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Communication financière et raids boursiers 
 

Communication financière et raids boursiers
Par Rahma Chekkar et Stéphane Onnée

 

Communication financière en situation de crise

Article à retrouver avec les annexes dans :

La communication financière de crise

N°24 du Magazine de la communication de crise et sensible, Février 2017

Télécharger - pdf - 29 pages,

ISSN 2266-6575

De la publicité financière à la communication financière … bien plus qu'un phénomène de mode, ce changement de terminologie s'est accompagné d'un revirement des sociétés cotées dans la manière de concevoir la relation avec leurs actionnaires (Chekkar, 2007). Si ces changements sont constatés en France au milieu des années quatre-vingt à l'occasion de la première vague de privatisations, ils sont observés deux décennies plus tôt chez la société Saint-Gobain, qui, en 1968, adopta des pratiques inédites dépassant la simple publicité financière pour contrer un raid boursier . Face au rôle catalyseur qu’a joué cet épisode dans l'évolution des pratiques de communication financière en France (Chekkar et Onnée, 2006), nous avons choisi de porter notre attention sur ce contexte de crise particulièrement complexe à gérer que sont les raids boursiers hostiles, qu’ils s’agissent d’offres publiques d’achat (OPA) ou d’échange (OPE) .

Compte tenu de l'enjeu d’un raid boursier, les sociétés cibles sont amenées à revisiter leurs pratiques de communication financière (Brennan, 1995 ; 1999 ; Brennan et al, 2010), à dépasser largement les obligations légales en conférant à la communication la vertu d’une précieuse ressource à disposition des managers (Coombs et Holladay, 1996 ; Coombs, 1999 ; 2007). A l'inverse, l'absence de communication peut être dommageable comme l'a appris à ses dépens Arcelor en 2006 (Léger et Libaert, 2006).

Notre objectif est ici de décrire et mieux comprendre le processus de communication financière dans le contexte des raids boursiers et ceci, afin d'en tirer des enseignements pour les sociétés opéables. Pour ce faire, nous nous basons sur trois cas anciens mais emblématiques (choix méthodologiques exposés en annexe 1) : l’offre hostile lancée par BSN sur Saint-Gobain en 1968 ; celle lancée par Marceau Investissement sur la Société Générale en 1988 ; celle lancée par BNP sur la Société Générale en 1999.

Trois agressions boursières … Trois leçons de communication financière

Pour chacun des raids boursiers, nous avons mis l’accent sur la chronologie des événements et sur les éléments perçus inhabituels au sein du processus de communication financière mis en œuvre.

La société Saint-Gobain face à l’OPE lancée par BSN

Contexte - En 1968, la société Boussois-Souchon-Neuveusel (BSN) est présidée par Antoine Riboud. Profitant d'une souplesse de la réglementation, ce dernier lance le 21/12/1968 une OPE sur Saint-Gobain, alors présidée par Arnaud de Vogüé ; celle-ci consiste à demander aux actionnaires de Saint-Gobain 3 366 000 actions à échanger contre des obligations convertibles. Le communiqué officiel fait la Une du Figaro le 21/12/1968 et du Monde le 22/12/1968. La COB délivre son visa le 03/01/1969 sur la note d'information déposée par BSN. Saint-Gobain vient de célébrer son tricentenaire quand elle fait l'objet de ce raid. Si la pratique est courante à cette époque aux Etats-Unis et en Angleterre, "peu de Français auraient pu donner le sens [au sigle OPA] quelques semaines avant" (Gabrysiak, 1969)".

Saint-Gobain doit trouver comment faire échouer l'offre hostile initiée par son prédateur. Une des solutions fut de se lier "en coulisse avec des sociétés amies pour qu'elles rachètent au prix fort une bonne partie de ses actions" (Fauroux, 1998). Pour contrer cette attaque, il fallait surtout convaincre les actionnaires de ne pas accepter cette offre. Compte tenu de la grande dilution des actions Saint-Gobain dans le public (plus de 200 000 porteurs), les moyens traditionnels d'information sont jugés insuffisants. Arnaud de Vogüé décide alors de "modifier entièrement son comportement vis-à-vis de l'actionnaire" en traitant avec Publicis : "il dépense 9 millions de francs" face à "des adversaires qui avaient prévu une campagne de publicité limitée" se fondant sur la "mauvaise image de Saint-Gobain dans le public" (Daviet, 1989).

