La crise sanitaire du Covid 19 est
porteuse de beaucoup de leçons. Je voudrais juste pour
aujourd'hui en commenter une : celle de la résilience. En
chinois, le concept de crise signifie à la fois danger et
opportunité (voir ci-dessous). Et si l'on regardait un peu
du côté du second terme ?
Cette pandémie est l'occasion de rappeler quelques évidences
qui ont trop souvent été niées au cours du précédent siècle en
raison de la foi dans un progrès sans limite et de la capacité de
l'homme à maîtriser la nature :
1. Le risque zéro n'existe pas
2. L'homme ne maîtrise pas tout (et c'est heureux)
3. Les pouvoirs publics ne sont pas tout-puissants
4. Le citoyen est le premier acteur de sa propre sécurité...
et de celle de ses proches
5. La notion de risque n'est pas intuitive, notre
hiérarchisation des risques est faussée : le schéma de Slovic
montre que l'on a plus peur des risques que l'on ne voit pas (la
radioactivité par ex.) ou des risques que l'on ne maîtrise pas
soi-même (l'avion, par ex.) que d'autres risques que l'on tend à
banaliser.
6. Certains risques sont incertains dans leur occurrence,
dans leur existence même. La société ne peut pas tout prévoir,
tout anticiper
7. Dans sa demande de sécurité, le citoyen demande des
certitudes. Non, la gestion de crise ne peut pas donner de
garantie.
L'opportunité qui se présente consiste à impliquer le citoyen
et non plus à l'informer. Le confinement rend passif, d'où la
déferlante de critiques et la montée de la théorie du complot.
Sollicitons l'intelligence, mais pour cela il convient de faire
volte-face par rapport à la manière dont les pouvoirs publics ont
procédé jusqu'à présent. Quatre règles de conduite doivent dicter
la relation des pouvoirs publics aux citoyens :
1. Rendre visible la distinction de l'expertise et de la
décision: depuis une vingtaine d'années se sont développées
des agences en matière de sécurité sanitaire. Le gouvernement
assume la décision en prenant appui sur les connaissances et les
recommandations de cette expertise tierce et indépendante. Il faut
non seulement davantage communiquer sur cette expertise tierce,
veiller à sa totale indépendance (cf. la crise du médiator), mais
aussi la rendre plus accessible à la population, peut-être par un
portail internet commun renvoyant par thème à la production de
leurs données et avis traduits dans un langage clair et
accessible.
2. Former le citoyen à la notion de risque et de crise.
Risque et crise génèrent des angoisses et ne sont pas intuitives.
Ils nécessitent donc une formation, plus qu'une simple
information. Celle-ci doit commencer dès l'école, dans ses deux
dimensions d'apprentissage critique (vocation de l'école:
apprendre à penser sur des bases de connaissances solides) et
technique (renforcer les exercices, de type gestes qui sauvent,
évacuation incendie, confinement...). Plus largement, l'école met
les élèves en compétition, elle n'a pas encore mesuré combien la
coopération est attendue dans le monde professionnel, elle devrait
donc enseigner au travail en commun, à la production
collaborative, qui suppose la bienveillance et le soutien mutuel.
Cette formation au risque doit continuer dans la formation
professionnelle et continue et sur le lieu de travail. Des
exercices grandeur nature doivent impliquer les habitants de
quartiers exposés (par ex. exercices SEVESO), voire à l'échelle
d'une ville entière ou d'une région (ce qui est rendu possible par
le biais d'internet).
3. Faire du risque l'objet d'un débat démocratique. Il
est normal qu'au moment de son surgissement, la crise fasse
l'objet d'un pilotage par l'Etat et qu'à ce moment-là l'efficacité
suppose union nationale au plan politique et organisation
hiérarchique au plan de la mise en oeuvre. Mais la gestion de
crise doit donner lieu à un débat politique dans un second temps
(rapport public, commissions d'enquête parlementaires, débats dans
la presse) le plus ouvert possible aux citoyens. Bien plus, la
gestion de la crise elle-même sera bien plus efficace si le débat
politique a lieu en amont de la crise. Plutôt que d'empiler des
réformes législatives sur des sujets techniques ponctuels, le
parlement devrait se concentrer sur ce qui fait sens et s'entourer
de procédures novatrices telles que débats citoyens, conférences
de consensus ou encore sondages participatifs sur internet... La
question du vivre-ensemble pose naturellement celle des risques
auxquels collectivement la société accepte de s'exposer et jusqu'à
quel niveau, quel coût elle est prête à consentir pour quelle
protection...
4. Rééquilibrer la nécessaire liberté individuelle avec
l'indispensable cohésion sociale. Un être libre dans une
société sans contrainte n'existe pas. Le débat politique sur
l'équilibre entre individualisme et cohésion (la sécurité n'"étant
qu'un aspect de la cohésion) doit déboucher sur des outils
concrets de construction de cette cohésion. Faut-il il une dose de
service civique universel? Pour quel objectif? La puissance
publique doit-elle encourager et soutenir financièrement les
associations qui oeuvrent pour plus de cohésion sociale? Ma
conviction est que la puissance publique a pour mission première
d'encourager les solidarités interindividuelles plutôt que de s'y
substituer, donc de soutenir les associations, les initiatives qui
promeuvent les liens de voisinage (fêtes de rue ou de quartier),
la solidarité interâges, la mixité sociale (comme les centres
sociaux), la capacité d'initiative et d'autonomie (comme le
scoutisme), qui construisent le vivre ensemble (le projet 2000
cafés du groupe SOS), le dialogue et l'écoute bienveillante (les
visiteurs de prison, les associations de visite aux personnes
isolées). La fraternité, troisième terme de la devise
républicaine, est difficile à construire et faire vivre, elle est
complémentaire de la solidarité instituée (sécurité sociale) et ne
se traduit pas par des versements de subsides aux personnes, mais
de soutien financier aux institutions qui tissent le tissu social.
Ma conviction est que chaque personne devrait adhérer à
l'association (ou au syndicat ou au parti politique) de son choix
et lui consacrer une heure par semaine, bénévolement. Cet
engagement donnerait lieu à une formation et à un diplôme
(secourisme, action sociale, médiation...) qui pourraient être
utiles dans la vie professionnelle.
Au total, seule la cohésion sociale est le soubassement de
l'indispensable résilience face aux crises. Une société
désunie prête le flanc aux crises. Une société unie y fait face.
L'ensemble du tissu social doit être en mesure de résister aux
chocs, de l'individu jusqu'au sommet de l'Etat. Sortons de
l'illusion que l'Etat est responsable. La responsabilité, c'est
d'assumer nos décisions. Nous sommes tous responsables, chacun de
nous.
Eric Pélisson est ancien directeur de la formation de l'ENA,
formateur en gestion de risque et gestion de crise, auteur de
manuel de préparation au concours d'officier de sapeurs-pompiers,
auteur d'articles en gestion de crise et communication de crise
(c)
juillet
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