leur communication,
et pour ce faire embauché des chargés de communication, développé
des plans de comm, organisé un tourisme industriel par des
journées portes ouvertes, parfois même financé des actions
pédagogiques sur le thème du risque dans les classes
environnantes. Aussi la communication de crise de l’exploitant
est-elle de plus en plus professionnelle.
… du maire…
L’autorité publique ne doit cependant pas reprendre à son
compte les informations données par l’exploitant. Bien, plus, le
maire, par exemple, a bien du mal à accéder à l’information. Parce
que la situation est évolutive (on parle de cinétique rapide),
parce que les informations sont contradictoires, qu’il est encore
trop souvent court-circuité par les sapeurs-pompiers et la police
/ gendarmerie au profit du préfet dès que celui-ci prend la main,
que les informations remontent mais ne redescendent pas… Aussi le
maire doit-il, comme l’exploitant et le préfet, recouper en
permanence les informations, les traiter pour en faire du
renseignement utile à la gestion de la crise, et surtout citer ses
sources sans les reprendre à son compte quand il communique.
… et du préfet.
Pour ce qui concerne l’Etat, c’est le directeur de cabinet
(sous préfet) du préfet de département qui a en charge la
communication de crise, assisté par cela d’un chargé de la
communication à la préfecture, souvent fonctionnaire de catégorie
A, quelquefois même journaliste de formation. Le directeur de
cabinet propose au préfet de prendre l’initiative de communiquer,
sans attendre que les journalistes téléphonent.
Dans la réalité, les témoins direct de la catastrophe appellent
les journalistes, et quelquefois ce sont les secours eux-mêmes qui
les préviennent (certains medias donnent une prime aux scoops), ce
qui fait que la dépêche de l’agence France presse (AFP) tombe sur
les télescripteurs des medias très rapidement après l’accident
(souvent 10 a 15(minutes). Le ministre de l’intérieur a donc
demandé en 2005 que les préfectures diffusent le plus tôt possible
un premier communiqué décrivant le fonctionnement général de la
cellule de crise et le plan qui a été adopté (plan ORSEC, plan
rouge…). Ces communiqués types, rédigés à l’avance, peuvent être
très rapidement diffusés. Quant aux plans, le plan ORSEC est un
annuaire des matériels et des compétences disponibles, on le
déclenche en cas de crise grave pour pouvoir notamment
réquisitionner beaucoup de matériel. Le plan rouge pour sa part
est destiné à faire face à de nombreuses victimes.
Les médias ont des attentes différentes
Le directeur de cabinet du préfet dispose en matière de
communication de plusieurs outils : le communiqué de presse (texte
écrit et faxé aux rédactions), la réponse téléphonique aux
questions (interview), le point presse (réunion de tous les
journalistes dans une salle avec distribution d’un dossier de
presse, exposé et questions- réponses). Il s’adresse à des medias
qui ont des attentes différentes : la télévision a besoin
d’images, elle aime donc se déplacer sur le terrain et apprécie
des témoignages, comme ceux des hommes en uniforme - sapeurs
pompiers, gendarmes, secouristes… La radio a besoin de son, elle
fait parfois du direct, elle cherche un contact privilégiés avec
des gens qui ont des infos (surtout pas de langues de bois !) ;
enfin la presse régionale ne publiera que le lendemain, elle a
plus de temps mais doit veiller a l’heure de bouclage du journal
(si elle le rate l’article ne sera pas publié car le surlendemain
il aura sûrement perdu son actualité).
Il faut aussi distinguer :
-les medias locaux, avec lesquels les relations souvent de
longue date ont été nouées, un climat de confiance s’est instauré,
même si les interlocuteurs ne sont pas des spécialistes de la
crise ;
-et les medias nationaux qui ne se déplacent que pour les gros
événements et parfois cherchent un « responsable ». Ces derniers
se font parfois très vite une idée de ce qui se passe, et s’ils se
trompent cela peut contribuer à la crise.
Souvent l’information générale est donnée par les médias
nationaux, qui renvoient vers les médias locaux (la radio locale,
par exemple) la diffusion de messages intéressant plus
spécifiquement les habitants concernés.
