Le rôle de la narration dans
les exercices de crise
Par Didier Heiderich
Tout le monde en convient : la gestion de crise est un domaine où
la préparation et la formation sont cruciales pour assurer une
réponse efficace et coordonnée.
Parmi les différentes méthodes de formation, les exercices de
crise occupent une place prépondérante. Au cœur des exercices de
crise se trouve la narration, un outil essentiel qui simule des
scénarios réalistes et engage les participants de manière
immersive. La narration est un art qu'il faut maîtriser.
Heureusement, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de Claude
Bremond, notamment dans « La logique des possibles narratifs » *
La narration : définition et importance
La narration dans le contexte des exercices de crise fait
référence à la création et à l'utilisation de scénarios détaillés
et cohérents qui simulent des situations de crise réalistes, pose
les actions et les personnages, comme on le fait dans un livre ou
une série TV. Ces scénarios servent de cadre pour les exercices et
permettent de guider les participants à travers les différentes
phases de la crise, de l'alerte initiale à la résolution et à la
récupération.
Créer l’immersion et l'engagement
Sans une bonne narration, un
exercice est plat, technique et sans âme.
Une bonne narration crée un environnement immersif qui engage les
participants et les place mentalement dans la situation de crise.
Cette immersion est cruciale car elle permet aux participants de
ressentir la pression et les émotions associées à une crise
réelle, rendant l'exercice plus pertinent et mémorable. Sans une
bonne narration, un exercice est plat, technique et sans âme.
Renforcer la compréhension et la réactivité
En simulant des scénarios réalistes, la narration aide les
participants à comprendre les dynamiques complexes d'une crise.
Ils apprennent à anticiper les développements possibles et à
réagir de manière appropriée. La narration permet également de
tester la réactivité des participants face à des situations
inattendues, les préparant ainsi à gérer l'imprévu.
Composants d'une narration efficace
Pour qu'une narration soit efficace, elle doit inclure plusieurs
éléments clés :
1. Réalisme
Le réalisme est un minimum à considérer pour que les participants
prennent l'exercice au sérieux. Les scénarios doivent être basés
sur des événements plausibles et inclure des détails concrets.
Cela peut inclure des informations sur l'environnement, les
acteurs impliqués, et les ressources disponibles. Parce qu'une
crise de gel des serveurs en plein été à Tahiti, c'est juste peu
crédible.
2. Complexité
Les crises réelles sont souvent complexes et imprévisibles. Une
bonne narration doit refléter cette complexité en incluant des
variables multiples et des développements inattendus, ceci dit
sans excès (n'oublions pas le réalisme). Cela aide à tester la
capacité des participants à gérer plusieurs aspects simultanément
et à prendre des décisions sous pression. Après tout, si tout
était simple, ce ne serait plus une crise, juste une journée
normale au bureau.
3. Progression
La narration doit inclure des
déclencheurs et des points de décision critiques qui influencent
le déroulement de l'exercice.
Un scénario bien construit doit suivre une progression logique,
avec une montée en intensité. Cela permet aux participants de
s'immerger progressivement dans la crise et de développer une
réponse structurée. La narration doit inclure des déclencheurs et
des points de décision critiques qui influencent le déroulement de
l'exercice. Un peu comme une série télévisée dramatique, mais sans
les pauses publicitaires.
4. Personnalisation
Et concours de circonstances,
il avait neigé et le plan grand froid était réellement déclenché
!
Chaque organisation a des spécificités uniques. La narration doit
être adaptée aux besoins et aux caractéristiques de
l'organisation, en tenant compte de ses structures, de ses
processus et de ses vulnérabilités spécifiques. Cela rend
l'exercice plus pertinent et utile. Pour la ville de Montreuil
nous avons préparer un exercice dans lequel le plan grand froid
avait été déclenché (ce n’était pas l'objet de l'exercice, mais un
contexte particulier). Et concours de circonstances, il avait
neigé et le plan grand froid était réellement déclenché !
Les enseignements de Bremond sur la narration
Claude Bremond, un éminent théoricien de la narratologie, apporte
des perspectives précieuses sur la construction et l'analyse des
récits. Ses travaux mettent en lumière plusieurs aspects qui
peuvent enrichir la narration dans les exercices de crise.