Arnaud de Vogüé communique rapidement aux actionnaires son point de vue négatif sur l’offre au moyen de lettres aux actionnaires : trois lettres sont publiées pendant les faits. Les médias de masse sont également mobilisés. Le 10/01/1969, Arnaud de Vogüé est interviewé sur Europe 1. Le 14/01/1969, Arnaud de Vogüé et Antoine Riboud répondent séparément à des questions identiques sur France Inter. Arnaud de Vogüé et son bras droit Edmond Pirlot participent à une table ronde sur France-Soir lors de laquelle ils s’engagent à informer régulièrement l'opinion. Les manifestations se succèdent. Saint-Gobain lance le dimanche 12/01/1969 l'opération "Usines ouvertes" afin de permettre au public "de juger Saint-Gobain en action", de se rendre compte que la société n'est pas aussi vieille et secrète que le prétend BSN. Dans un souci de cohérence dans les discours tenus, le service des relations publiques établit un argumentaire pour les directeurs et agents de Saint-Gobain présents. L'opération remporte un vif succès avec un nombre de visiteurs estimé à 88050.

Si cette journée s'adresse à tout public, d’autres rencontres visent plus particulièrement les actionnaires et les leaders d’opinion. Le 16/01/1969 est organisée une conférence de presse : 300 journalistes sont invités. Le même jour est organisée une réunion d'information à destination des agents de change, directeurs de caisses mutuelles, directeurs financiers des assurances, chefs de service de bourse dans les banques. Le 17/01/1969, c'est au tour des analystes financiers d'être reçus. Le 18/01/1969, Arnaud de Vogüé et ses principaux collaborateurs invitent les actionnaires de la région parisienne au siège de Saint-Gobain à participer à une journée d'information intitulée "Etats Généraux des actionnaires" afin de "recueillir les suggestions" pour améliorer "les rapports avec les actionnaires et assurer une information plus conforme à leurs souhaits" et "répondre [à leurs] questions actuelles". Des tournées en province (Lille, Lyon, Strasbourg, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice) sont organisées les 20, 21, 22/01/1969 : y sont invités la presse locale (radiodiffusion, télévision, Agence France Presse), les directeurs de banque et leurs collaborateurs, les agents de change, les notaires, les notabilités, les clients importants et les plus gros actionnaires connus dans la région. Le 24/01/1969, Edmond Pirlot est à HEC pour une conférence-débat. Le 26/01/1969, lors d’une interview, Arnaud de Vogüé va jusqu’à avancer comme argument de défense que BSN est un groupe étranger se basant sur la nationalité de quelques-uns de ses actionnaires.

Les actionnaires se mobilisent. Le 11/01/1969 est créé un groupement d'information et de défense des actionnaires de Saint-Gobain. Le 13/01/1969, une seconde association d'information et de défense des petits porteurs de la compagnie de Saint-Gobain est créée pour attirer l'attention sur les dangers que représente l'offre de BSN.

A la clôture de l'offre le 27/01/1969, le cours de l’action remonte à 215 F. Arnaud de Vogüé annonce la victoire. Antoine Riboud, qui dément ces propos le lendemain, finit par déclarer le 04/02/1969 l’échec de l’OPE en imputant la responsabilité aux amis de Saint-Gobain qui ont acquis entre 35 et 40 % du capital.

La Société Générale face à l’OPE lancée par Marceau Investissement

Contexte - En 1987, la Société Générale est privatisée. Au retour de la gauche au pouvoir en 1988, la Société Générale devient une cible emblématique dans un contexte concurrentiel où les banques cherchent à atteindre une taille critique. Georges Pébereau, à la tête de Marceau Investissement va tenter de s’en emparer dans le plus grand secret. Alors que le noyau dur de la société représente 30 % du capital, des achats massifs de titres de la Société Générale sont détectés. Le 19/10/1988, Georges Pébereau fait part à Marc Viénot de l’intention de Marceau Investissement de porter à plus de 5 % la participation détenue dans le capital de la Société Générale. Georges Pébereau obtient du Conseil des Etablissements de Crédit (CEC) le 28/10/1988 l’autorisation de porter à plus de 10 % cette participation.

