Théorie du chaos et effet
papillon : une brève exploration de la nature des crises
Didier Heiderich
L’ingénieur est depuis longtemps confronté à la théorie des
systèmes, de leur dynamique dans une approche systémique. Nous
pouvons nous interroger sur l’approche mathématique dans le
domaine complexe de la gestion des crises, de ce qu’elle apporte
dans la compréhension des intrications et des imprévisibilités des
événements. La théorie du chaos et le concept connexe de l'effet
papillon fournissent un cadre de réflexion pour appréhender ces
dynamiques. Ces concepts, issus des mathématiques et de la
météorologie, offrent des perspectives profondes sur la nature
imprévisible des crises et les défis qu'elles posent.
La théorie du chaos : un aperçu
La théorie du chaos, développée dans les années 1960, étudie
comment des systèmes dynamiques, soumis à des conditions initiales
sensibles, peuvent présenter un comportement extrêmement
imprévisible sur de longues périodes. Cette théorie souligne qu'un
petit changement dans les conditions initiales d'un système peut
conduire à des résultats radicalement différents, rendant ainsi la
prédiction à long terme extrêmement difficile, voire impossible.
Application aux crises
Dans le contexte des crises, cette théorie suggère que les
événements de crise sont le résultat de systèmes complexes et
interdépendants. Ces systèmes peuvent inclure des facteurs
environnementaux, économiques, sociaux et politiques, chacun
interagissant de manière complexe. Comprendre comment ces systèmes
s'entremêlent est essentiel pour anticiper et gérer les crises.
L'Effet Papillon : petites causes, grandes conséquences
L'effet papillon, un terme popularisé par Edward Lorenz, décrit
comment de petites variations dans un système peuvent provoquer
des changements drastiques. L'idée qu'un battement d'ailes de
papillon au Brésil pourrait déclencher une tornade au Texas
illustre symboliquement cette sensibilité aux conditions
initiales. En gestion de crise, cela signifie qu'un événement
apparemment mineur peut déclencher une série de réactions en
chaîne, menant à une crise majeure.
Implications pour la gestion des crises
La compréhension de ces concepts est intéressant pour les
gestionnaires de crise. Elle implique la reconnaissance que les
crises peuvent émerger de manière inattendue et évoluer
rapidement, défiant les modèles de prédiction traditionnels.
1. Surveillance et Prévention :
Une surveillance constante des systèmes et des signaux faibles est
nécessaire. Les gestionnaires de crises doivent être attentifs aux
petits changements qui pourraient indiquer des tendances ou des
problèmes émergents. En cela nous pouvons être aujourd’hui aidés
par des outils comme ceux développés par
l’Institut des systèmes complexes du CNRS
destinés à traiter des nombres importants de données pour
en déduire les systèmes émergents.
2. Flexibilité et adaptabilité :
Face à l'incertitude, les plans de crise devraient être flexibles
et capables de s'adapter à des scénarios en constante évolution.
La capacité à pivoter rapidement en réponse à de nouvelles
informations est cruciale.
3. Analyse systémique :
Une approche systémique, qui considère l'interconnexion des
différents facteurs et acteurs, est nécessaire pour comprendre la
nature complexe des crises. Trop souvent polarisée sur la
communication de crise, la gestion de crise a tendance à exclure
la boite à outils des ingénieurs qui parait trop complexe, mais
qui recèle pourtant des trésors utilisés par les assurances et les
banques (la MACD, les transformés de Fourrier, équations
différentielles non linéaires…)
4. Gestion de l’incertitude :
Les gestionnaires se doivent développer des stratégies pour gérer
l'incertitude inhérente aux crises, c’est une évidence. Cela
inclut la préparation à divers scénarios et la construction de
capacités de résilience. Souvent, les études approfondies
«
mettent en évidence par exemple que le scénario considéré
comme le plus probable de se réaliser n’était pas celui souhaité.
Connaissant les valeurs des facteurs clés caractérisant chacun
d’eux, il est désormais possible d’agir sur ceux-ci pour
influencer le futur vers lequel nous nous dirigeons en
connaissance de cause.
» et donc d’atténuer l’effet papillon
En somme...
La théorie du chaos et l'effet papillon offrent des cadres
intéressants pour comprendre la complexité et l'imprévisibilité
des crises. En intégrant ces principes dans la gestion des crises,
les professionnels peuvent mieux se préparer et répondre aux défis
dynamiques et souvent inattendus des situations de crise. Cette
approche nécessite une vigilance constante, une flexibilité
stratégique et une compréhension profonde des systèmes complexes
dans lesquels les crises se manifestent.
Didier Heiderich
Didier Heiderich est ingénieur CESI, président de
l’Observatoire International des Crises, auteur de « Rumeur sur
Internet » (2004) et de « Plan de gestion de crise » (2010).
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Janvier 2024, tous
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