1. Les séquences narratives
Bremond souligne l'importance
des séquences narratives, qui sont des enchaînements d'actions
et de réactions formant la structure du récit.
Bremond souligne l'importance des séquences narratives, qui sont
des enchaînements d'actions et de réactions formant la structure
du récit. Dans les exercices de crise, ces séquences permettent de
construire des scénarios dynamiques où chaque action des
participants entraîne une série de conséquences, rendant
l'exercice plus interactif et imprévisible.
2. Les fonctions narratives
Chaque élément du récit doit
remplir une fonction narrative spécifique, qu'il s'agisse de
déclencher une action, de poser un obstacle ou de résoudre une
tension.
Selon Bremond, chaque élément du récit doit remplir une fonction
narrative spécifique, qu'il s'agisse de déclencher une action, de
poser un obstacle ou de résoudre une tension. En appliquant cette
théorie, les scénarios de crise peuvent être conçus pour tester
des compétences particulières des participants, comme la prise de
décision, la gestion du stress ou la coordination d'équipe.
3. La multiplicité des parcours
Bremond propose également l'idée que les récits peuvent avoir
plusieurs parcours possibles, dépendant des choix effectués par
les personnages. Cette approche est particulièrement pertinente
pour les exercices de crise, où différents scénarios peuvent être
explorés en fonction des décisions prises par les participants,
offrant ainsi une formation plus riche et variée.
4. L'importance du détail
Bremond insiste sur l'importance du détail dans la narration pour
rendre le récit crédible et engageant. Dans les exercices de
crise, les détails réalistes des scénarios, tels que les
descriptions précises des situations, des dialogues et des
réactions des personnages, aident à créer une immersion totale et
à préparer les participants à faire face à des crises réelles.
En pratique, procédés narratifs dans les exercices de crise
1. Personnification et rôles
La personnification aide
également à humaniser les scénarios, en créant des récits autour
des actions et des réactions des participants impliqués.
Les personnages sont un élément fondamental de la narration. En
assignant des rôles spécifiques aux participants (et à
l'animation), comme ceux de dirigeants, de responsables de la
communication ou d'experts techniques, on les plonge dans des
situations où ils doivent collaborer et prendre des décisions
basées sur leurs responsabilités respectives. La personnification
aide également à humaniser les scénarios, en créant des récits
autour des actions et des réactions des perticipants impliqués.
2. Lignes de temps
Les lignes de temps sont utilisées pour structurer la progression
de la crise. Elles permettent de simuler le déroulement des
événements en temps réel, avec des jalons spécifiques qui
déclenchent des actions ou des décisions. Cette approche
chronologique aide les participants à comprendre l'évolution d'une
crise et à adapter leur réponse en fonction des développements
successifs.
3. Points de décision
Les points de décision sont des moments clés dans le scénario
où les participants doivent prendre des décisions critiques.
Les points de décision sont des moments clés dans le scénario où
les participants doivent prendre des décisions critiques. Ces
points sont souvent conçus pour tester la capacité de prise de
décision sous pression et l'efficacité des protocoles de
communication et de coordination. Les décisions prises à ces
moments peuvent influencer le déroulement ultérieur de la crise,
ajoutant une dimension interactive et dynamique à l'exercice.
Parce que rien ne pimente une journée comme une décision qui
pourrait renverser la situation.
4. Surprises et virages narratifs
Pour simuler la nature imprévisible des crises réelles, les
scénarios peuvent inclure des surprises et des virages narratifs
inattendus. Ces éléments peuvent être des nouveaux développements,
des complications supplémentaires ou des informations
contradictoires qui forcent les participants à réévaluer leurs
stratégies et à s'adapter rapidement. Comme un épisode de votre
série préférée où le gentil devient soudainement le méchant.
5. Feedback en temps réel
Le feedback en temps réel est un procédé narratif où les
simulateurs fournissent des informations et des évaluations
continues aux participants. Cela peut inclure des mises à jour sur
la situation, des évaluations de l'efficacité des actions prises
ou des indications sur les conséquences potentielles des
décisions. Ce procédé aide à maintenir l'engagement des
participants et à les guider tout au long de l'exercice. Nous
avons un petit secret chez HEIDERICH, mais on le garde pour nous.
