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« Aucune crise ne ressemble à une autre. Les retours
d’expérience sont toujours très hasardeux. En France, on adore
créer des cathédrales opérationnelles qui, quelquefois, se
révèlent être un carcan plutôt qu’une aide à la décision » -
Roselyne Bachelot, mars 2020
Dans le management de crise, par nature, par habitude, par
facilité, nous voulons préparer, planifier, organiser. Pour cela
nous réalisons une évaluation des risques, élaborons des
scénarios, définissons des process, et organisons de l’ensemble en
cellule de crise. Les organisations les mieux préparées à la
gestion des crises semblent être celles qui auront dressé
plusieurs « scénarios de crise » avec des plans d’action prêts à
être mis en œuvre… jusqu’au moment où la crise éclate réellement
avec son cortège d’imprévus. Et à l’imprévisible, nous voulons
faire coïncider le plan : n’est-ce pas paradoxale ?
La planification est surtout envisageable dans un univers figé
et dont l’horizon lointain peut être déterminé, ce qui est
rarement le cas des crises qui nous imposent d’autres formes de
gestion.
Prenons le cas de la crise du coronavirus. Gérer la crise
provoquée par la COVID-19 est une gagure alors que s’affrontent
les incertitudes. Car les incertitudes jalonnent cette crise, sur
sa durée, sur la méconnaissance du virus, sur le risque de
deuxième vague, sur l’immunité collective. Incertitudes encore sur
les traitements, la possibilité d’un vaccin ou sur les mauvaises
surprises que nous réserve ce virus capable de retourner le
système immunitaire contre son hôte. Ajoutons l’imprévisible
conseil scientifique qui s’est imposé dans les médias en publiant
ses avis, parfois pour contredire les décisions politiques et pour
finir l’inconnu des conséquences sociales et économiques. Dans le
monde transfiguré par la COVID-19, les projections sont
incertaines, l’horizon est flou et les réponses empiriques.
C’est le cas de nombreuses crises et l’anthologie des crises
nous rappelle qu’elles sont protéiformes et que tout juste,
pouvons-nous en prévoir les contours et préparer des modes
d’action.
C’est pourquoi nous proposons de réfléchir à des méthodes de
management de l’imprévisible appliquées aux crises. Voici quelques
pistes de réflexion pour une autre visions de la gestion de crise.
Piste 1 – Instaurer une culture de l’imprévisible dans les
organisations. Les crises ont de l’imagination et recèlent une
part d’incertitude qu’il faut accepter et si possible évaluer.
Prenons le cas d’un accident qui concerne une activité à risque
comme la chimie. Les sites dangereux font l’objet de nombreuses
études destinées à réduire les risques, mais aussi à se préparer
au pire avec des plans d’intervention très détaillés avec des
procédures de gestion de crise et de communication de crise. Or,
le pire intervient lorsque des facteurs inattendus deviennent
déterminants. Se préparer à gérer l’imprévisible exige de dépasser
le plan en instaurant une véritable culture de l’imprévisible, du
risque et de la gestion de crise au sein des organisations.
Piste 2 – Admettre les nouveaux acteurs. En situation de
crise, une organisation se trouve soumise à de nombreuses
pressions issues d’un univers dont les ramifications et les
contours ne lui sont pas familiers. Dans une crise, les acteurs «
nouveaux venus » jouent un rôle souvent déterminant. Vouloir
évincer les nouveaux venus lors d’une situation de crise, déclarer
leur illégalité, leur illégitimité est souvent inutile. Se
préparer à la crise consiste à élargir sa connaissance du corps
social, de son fonctionnement, de ses attentes et d’établir des
relations publiques de crise.
Piste 3 – Savoir et comprendre. Le management de
l’information se révèle crucial en situation de crise. Si
organiser préalablement les circuits d’information et les
processus de management est indispensable, cela peut s’avérer
insuffisant. Un système de gestion d’information en univers
imprévisible devrait posséder l’aptitude de se réorganiser en
permanence. Mais l’information sans la capacité de l’interpréter
correctement a peu de valeur. Il s’agit donc de se préparer à
comprendre l’information autant qu’à la recevoir ce qui exige de
mobiliser des savoirs souvent présents dans une organisation,
parfois dans ses territoires les plus reculés.
