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Ce que nous apprend Umberto Eco sur la communication de crise

Ce que nous apprend Umberto Eco sur la communication de crise
Irene Proto et Didier Heiderich

 

Umberto Eco, 1932 - 2016
 

 

 

 

 

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« L'écrivain essaie d'échapper aux interprétations, non pas nécessairement parce qu'il n'y en a pas, mais parce qu'il y en a peut-être plusieurs et qu'il ne veut pas arrêter les lecteurs sur une seule ». - Umberto Eco

Dès 1962, avec l’Opera aperta, l’universitaire et écrivain italien Umberto Eco s’interrogeait sur la coopération du lecteur dans la construction d’un texte . L’importance de cette interprétation coopérative deviendra, quelques années plus tard, le sujet central de l’œuvre Lector in fabula (1979). Le titre évoque l’expression proverbiale lupus in fabula pour indiquer que tout comme le loup, animal souvent présent dans les récits, le lecteur fait partie intégrante du texte. Mais Umberto Eco va plus loin en soutenant que le lecteur participe à la création du récit, en tant que co-auteur du texte.

De ce fait, l’action de lire ne consiste plus dans la découverte des intentions explicites de l’auteur du texte, mais dans l’activation des possibilités du sens que le texte permet.

Les parties prenantes et leurs relations

Au moment où nous décidons de lire un texte, nous acceptons tacitement un pacte fictif avec l'auteur, dans lequel nous nous engageons à suspendre notre incrédulité face au récit. Selon Eco, l’auteur et le lecteur ne sont pas deux entités, mais quatre : l’auteur empirique et l’auteur modèle, le lecteur empirique et le lecteur modèle.

L’auteur empirique et le lecteur empirique sont les deux personnes physiques qui ont pour missions d’écrire le texte (l’auteur) et de le lire (le lecteur). Cependant, le lecteur modèle est celui qui est espéré dans sa lecture du texte et imaginé par l’auteur modèle. Ce lecteur est capable de « jouer » et de « collaborer » avec l’auteur dans l’interprétation du texte. L’auteur modèle, quant à lui, n’est pas indépendant du lecteur modèle : ils se construisent l'un l'autre à travers la lecture du récit et la finalité de celui-ci.

Afin de comprendre les implications qui dérivent de l’existence de ces quatre parties prenantes, nous introduisons ici une autre distinction : un texte peut être « fermé » ou « ouvert ».

Le texte fermé prévoit un lecteur modèle déterminé avec la volonté de produire sur celui-ci un effet clair et prédéfini. Au contraire, le texte ouvert accepte une part de liberté d’interprétation par le lecteur modèle. Parfois, dans le cas du texte fermé, si le lecteur modèle imaginé par l’auteur ne correspond pas à celui souhaité, l’objectif ne pourra pas être atteint, ce peut être le cas en communication de crise d’un communiqué de presse. Parallèlement, cette situation peut se vérifier lorsque le lecteur empirique n’arrive pas à discerner qui est l’auteur modèle. Dans ce cas, le lecteur interprète le texte selon ce qu’il imagine que l’auteur empirique voulait lui dire, ce qui rend impossible la rencontre entre l’auteur et le lecteur modèle, et par conséquent, en empêchant la coopération interprétative du texte.


Les étapes du procédé co-interprétatif

La première étape du procédé d’interprétation consiste dans la volonté du lecteur de comprendre les thématiques que le texte aborde. C'est l'étape où le lecteur se demande « mais de quoi parle le texte ? ».

Dans cette phase, le lecteur ne peut pas encore exprimer des jugements définitifs sur le texte, il peut seulement se demander, par exemple, si le texte aborde un monde réel ou possible . En poursuivant la lecture, le lecteur sera spontanément amené à utiliser les notions qu’il connait déjà pour donner du sens au texte. Pour cela, il puisera dans son bagage culturel pour en tirer des éléments qui lui semblent superposables au récit. Il y aura évidemment des catégories qui répondent au « sens commun » et qui sont donc traçables par chaque lecteur, et d’autres – qu’Eco appelle des « scénographies intertextuelles » - qui seront identifiables par un groupe restreint d’individus appartenant à un domaine culturel déterminé.

Dans cette constatation nous pouvons déduire une des leçons fondamentales d’Umberto Eco : la lecture est toujours influencée par ce que nous avons déjà lu (et vécu) et qui nous permet d’accéder à des frames ; des structures qui nous permettent de mettre en place à la fois des stéréotypes de personnages, des prévisions de déroulement de situation, ou de considérer des informations comme implicites. Le lecteur modèle est donc celui qui est capable d’accéder à ces frames auxquels l’auteur modèle voulait l’amener.