6. Utilisation de médias
L'intégration de différents médias (vidéos, enregistrements audio,
documents écrits, etc.) enrichit la narration en ajoutant des
éléments visuels et auditifs. Ces médias peuvent être utilisés
pour simuler des conférences de presse, des rapports de terrain,
des communications internes et externes, offrant ainsi une
expérience plus immersive et réaliste.
La mise en œuvre de la narration dans les exercices de crise
Préparation des scénarios
Dans les séries TV, une bible
des personnages décrit tout leur passé, leurs goûts, leur
couleur préférée, etc. Sans aller jusque-là, on peut tout de
même donner aux animateurs des caractéristiques spécifiques des
personnages qu'ils interprètent.
La première étape de la mise en œuvre de la narration consiste à
élaborer des scénarios détaillés. Cela nécessite une collaboration
entre des experts en gestion de crise, des narrateurs
expérimentés, et des membres de l'organisation. Les scénarios
doivent être documentés de manière exhaustive, avec des scripts,
des fiches de personnages et des chronologies. Le savez-vous ?
Dans les séries TV, une bible des personnages décrit tout leur
passé, leurs goûts, leur couleur préférée, etc. Sans aller
jusque-là, on peut tout de même donner aux animateurs des
caractéristiques spécifiques des personnages qu'ils interprètent.
Simulation et rétroaction
Une fois les scénarios prêts, ils sont utilisés dans des exercices
de simulation. Pendant ces exercices, la narration guide les
actions des participants et les interactions entre les différents
rôles. Les simulateurs, qui jouent souvent le rôle de divers
acteurs externes, suivent le script pour maintenir la cohérence de
l'exercice.
Après l'exercice, une phase de débriefing est essentielle pour
analyser les performances des participants. La narration joue un
rôle clé dans cette phase, en fournissant un cadre pour évaluer la
pertinence des décisions prises et la coordination des actions.
Les retours sont utilisés pour affiner les scénarios et améliorer
les futures formations.
Études de Cas : exemples pratiques
Exemple 1 : Exercice de pandémie
Lors d'un exercice de pandémie, un scénario narratif pourrait
inclure la propagation d'un virus fictif, avec des informations
sur les symptômes, les modes de transmission et les impacts sur
les infrastructures de santé. La narration guiderait les
participants à travers les différentes phases de la crise, de
l'identification des premiers cas à la mise en place de mesures de
quarantaine et de traitement. Une véritable aventure
épidémiologique, sans avoir à toucher à une pipette ou à enfiler
une combinaison hazmat.
Exemple 2 : Cyberattaque
Pour un exercice de cyberattaque, le scénario pourrait décrire une
série d'attaques coordonnées sur les systèmes informatiques de
l'organisation. La narration inclurait des détails sur les types
de logiciels malveillants utilisés, les vecteurs d'attaque et les
effets sur les opérations. Les participants devraient réagir en
suivant les protocoles de cybersécurité et en communiquant avec
les parties prenantes internes et externes.
Conclusion
La narration joue un rôle central dans les exercices de crise, en
créant des scénarios immersifs et réalistes qui préparent les
participants à gérer des situations complexes et imprévisibles. En
intégrant des éléments de réalisme, de complexité, de progression
et de personnalisation, la narration permet de simuler des crises
de manière efficace et de renforcer les capacités de gestion des
organisations.
Les procédés narratifs tels que la personnification, les lignes de
temps, les points de décision, les surprises, le feedback en temps
réel et l'utilisation de médias enrichissent encore ces exercices,
offrant une opportunité précieuse d'apprentissage et
d'amélioration continue, contribuant ainsi à une meilleure
résilience face aux crises futures.
En s'appuyant sur les enseignements de Bremond, les scénarios
peuvent être conçus de manière encore plus stratégique et
efficace, maximisant l'impact et la valeur des exercices de crise.
Didier Heiderich
*
La logique des possibles narratifs, Claude Bremond, Communications
Année 1966 8 pp. 60-76
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1966_num_8_1_1115
(c)
Août 2024, tous
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