L'Effet Dunning-Kruger: un danger silencieux en gestion de crise

Didier Heiderich

 « Ce n'est pas la charge, mais l'excès de charge qui tue la bête. », Miguel de Cervantès, Don Quichotte

Dans le monde volatile et incertain d'aujourd'hui, la gestion efficace des crises est plus cruciale que jamais. Cependant, un phénomène psychologique insidieux menace souvent le succès de ce processus : l'effet Dunning-Kruger. Identifié par les psychologues sociaux David Dunning et Justin Kruger, ce biais cognitif se manifeste lorsque des individus incompétents dans un domaine surestiment leur compétence, tandis que ceux qui sont compétents la sous-estiment. En situation de crise, ce décalage de perception peut avoir des conséquences désastreuses.

Ignorance inconsciente et confiance excessive

Ceux qui souffrent de l'effet Dunning-Kruger,  peuvent se trouver dans une position "d'ignorance inconsciente"

Lorsqu'une crise éclate, la prise de décision rapide et éclairée est essentielle. Ceux qui souffrent de l'effet Dunning-Kruger, cependant, peuvent se trouver dans une position d'"ignorance inconsciente". Ils ne reconnaissent pas les limites de leur savoir, ce qui peut mener à des décisions prématurées ou mal informées. Cette confiance excessive peut entraver la capacité à reconnaître les signaux, refuser de solliciter des conseils d'experts ou ajuster les plans en fonction de nouvelles informations, aggravant potentiellement la crise, faute de discernement.

Le Dilemme des Experts

Paradoxalement, les individus compétents peuvent aussi être handicapés par l'effet Dunning-Kruger, car ils ont tendance à sous-estimer leur compétence. En situation de crise, ils peuvent hésiter à prendre des mesures audacieuses ou à communiquer leurs perspectives, supposant que les autres possèdent un niveau de compréhension similaire. Cette retenue peut retarder l'intervention cruciale des experts, laissant le champ libre aux moins compétents pour diriger la réponse à la crise.

Risques organisationnels et sociétaux

L'effet Dunning-Kruger peut engendrer une culture où la confiance en soi remplace la compétence

À un niveau organisationnel, l'effet Dunning-Kruger peut engendrer une culture où la confiance en soi remplace la compétence, les positions de leadership étant occupées par ceux qui "parlent le mieux" plutôt que ceux qui "savent le mieux". En période de crise, cela peut entraver la communication transparente, la collaboration et l'innovation - des éléments vitaux pour une réponse efficace.

À une échelle plus large, lorsque les leaders politiques et sociaux succombent à cet effet, les conséquences peuvent être ressenties à l'échelle nationale, voire mondiale. Les mauvaises décisions prises en toute confiance peuvent conduire à des catastrophes sanitaires, environnementales, ou économiques, affectant des millions de vies.

Contre-mesures proactives

Promouvoir la diversité des perspectives dans les équipes de gestion de crise peut aider à contrecarrer les angles morts cognitifs

La reconnaissance et la mitigation de l'effet Dunning-Kruger nécessitent une introspection individuelle et une vigilance organisationnelle. Les formations en conscience de soi, les évaluations de compétences, et les cultures organisationnelles qui valorisent l'apprentissage continu et le feedback honnête sont essentielles. De plus, promouvoir la diversité des perspectives dans les équipes de gestion de crise peut aider à contrecarrer les angles morts cognitifs et à encourager la remise en question constructive.

En période de crise, reconnaître les limites de notre propre savoir peut être aussi important que de comprendre la crise elle-même. En tant que société, il est impératif de veiller à ce que la compétence véritable guide nos réponses en temps de crise, et non une confiance mal placée née de l'ignorance inconsciente. L'effet Dunning-Kruger n'est pas simplement un piège psychologique ; c'est un risque sociétal que nous devons activement gérer et atténuer.

Didier Heiderich est ingénieur CESI, président de l’Observatoire International des Crises, auteur de « Rumeur sur Internet » (2004) et de « Plan de gestion de crise » (2010).