La deuxième étape du procédé consiste dans la construction des « structures narratives », c’est-à-dire l'identification de la trame et de l'articulation de l'intrigue narrative. Ce passage se réalise à travers des « promenades inférentielles » où le lecteur, une fois qu’il a identifié le thème du texte, commence à en prévoir les séquences ou pour le dire autrement, ce qu’il va se passer dans l’histoire.

Ce travail de prévision consiste dans la configuration de « mondes possibles » que le texte pourra produire. Pour accomplir cette tâche, le lecteur doit sortir du texte, le confronter avec ses connaissances, en tirer des similitudes et des différences, faire donc des « promenades », entre le monde fictif du récit et son monde réel, à chaque croisement qu’il rencontre dans l’histoire et qui l’amène à prévoir le développement de l’histoire avec un processus décisionnel. Ces bifurcations narratives sont identifiées par les signaux laissés par l'auteur. Il s’agit de ralentis, de l’augmentation soudaine du descriptif, de l’insertion de détails dans le texte.

Le choix du chemin à suivre s’avère complexe lorsque le lecteur craint d'être délibérément confondu par le narrateur. Il doit alors "autolimiter" sa liberté de choix, en essayant de s’orienter vers des « choix raisonnables », tandis qu’il y a une irruption continue de la fiction dans la réalité et vice versa. C’est à travers ce procédé que le lecteur peut ressentir de l’empathie avec les personnages et l’histoire. Aussi, dans cette démarche que le lecteur pourra accéder à la troisième étape du procédé interprétatif : le moment où la lecture atteint la structure profonde du texte et peut actualiser son potentiel en choisissant entre les différentes possibilités significatives de celui-ci.

Qu’est-ce qu’Eco nous dit alors à travers le procédé interprétatif ?

Il nous suggère que l’interprétation d’un texte ne consiste jamais en un processus neutre, mais que le lecteur – qui est le récepteur de la communication – y joue un rôle actif, donc l’interprétation du message sera forcément influencée par la subjectivité de son destinataire. Les effets souhaités de chaque communication peuvent donc être pervers si nous n’avons pas correctement imaginé le récepteur. Pour éviter ces effets pervers, il faut appliquer une bonne stratégie et bien définir le lecteur modèle et l’auteur modèle. La communication a donc quatre caractéristiques : elle doit être projective et stratégique, mais aussi procédurale et interactive.

En effet, Umberto Eco parle du texte comme d’une « machine paresseuse », qui nécessite, pour fonctionner, l’intervention active de son récepteur, qui est chargé de combler « les vides », car chaque texte inclut de nombreux « non-dit » qui doivent être comblés par l’effort collaboratif du lecteur, au risque d'échouer.

 

Quelles leçons pour la communication de crise ?

1. Le récepteur d’un message ne se limite pas à son interprétation, mais participe de sa construction. La communication de crise doit investir les deux champs, celui du signifiant et le signifié. Il est par conséquent important de désigner les « destinataires modèles » qui pourront contribuer (si possible) positivement au récit. Il s’agit donc de savoir à qui la communication s’adresse en priorité (un consommateur lésé, une autorité de tutelle, le grand public, des investisseurs…)

2. Ceci pose le problème de l’interprétation du message par le récepteur qui va « lire entre les lignes » et combler les vides du message. Il est donc important de connaitre la liberté laissée au récepteur dans la structure narrative, en sachant que sans liberté, il n’y a pas de co-construction et par conséquent d’appropriation du message. En d’autres termes, sans impliquer le récepteur, ou plutôt les récepteurs du message, il est impossible de réussir le processus de « sense making » qui est fondamental dans la communication de crise.

3. Ainsi les « non-dit » et les indices sont aussi importants que ce qui est dit, le récepteur d’un message en communication de crise, va ainsi recréer le récit pour le rendre cohérent et compatible avec sa culture. Il faut savoir déterminer la façon dont le message, non seulement sera reconstruit par le récepteur. Pour ce faire, il faut apprendre à connaitre ses interlocuteurs, leur culture, leurs valeurs, leurs biographies et leurs expériences, en les identifiant d'abord et en activant ensuite l'écoute empathique qui, à l'instar des « promenades inférentielles » d'Eco, implique une immersion cyclique dans la sphère de l'autre et de soi-même sans s’y enfermer.

4. Ne demeure pas moins l’interférence des préjugés et des stéréotypes dans la réception de la communication, ceux si doivent être pris en considération, notamment dans la façon dont sont dites les choses, parfois plus importantes que ce qui est dit. D’où l’importance de connaitre les mécanismes mentaux et les biais cognitifs qui agissent dans la définition de la réalité par les individus.
 