Piste 4 – Définir des orientations et favoriser
l’initiative. En situation de crise, les acteurs attendent des
orientations. Celles-ci sont primordiales : elles vont définir le
devenir de la crise. Une fois une direction donnée, plusieurs
chemins sont possibles pour atteindre un objectif. Il s’agit de
favoriser l’initiative qui permettra d’ouvrir de nouvelles voies
dans la résolution de la crise et d’éviter de s’enfermer dans des
solutions uniques.
Piste 5 – Fixer des objectifs plutôt que d’attendre des
résultats. Dans un monde incertain, la logique de résultat
bride les initiatives, ne permet pas de voir les bénéfices non
mesurés d’une gestion de crise réussie et en final favorise
l’échec. Plutôt qu’une logique de résultat, nous proposons de
favoriser une logique d’objectifs qui laisse la place à
l’imagination, permet le dépassement.
Piste 6 - S’adapter pour mieux agir. Un autre principe
pourrait reposer dans la capacité d’adapter la stratégie de
gestion et de communication de crise aux modifications des
paramètres, des connaissances et à l’évolution de l’environnement
de la crise : inutile de continuer sur un chemin si on s’aperçoit
que l’on fonce droit contre un mur. Evident ? Pas forcément.
S’enfermer dans une décision absurde est un truisme de la gestion
de crise qui a souvent conduit à des catastrophes.
Piste 7 – Multiplier pour créer les opportunités. Le
management de projet classique se fait par contraintes, tend à
créer des processus et des chemins critiques : si un des éléments
du processus cède, l’ensemble de la gestion de crise s’effondre.
Si une seule et unique stratégie de gestion de crise est mise en
œuvre, l’échec de cette stratégie conduira à l’échec de
l’ensemble. De notre point de vue, il faudrait en situation de
crise de travailler sur plusieurs options et micro-projets pour
multiplier les opportunités. C’est ce que Total a réalisé à lors
du blowout d’Elgin avec « la mise en œuvre de solutions parallèles
au lieu d’opter pour un plan A suivi d’un plan B est une leçon
tirée de l’expérience de Deepwater Horizon dans le Golfe du
Mexique ».
Piste 8 - Coopérer pour générer du profit immatériel.
Coopérer permet de multiplier les alliés jusqu’à l’obtention de
masses critiques qui pèseront sur la résolution de la crise. La
coopération génère du profit immatériel : elle influence les
opinions publiques et ouvre des espaces d’opportunité. Mais la
coopération repose sur des principes difficiles à instaurer dans
la crise : il s’agit de satisfaire les besoins individuels et
collectifs en les plaçant dans une perspective d’ensemble avec un
horizon qui dépasse le paysage de la crise.
Piste 9 – Economiser pour mieux gérer. En situation de
crise, il est possible de perdre rapidement du temps en le
consacrant à l’inutile, au nuisible, au négatif. Faire l’économie
d’un bien aussi précieux que le temps, en mobilisant les
ressources là où elles sont nécessaires, semble être une meilleure
solution que de les mobiliser là où des pressions tentent de les
contraindre. Il est essentiel de conserver le choix du terrain de
la crise et les ressources seront mieux utilisées si elles servent
à réduire les impacts et les véritables menaces.
Piste 10 – Faciliter pour ne pas avoir à gérer. En
situation de crise et en univers incertain, vouloir tout contrôler
semble impossible. Nous proposons de faciliter le travail de ceux
qui sont chargés de réduire les impacts de la crise pour leur
permettre une autonomie régulée par la compétence. Cela exige de
prendre garde de ne pas mobiliser les équipes au-delà de leurs
compétences, ceci afin d’éviter de générer du stress et d’avoir à
gérer des erreurs.
DH., juillet 2020
* Mise à jour de l’article paru en juin 2003 intitulé «
L’avenir appartient au management de l’imprévisible, »
Bibliographie :
Mintzberg Henry, Ahlstrand Bruce, Joseph Lampel, Safari en pays
stratégie, éditions Le village mondial, 1999
Urich Beck, La société du risque, éditions ALTO Aubier, 2001
« Total Elgin, pourquoi la crise n’a pas eu lieu », Didier
Heiderich, dans Sécurité et stratégie 2012/3 (10), pages 12 à 14
https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2012-3-page-12.htm?contenu=resume#
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