L’offre initiée par Pébereau est vécue par l'équipe dirigeante comme une attaque, ce qui justifie l’adoption d’une stratégie de défense d’inspiration guerrière. Le groupe met notamment en place un "conseil de guerre", conçu comme une cellule de crise. Marc Viénot se fait le porte-parole de l’entreprise s’adressant le plus souvent directement à ses interlocuteurs (interviews dans la presse nationale, communiqués de presse, lettre aux actionnaires) tout en s’appuyant sur ses administrateurs. Il insiste sur le fait que le projet de Pébereau est contraire aux intérêts de la Société Générale et rappelle systématiquement le caractère inamical de l’opération, la volonté de la Société Générale de rester indépendante, ainsi que l’écart de logiques industrielles entre les deux sociétés (diversification vs spécialisation).

Plusieurs vecteurs de communication sont mobilisés pour tenter de convaincre les actionnaires individuels en particulier les actionnaires-salariés et les actionnaires-clients (selon Marc Viénot, la part du capital détenue par le personnel, les retraités et les clients constitue à long terme la "pierre angulaire de l'indépendance de la Société Générale"). Bien que la création d’un service de relation avec les actionnaires est plus la conséquence de la privatisation, l’offre initiée par Pébereau a joué un rôle catalyseur dans la mise en place de dispositifs destinés à resserrer les liens avec les actionnaires individuels : points d’accueil actionnaires ; repérage et suivi des clients actionnaires ; comité consultatif ; lettre aux actionnaires ; distribution d’actions gratuites. En outre, compte-tenu du poids important des salariés dans l’actionnariat, plusieurs moyens de communication sont utilisés pour resserrer les liens avec les salariés : envoi régulier de press-books ; utilisation du réseau pour relayer les messages ; utilisation du journal interne Sogechos (créé lors de la privatisation).

La Société Générale gagne le soutien des actionnaires-salariés et actionnaires-clients qui se réunissent sous forme d’une association qui revendique un millier d'adhérents et qui dépose un recours contre la décision du CEC d’autoriser Marceau Investissement à franchir le seuil des 10 % de participation. La Société Générale gagne également le soutien des relais d’opinion que sont les médias : au plus fort de la crise, 74 médias ont contacté le service presse le même jour.

En février 1989, la participation de Marceau Investissement, acquise en grande partie par le canal de la SIGP (Société Immobilière de Gestion et de Participation), avoisine les 10,25%. Après de longues négociations menées sous l'égide du Directeur du Trésor (chargé par le Ministre d'État d'une mission d'analyse et de conciliation), un schéma acceptable est trouvé le 22/02/1989 : la SIGP doit vendre la totalité de ses titres Société Générale (soit 9,83% du capital) à plusieurs investisseurs (Axa-Midi, Rhône-Poulenc, Caisse des Dépôts) dont aucun n'exercera d'influence dominante. Marceau Investissement doit également réduire de 1/5 sa participation.

La Société Générale face à l’OPE lancée par BNP

Contexte - Le 01/11/1997, Marc Viénot cède sa place à Daniel Bouton. La Société Générale est alors la première des banques commerciales cotées en Bourse. Le défi de Daniel Bouton consiste à continuer de développer la banque. Le 01/02/1999, il annonce un projet d’union avec Paribas. L’ambition des deux banques est de devenir un acteur majeur au niveau mondial. Mis à l’écart de ce projet, Michel Pébereau, à la tête de la BNP, trouve le moyen d’apparaître sur le devant de la scène (comme son frère 10 ans plutôt). Il s’attaque aux deux banques fiancées en lançant une double OPE. Le plan de communication prévu dans le cadre du rapprochement avec Paribas est maintenu et revisité.