Un assaut de questions classiques
Sitôt passé la phase réflexe du premier communiqué, le
directeur de cabinet du préfet va devoir s’adresser aux
journalistes, en général dans l’heure qui suit, alors qu’il n’a
pas tous les éléments en sa possession. Les questions les plus
fréquentes qui lui sont posées sont les suivantes :
- Que s’est-il passé ? Il y a souvent une enquête de justice et
on ne le saura précisément que bien plus tard. On n’a que des
informations parcellaires.
- Combien y a-t-il de victimes ? Ce n’est pas toujours facile à
savoir. Pensez à un accident d’avion ou au cyclone Katrina. Je
pense aussi, excusez-moi pour l’horreur, à un accident de car où
le médecin légiste cherchait à reconstituer les corps à partir de
morceaux. Les avait on tous retrouvés ? En plus, un bilan peut
être évolutif. Votre source peut s’être trompée (exemple : tunnel
sous le mont blanc où l’autorité a maladroitement repris à son
compte un bilan provisoire qui était faux…).
- Que faites-vous ? Cette question est la plus facile. On peut
parler d’une part de la cellule de crise (contact avec les
familles, avec les hôpitaux, avec les consulats étrangers s’il y a
des victimes étrangers…), d’autre part, des troupes engagées sur
le terrain et de ce qu’elles font (nombre de policiers et de
médecins, missions assignées…).
- Y a-t-il encore des risques ? Difficile à apprécier ! Je
pense a un camion TMD en feu dans le brouillard, on ne sait pas ce
qu’il transporte… je pense à une crue océanique, l’eau continue de
monter…
- Quand estimez vous que ce sera terminé (ou sous contrôle) ?
Question difficile également. Un feu de forêt peut très vite
repartir si le vent se lève, une marée noire est plus importante
que prévue, le dépotage d’un wagon accidenté présente des risques
imprévus…
- Qui est responsable ? La question qui tue ! D’abord on
cherche à savoir ce qui s’est passé, puis pourquoi cela s’est
passé, et enfin, par la faute de qui. La judiciarisation de notre
société n’est pas étrangère à cette préoccupation. De plus en
plus, des maires et des préfets sont attaqués en justice. La
question de la responsabilité est incontournable, mais elle a
également sa place dans la communication de crise et on cherche à
la repousser a plus tard. D’abord l’action ! Après, le bilan.
Ne pas avoir peur de communiquer
Pendant longtemps, les autorités ont été frileuses à
communiquer sur la crise. On avait peut-être peur de l’effet de
cette communication sur les comportements (on se souvient de
l’émission de radio d’Orson Wells, « les martiens débarquent à New
York », qui avait provoqué une panique généralisée). Je suis
persuadé que c’est un tort. Seul un partenariat de confiance avec
les journalistes peut permettre justement que la communication ne
devienne pas une crise. Pour ma part j’ai toujours très bien
travaillé avec les medias et n’ai jamais eu à m’en plaindre. Lors
de la tempête de décembre 1999, je les ai même fait entrer dans la
cellule de crise et leur ai dit : voyez, on est débordé, on fait
ce qu’on peut, on a aussi besoin de vous ». J’en profite pour
donner un coup de chapeau au travail de France bleue Limousin qui
a durant les 28 jours de l’après crise joué un vrai rôle de
service public en diffusant des messages aux populations, mais
aussi des messages des familles vers leurs proches (il n’y avait
ni électricité, ni téléphone !). Tous ceux qui avaient pu se
procurer des piles pour leur radio m’ont dit tout le soutien
qu’ils avaient trouvé là.
La population, cible de la communication de crise
Vis-à-vis de la population elle-même, l’autorité publique ne
sait pas bien faire. Il y a tout d’abord les blessés eux-mêmes.
