La communication financière de crise : un jeu d’équilibriste
Par Didier Heiderich
Article paru dans :
La communication financière de crise
N°24 du Magazine de la communication de crise et sensible,
Février 2017
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ISSN 2266-6575 |
« L’information permanente consiste en l'obligation, pour
tous les émetteurs dont les titres sont cotés, de rendre publique,
dès que possible, toute information privilégiée. », règlement (UE)
n°596/2014 du 16 avril 2014
La communication financière de crise pourrait sembler se
limiter à être une somme de communiqués de presse, destinés, comme
l’exige la réglementation des marchés financiers, à « rendre
publique, dès que possible, toute information privilégiée ».
Toutefois, il convient de noter que l’exercice même de la
rédaction d’un communiqué de presse se complexifie dès lors qu’il
est émis par une société cotée en bourse car il doit inclure dès
lors les dimensions économique et sociale et répondre aux
différentes réglementations.
La communication financière au quotidien
Nous nous proposons de ne pas analyser le cas des sociétés du
CAC 40, pour nous intéresser au reste des entreprises cotées (au
nombre de 45000 selon les chiffres 2015 de la Banque Mondiale ), à
savoir des entreprises grandes ou moyennes voire des jeunes
pousses ambitieuses. La plupart de ces entreprises ont besoin de
faire appel au marché pour financer un développement prometteur à
moyen ou long terme alors que d’autres sont installées plusieurs
années. Les entreprises cotées fournissent une information
régulière à l’actionnariat sur leurs perspectives, savamment dosée
pour à la fois séduire les investisseurs et éviter de fournir à
leurs concurrents des informations confidentielles. C’est un art
consommé, qui s’est affiné progressivement depuis une vingtaine
d’années, pour intégrer une part de communication économique, ce
qui permet de marier information et communication, en restant dans
les limites légales, et tout en nourrissant les analystes de
données techniques dans l’antique logique du two-step flow. Cette
cuisine connait des hauts et des bas et les entreprises se font
accompagner de conseils en communication financière, généralement
centrés sur les communiqués, les rapports et les AG pour rentre
compte du merveilleux de leurs actifs.
La complexité des crises face à l’obligation d’informer
Une crise, par définition, met en péril l’avenir d’une
entreprise et peut remettre en cause gravement sa direction. Il ne
s’agit pas ici d’évoquer des soubresauts, quelques tweets
rageurs ou épiphénomènes, mais plutôt d’accident lors d’un essai
clinique, la perte conséquente d’un marché, de la découverte d’une
fraude, du risque de suspension d’une AMM ou encore d’une
non-conformité, par exemple de la viande de cheval qui remplace du
bœuf. Pour une entreprise cotée, une crise représente une gagure,
en raison des multiples dimensions et des incertitudes que
l’événement recèle et encore plus lorsqu’elle est encore contenue
et hors du scope de la presse, en équilibre sur un fil tendu entre
l’événement et l’obligation de rendre publique l’information
privilégiée « dès que possible ». Le risque communicationnel n’est
pas négligeable, notamment si on considère que d’une part,
l’entreprise est déjà en difficulté et doit plus que jamais
pouvoir conserver la confiance des investisseurs. Alors que
l’entreprise doit se débattre avec la crise, répondre aux
obligations réglementaires de sa gestion, de chercher les
solutions lui permettant de répondre à la crise, que de plus en
plus de personnes sont impliquées dans la gestion de la crise, le
sablier s’écoule et les autorités de marché peuvent à tout moment
obliger l’entreprise à communiquer ou décider de la sanctionner si
elle n’a pas pris le soin de les informer de la situation
suffisamment tôt. En somme, plus encore que dans d’autres
domaines, la planification est d’une importance vitale et l’un des
risques principaux est que l’information fuit par un autre canal
d’officiel, par exemple syndical. Pour l’entreprise, il est alors
difficile de reprendre la main sur sa communication financière.
La schizophrénie communicationnelle en situation de crise
Toute crise exige de mobiliser des équipes, et requiert des
efforts et parfois même des sacrifices auxquels certaines parties
prenantes consentent rarement. Il est donc nécessaire d’expliquer
que la gravité de la situation exige une mobilisation de tous,
l’appui de l’interne et en particulier des syndicats et d’accepter
de fournir des efforts afin de préserver l’avenir de l’entreprise.
Dans le même temps, les autorités exigent le plus souvent de
l’entreprise la mise en œuvre de plans coûteux et aussi de
communiquer de concert avec elles. Alors que le principe de
cohérence est fondamental en communication de crise, il s’agit en
parallèle de rassurer l’actionnariat et également les partenaires
de l’entreprise sur sa capacité économique et sa solidité
financière. L’idée qui préside en communication financière est de
rassurer le marché, d’avoir une communication factuelle et
forcément honnête, de laisser entrevoir le bout du tunnel, de
donner des perspectives et des gages de rétablissement de la
situation. Enfin, dans le même temps, les rumeurs, parfois les
plus fantaisistes se rependent sur les sites web spécialisés et en
France, Boursorama fait figure d’épouvantail.
Le nécessaire audit préalable de la communication
Si des solutions existent pour faire face à une crise qui
frappe une entreprise cotée, c’est souvent l’avenir même de
l’entreprise qui est en jeu et l’exercice est à très haut risque.
De plus « la communication financière des entreprises, en
particulier cotées, semble suivre assez largement le chemin
inverse de la communication d’entreprise : elle se concentre de
plus en plus vers une communication à base de chiffres, destinée
aux professionnels, aux analystes financiers » Progressivement la
communication financière se cloisonne et s’écarte d’une dynamique
communicationnelle d’ensemble qui pourtant devra être mise en
œuvre en situation de crise. Ainsi au quotidien, il nous semble
que la communication financière prépare mal la nécessaire
communication intégrée pour faire face à une crise et il est
illusoire de séparer la communication financière de la logique
d’ensemble.
Anticiper est un maître mot en gestion de crise, c’est pourquoi
de notre point de vue, il est nécessaire pour les entreprises
d’analyser leurs plans communicationnels en se fondant sur
l’évaluation des vulnérabilités au regard des différentes
communications et particulièrement la communication financière.
L’idée est de préparer l’entreprise cotée à communiquer en cas de
crise, mais également de préparer en amont un terrain
communicationnel favorable et protecteur en cas d’évènement non
souhaité. Enfin, les entreprises doivent se préparer aux
évolutions normatives, par exemple l’ IFRS 15 qui impacte très
directement la communication financière sur les indicateurs clés
jusqu’au chiffre d’affaires (avec de possibles surprises), et une
obligation à communiquer sur les impacts de l’IFRS, ou encore, la
loi Sapin 2, en France, qui peut subitement plonger une entreprise
cotée hors dans une non-conformité, tout comme aux évolutions
normatives de leur secteur d’activité. Autant de vulnérabilités
qui exigent de se préparer à communiquer et d’informer, non
seulement les marchés, mais également l’ensemble de la chaîne de
valeur de l’entreprise avec un objectif : préserver la confiance.
DH
Didier Heiderich est ingénieur, président de l’Observatoire
International des Crises et directeur général d’un cabinet
international spécialisé dans la gestion des enjeux sensibles et
des crises. Auteur de « Plan de gestion de crise » (Dunod, 2010),
il est enseignant dans plusieurs grandes écoles et université. Il
dirige à l’Université de Technologie de Troyes des enseignements
de communication d’entreprise
ISSN 2266-6575
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