Les trente premiers cadres dirigeants de la Société Générale avaient travaillé sur le projet de mariage avec Paribas. Impliqués dès le départ par Daniel Bouton, ils restent solidaires et soutiennent leur Président contre l’offensive de la BNP. Ainsi, en mai 1999, Daniel Bouton et deux de ses bras droits entament une série de réunions d’actionnaires dans plusieurs grandes villes (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rennes, Strasbourg) pour expliquer le projet de fusion avec Paribas et ses différences fondamentales avec les montages de la BNP.

Face à l'intérêt des actionnaires pour ce type de manifestation, plusieurs délégués régionaux et directeurs d’agence expriment le besoin d’animer d’autres rencontres. La direction leur met alors à disposition un kit contenant les supports afin de leur permettre en toute cohérence de communiquer en interne avec leurs collaborateurs et que ces derniers soient armés pour convaincre leurs interlocuteurs de la valeur du projet Société Générale-Paribas. Cette communication interne a ainsi un double objectif : celui d'obtenir le soutien des salariés (la Société Générale est convaincu qu’il faut privilégier les liens avec ses salariés, qui se sont révélés être une pilule anti-OPA efficace en 1988, et qui détiennent plus de 8 % du capital et de 10 % des droits de vote) et celui de gagner l'adhésion des clients (proches des clients, les collaborateurs sont le plus à même d’obtenir le soutien de ces derniers d’autant plus qu’une partie des clients sont actionnaires).

En misant sur une communication interne basée sur les risques de licenciement que présente le projet BNP, la Société Générale gagne l’adhésion des salariés et des syndicats qui se mobilisent, craignant de vivre un nouveau plan de réduction d’effectifs comme celui de 1993 (Chekkar et Onnée, 2011). La Société Générale obtient ainsi le soutien d’une association de cadres (Amicale des cadres de la Société Générale et des banques affiliées) qui va jusqu’à s’adresser directement aux autorités financières et à Michel Pébereau. Elle obtient également le soutien d’un groupement de cadres dirigeants de la Société Générale qui crée l’association « Raid contre la réalité » et invite les cadres à se mobiliser et à financer sur leurs propres fonds des pages dans les journaux. De plus, le soutien de l’actionnariat salarié passe par l'Association des Actionnaires Salariés et Anciens Salariés de la Société Générale.

La Société Générale gagne également le soutien des syndicats qui, contre l’offre de BNP (mais également contre la fusion avec Paribas), appellent à une journée "Banque morte" les 22-23/04/1999 : elle se traduit par la fermeture des agences et par des manifestations. Les syndicats sont également présents lors de la dernière ligne droite : alors que l'avenir de la Société Générale va bientôt être scellé, les syndicats montent au créneau le 26/08/1999 pour tenter d'empêcher l'entrée de la BNP dans le capital de leur banque. Quelques heures avant l’annonce du verdict, 400 cadres et employés de la Société Générale manifestent devant le siège de la Banque de France avec des affiches diffusant les titres suivants : "Non aux mariages consanguins !", "Et la grenouille enfla tant qu'elle creva !". Les analystes financiers quant à eux sont assez divisés sur le bien-fondé du rapprochement.

Afin de préparer au mieux le rapprochement entre Société Générale et Paribas, les deux banques confient en avril 1999 à un expert une analyse de discours afin d’identifier les points de divergences dans leur discours en vue de les harmoniser tout en respectant les marques internes de chaque entité. Les deux banques confient également à l’agence ABB la réalisation d’une enquête téléphonique (de mai à juillet 1999) visant à consulter les actionnaires-clients des deux groupes au sujet des deux scénarios. La Société Générale fait également appel à un expert pour effectuer une mission de veille.

Le 28/08/1999, les actionnaires ont décidé : ils conservent 68.5 % des droits de vote. Forte du soutien de ses actionnaires, administrateurs, collaborateurs, la Société Générale - bien qu’elle ait perdu son partenaire convoité Paribas - a réussi à ne pas tomber entre les mains de BNP.