Ils veulent savoir, ce qui est naturel, ce que sont devenus leurs
proches également impliqués dans la catastrophe, qu’on prévienne
leur famille… Mais le poste médical avancé (PMA) sur le site de
l’accident effectue un tri en fonction de l’urgence, ce qui fait
que le blessé non transportable est opéré sur place, l’extrême
urgence transportable évacuée par hélicoptère, les premières
urgences en VSAB avec ou sans le SMUR, enfin les blessés légers ou
non urgents transportés plus tard. Or les blessés sont répartis
dans les différents hôpitaux selon la nature de leurs blessures et
en fonction des lits disponibles. Par ailleurs, les impliqués non
blessés sont regroupés à l’écart avant d’être évacués et pris en
charge, tandis que les personnes décédées risquent d’être
identifiées avec difficulté et bien du temps !
De ce fait, les responsables disposent d’une information
complète communicable souvent tardive. Les pouvoirs publics ont
développé depuis plusieurs années des secours psychologiques, mais
qui ne remplacent pas une information individualisée. La prise en
compte de la réceptivité de l’information par le public fait
partie de la communication de crise : il m’est arrivé par exemple
de devoir annoncer à une classe d’élèves de collège traumatisés
tombés dans une rivière le décès de leur moniteur.
De la même façon, les impliqués non blessés sur place et les
familles à distance, parfois à l’étranger ou étrangères
elles-mêmes et ne parlant pas le français (j’ai eu ainsi à gérer
deux accidents majeurs de cars transportant des néerlandophones),
exigent bien évidemment des informations individualisées que les
cellules infos familles (numéros gratuits) n’ont pas dans les
premières heures : on se souvient des disparus français du
tsunami, dont la recherche a pu durer des semaines (et qu’on n’a
pas tous retrouvés).
On cherche à ne pas communiquer certaines nouvelles par
téléphone, ainsi les services de police et gendarmerie se
déplacent au domicile des familles pour annoncer les nouvelles les
plus pénibles, mais il est arrivé que des proches apprennent un
décès par la télévision.
Les consignes de sécurité
Lors d’un accident industriel ou de certaines catastrophes
naturelles ayant un périmètre déterminé (inondations par exemple),
les pouvoirs publics ont besoin de diffuser des consignes de
sécurité à la population locale. Cela peut être fait par la radio,
mais aussi pour atteindre tout le monde par mégaphone à partir de
véhicules protégés. Le message consiste le plus souvent à diffuser
des consignes simples telles que : « restez chez vous, ne prenez
pas vos voitures, ne téléphonez pas, écoutez la radio. » Ce qu’on
veut éviter, par exemple, outre les standards téléphoniques
saturés, c’est que les parents, paniqués, n’aillent chercher leurs
enfants à l’école, aggravant ainsi les risques d’accident de la
route, de perturbation des secours, ou d’exposition au risque
contre lequel on lutte précisément.
L’Etat cherche actuellement à mettre en place un dispositif qui
permette de joindre par téléphone, ou mieux, par SMS, les
habitants d’un secteur concerné, pour diffuser un message
spécifié. Les nouvelles technologies permettent ce type de
communication. Par exemple, quand le pape Jean-Paul II est décédé,
les autorités romaines ont diffusé par ce biais des consignes aux
deux millions de pèlerins qui affluaient vers Rome pour
l’enterrement et risquaient d’emboliser la capitale italienne.
Et, pour finir, le grand public
Le grand public également veut être informé, et là les pouvoirs
publics ont besoin des médias. Au sein du grand public, signalons
les associations de victimes, les amis plus ou moins lointains
(élèves d’une même école ou collège qu’il faut prendre en compte,
comme lors de l’épidémie de méningite à Metz en 2003, membres d’un
même village, d’une ville voire d’une île, comme après l’accident
d’avion de cet été impliquant de nombreux Martiniquais) : ces
groupes sont concernés, particulièrement sensibles. Comme les
familles, ils peuvent avoir besoin de s’exprimer, mettent parfois
en cause (et cela peut être à juste titre) l’action des pouvoirs
publics.
Au total, la communication de crise est une pierre angulaire de
la gestion de crise. Désormais le public n’admet plus de ne pas
savoir ce qui se passe, et nous le lui devons.
Eric Pélisson.
(c) 2005
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