5. Ainsi le crédit qui est donné au message ou à une succession de messages en communication de crise exige de définir la structure narrative, même fragmentée et dynamique, et donc de scénariser afin de gagner en crédibilité. Ce besoin d'anticipation se manifeste des deux côtés, de celui qui transmet et de ceux qui reçoivent le message.
 

6. Dernier point et pas le moindre, le récepteur modèle, donc qui participe à la construction du message peut être un opposant. Ainsi, il est illusoire d’imaginer tout contrôler.

 

A lire

 " L'ŒUVRE OUVERTE ", par RAYMOND JEAN, publié le 05 mars 1966 dans Le Monde https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/03/05/l-uvre-ouverte_2698634_1819218.html


Pour compléter le sujet, lire « La coopération textuelle » par Lucie Guillemette et Josiane Cossette, Université du Québec à Trois-Rivières, Signo, http://www.signosemio.com/eco/cooperation-textuelle.asp

Geoffroy Brunson, Mondes possibles & univers fictionnels, Acta Fabula, mars 2012 https://www.fabula.org/acta/document6842.php

 


 



IP/DH

Irene Proto est consultante en gestion de crise chez TT&A Advisors, experte en gestion de la complexité, titulaire d’un master 2 en communication politique et institutionnelle de l’Università degli Studi di Torino, et d’un Executive Master in Complexity Management du Complexity Institute.

Didier Heiderich est ingénieur CESI, président de l’Observatoire International des Crises, auteur de « Rumeur sur Internet » (2004) et de « Plan de gestion de crise » (2010).















 

 (c) septembre 2022, tous droits réservés

 


 

 

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Actualité


Formation à la gestion de crise
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Une formation conjointe HEIDERICH Executive et Observatoire International des Crises

Informations sur la formation à la gestion de crise
 

France.Santé/Collectivité territoriale/IHEMI
Co-écriture de l’article « Covid-19 : un défi pour la gestion des crises sanitaires des Villes avec Anthony Meslé-Carole, directeur risques, résilience et gestion de crise de la Ville de Montreuil, dans le numéro des Cahiers de la sécurité et de la justice : « Vers une sécurité sanitaire ? Premières leçons d’une crise » édité par l’IHEMI, mars 2022
https://www.ihemi.fr/publications/cahiers-de-la-securite-et-de-la-justice/vers-une-securite-sanitaire-premieres-lecons-dune-crise

France.Forêts
Participation de Didier Heiderich au JTN du CNPF (Centre national de la propriété forestière),sur les enjeux sensibles et sociétaux, la communication sensible et de crise, mars 2022
 

Monde.Analyse
Comment la diplomatie du blé russe menace la sécurité alimentaire mondiale, par Didier Heiderich parue dans Les Echos, mars 2022
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-comment-la-diplomatie-du-ble-russe-menace-la-securite-alimentaire-mondiale-1392453

France.Conférence
Conférence de Didier Heiderich au CJD, décembre 2021 sur la gestion de crise

France.Analyse
Interview de Didier Heiderich dans l’Abécédaire « Nous sommes devenus intolérants au risque », novembre 21
https://www.labecedaire.fr/2021/11/09/nous-sommes-devenus-intolerants-au-risque/

France.Justice
Pour la 4e fois, l’Ecole Nationale de la Magistrature et l’Ena nous renouvellent leur confiance pour la formation des magistrats en poste à la communication médiatique de crise. 2021

Guadeloupe.CCI - "Webinar avec l'OIC clés de gestion et de communication de crise". Octobre 2020

 

France.Forêt - "WebTV avec l'OIC projet CHALFRAX : Le Frêne face à la chalarose, les défis de demain". Octobre 2020 - Voir

 

France.Communication - "Comment débattre des sujets qui font peur ?", Conférence Youmatter et l'Andra, juin 2020 - Lire le CR

 

Workshop. Brasil - São Paulo, 19 fev 2020 "Workshop de Gerenciamento e Comunicação de Crises Corporativas: da teoria à prática" - informação

 

Brésil.Conférence - "La gestion et la communication de crise en Amérique Latine : retour d'expérience", Intervenant : Eduardo Prestes, fondateur de Crisis Consulting Solutions (Brésil) organisée par l'OIC et HEIDERICH Consultants, le jeudi 9 mai 2019 à Paris - Lire

 

Maroc.Conférence - Conférence de Didier Heiderich sur la gestion et la communication de crise face au boycott à l'invitation d' APD Maroc. 28 juin 2018

 

 


 

 




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