 

Sociétés opéables et processus de communication financière

La comparaison des savoir-faire mis en œuvre par Saint-Gobain et la Société Générale (tableau synthétique en annexe 2) en matière de communication nous permet de tirer des enseignements quant au processus de communication financière mis en œuvre par les sociétés opéables.

Quels messages ?

Les entreprises confrontées à une crise élaborent et mettent en œuvre une stratégie de réponse (Ullmer et Sellnow, 2000). Influencé par des contraintes internes et externes (Libaert, 1999), le choix des messages émis en contexte de crise est un exercice difficile. Cela est particulièrement vrai dans le contexte d’un raid boursier hostile où la société cible doit, pour convaincre ses actionnaires de rejeter l’offre, être en mesure de justifier son avis négatif sur l’offre et simultanément contrer les arguments avancés par la société initiatrice (Palmieri, 2008).

Dans les trois cas étudiés, la stratégie de réponse des sociétés cibles se traduit principalement par une argumentation s’appuyant sur leur volonté, voire leur culture, d’indépendance. Les sociétés cibles tentent de convaincre leurs actionnaires que l’indépendance est la clé du succès, autrement dit que leurs performances futures seront meilleures si elles restent indépendantes. Elles mettent en avant notamment l’absence de synergies (Nègre et Martinez, 2013) en évoquant des logiques stratégiques trop différentes entre la société cible et la société initiatrice, mais également les conséquences dommageables en cas de succès de l’opération (notamment la réduction d’effectifs).

Les cas étudiés nous révèlent par ailleurs les efforts entrepris par les sociétés cibles afin de délivrer des messages cohérents à destination de leurs parties prenantes. De manière générale, la qualité des informations transmises et par là-même la cohérence des discours tenus joue un rôle déterminant en contexte de crise. En effet, une communication de crise inadaptée génère davantage d’inquiétude et de méfiance chez les parties prenantes et c’est à cette occasion que naissent des rumeurs. L’objectif de la communication de crise consiste ainsi également à réduire les incertitudes informationnelles, les incompréhensions et la confusion tout en limitant les dangers d’explication alternative et de rumeurs (Roux-Dufort, 1999).

Quels émetteurs ?

Les porte-parole des sociétés cibles émettent une pluralité de messages construits et conformes à la stratégie de réponse. Dans les trois cas étudiés, cette mission est assumée par les plus hauts dirigeants. Le rôle de l'équipe dirigeante est en effet primordial dans le pilotage d’une crise (Lagadec, 1996). Elle a plus précisément la responsabilité d’assumer le leadership pour les décisions les plus cruciales et risquées. Par ailleurs, les dirigeants "voient parfois dans la crise une menace de leur légitimité et une remise en question de leur pouvoir" et peuvent aussi appréhender la crise comme "une occasion inespérée de valoriser leur leadership" (Roux-Dufort, 1999). Cela est d'autant plus vrai dans le contexte des raids boursiers où l'équipe dirigeante est la première à être visée et impliquée.

Le leadership des deux sociétés étudiées a su s’appuyer sur un réseau d’acteurs (administrateurs, directeurs, délégués …) qui ont permis aux sociétés d’être en lien étroit avec les salariés, les clients ou encore avec des communautés telles que les associations de cadres ou celles d’actionnaires-salariés. Le leadership peut ainsi impliquer d’autres acteurs internes rassemblés autour du dirigeant, notamment à l’intérieur d’une cellule de crise, et endossant le rôle de porte-paroles. Le recours à de multiples porte-paroles agissant comme "points d’ancrage" (Acquier et al, 2009) permet alors de relier étroitement les membres de la cellule de crise au plus grand nombre de parties prenantes et donc de relayer en interne et en externe la stratégie de réponse de la société.

Par ailleurs, du fait de la complexité d’un raid boursier, la société cible doit faire face à un flot d’informations beaucoup plus important qu’en temps normal et qu’il convient pour elle de traiter avec une grande rapidité. Le recours à des ressources et expertises externes s’avère alors utile. Des cabinets spécialisés en communication de crise, des experts en sondage d’opinion ou en analyse sémiotique (Coombs, 1999) aident alors les responsables des sociétés cibles d'offres hostiles à collecter, trier et traiter toutes les informations, contribuant ainsi à l’efficacité des stratégies de réponse mises en place.

Quels destinataires ?

La communication mise en œuvre par les sociétés cibles des trois raids boursiers a clairement pour objectif de convaincre les acteurs clés que sont les actionnaires de la société cible car c'est à eux que revient la décision finale d’accepter ou de rejeter l’offre qui leur est proposée (Newman, 1983 ; Lamendour, 2010). La communication mise en œuvre poursuit aussi l’objectif d’éviter la montée d’actionnaires contestataires, ceux-là pouvant s’avérer dangereux (Albouy et Schatt, 2004).

Si la communication s’adresse avant tout aux actionnaires, elle s'adresse plus largement à l’ensemble des parties prenantes pouvant être affectées par une prise de contrôle à savoir, outre les actionnaires, les salariés et les clients mais également les communautés qui les représentent (associations, syndicats). Les trois cas mettent en évidence que les sociétés opéables ont une responsabilité élargie nécessitant l’adoption d’une approche partenariale et de rendre des comptes à un ensemble de parties prenantes (Acquier et al, 2009). Une communication destinée à l’ensemble des parties prenantes permet de susciter la mobilisation du plus grand nombre d’entre elles et d’éviter qu’elles ne se tournent vers d’autres sources d’informations moins crédibles (rumeurs).

La communication des sociétés cibles visent également les acteurs externes qui s'immiscent depuis des décennies dans le processus de communication financière (Chekkar et Onnée, 2006) : il s’agit des intermédiaires financiers (banques, courtiers) et plus particulièrement des acteurs qui agissent comme prescripteurs et influenceurs (analystes financiers, presse financière). Les recommandations émises par les analystes financiers sont souvent le point de départ de la décision finale des actionnaires. Il en est de même pour les journalistes, ces derniers jouant couramment le rôle de relais d’opinion (Newman, 1983).

Quels canaux ?

Pour s’adresser à l’ensemble des parties prenantes concernées de près ou de loin par l'opération, les sociétés cibles des trois offres hostiles étudiées ont recours à plusieurs canaux de communication et adoptent ainsi une stratégie de communication financière multicanale : à côté des vecteurs de communication unidirectionnelle (lettre aux actionnaires, communiqués de presse), les vecteurs de communication interactive prennent une place importante et s’avèrent efficaces (visites sur site, conférences de presse ou encore des réunions et rencontres avec les différents publics mentionnés supra).

La mobilisation de médias de masse (télévision, radiodiffusion, presse) est souvent constatée dans la mesure où elle permet une large diffusion des messages et par conséquent d’atteindre le public d’actionnaires dispersé géographiquement. L’utilisation abondante des communiqués de presse lors d’offres hostiles (Lamendour, 2010 ; Nègre et Martinez, 2013) permet par ailleurs de susciter l’intérêt des journalistes et d’influencer directement la couverture médiatique de l’événement (Ohl et al, 1995).

Conclusion

Mieux vaut prévenir que guérir … Les trois cas étudiés suggèrent qu’une politique de communication adaptée contribue à la mise en échec d’une tentative de prise de contrôle hostile. La communication dans le contexte des offres hostiles peut également être utilisée dans le but de susciter une surenchère (Nègre, 2014). Pour autant, le lien entre communication des sociétés cibles et résultat des offres hostiles lancées par les sociétés initiatrices est une boîte noire qui reste à démystifier et constitue un chantier ouvert pour des recherches futures. Quel que soit l’objectif visé, les sociétés opéables ont tout intérêt à se doter d’un processus de communication financière leur permettant de faire face à une éventuelle opération hostile afin de ne pas être dépassées en cas de survenance d’une telle crise.

Chekkar Rahma Chekkar est Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université d’Orléans - VAl de LOire REcherche en Management (VALLOREM)

Stéphane Onnée est Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Université d’Orléans - VAl de LOire REcherche en Management (VALLOREM)

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La communication financière de crise

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