Communication de crise RH
Communication de crise : priorité à l’interne
Par Didier Heiderich
(Article paru dans
HARVARD BUSINESS REVIEW, août 2016)
![](../images/com-interne-crise.png)
« En situation de crise, l’interne est le
dossier le plus sensible et celui que l’on gère le moins bien. »
Cette confidence du directeur de la communication d’un grand
groupe industriel illustre les difficultés de communiquer en
interne en temps de crise.
Souvent, les entreprises
sont concentrées sur la gestion médiatique au détriment de la
communication interne qu’elles estiment parfois moins urgente ou
moins prioritaire. Cela est sans doute dû à une peur irrationnelle
des médias et à l’imprévisibilité des journalistes. Pourtant, il
est essentiel de compter les collaborateurs internes parmi les
publics prioritaires.
Chaque collaborateur est un porte-parole
En situation de crise, une organisation est fragilisée par les
événements. Communiquer en interne revient à la fois à reconnaître
l’importance des collaborateurs et de leur rôle dans la résolution
de la crise ainsi que dans le processus de reconstruction. Une
communication interne de crise réussie peut ainsi permettre de
fédérer les collaborateurs au-delà d’une simple information à leur
adresse. C’est alors que l’interne devient un bouclier protecteur
face à l’adversité.
En effet, dans une époque où toute communication passe sous les
fourches caudines de l’opinion, où la confiance envers la parole
d’un dirigeant est systématiquement remise en cause, les publics
d’une organisation en crise se tourneront vers l’interne comme
interlocuteur naturel. Il est important, non seulement que les
collaborateurs connaissent le récit de la crise fourni par
l’entreprise mais également qu’ils y adhérent. Et lorsque chaque
collaborateur est en capacité et en légitimité d’être porte-parole
dans son cercle d’influence et de confiance, la parole de
l’entreprise diffusée par le plus grand nombre constitue une
solide protection contre les guérillas communicationnelles qui se
jouent lors des crises.
Enfin, quelle que soit la nature de la crise, une fois passée la
vague médiatique, c’est en interne que se font ressentir les
stigmates des événements. Et c’est également aux collaborateurs
que revient la charge de réparer les dommages et de reconstruire
l’image.
Comment fédérer
Il est nécessaire de créer un réseau d’alliés internes, ce qui
nécessite souvent d’informer les collaborateurs avant même les
médias, y compris sociaux.
En effet, est-il normal que les collaborateurs en sachent moins
que la presse, le grand public, les clients, les fournisseurs et
leurs voisins sur une crise qui frappe leur propre entreprise ?
Pour fédérer l’interne, il faut commencer par informer les
collaborateurs. C’est, par exemple, le choix de Bayer Cropscience
France qui a instauré pour principe d’informer les collaborateurs
en priorité en cas de crise, jusqu’à les instruire préalablement
sur les positions qui seront prises face à la presse. La Société
Générale considère elle aussi l’interne comme une priorité
absolue, avec pour contrainte supplémentaire d’être dans
l’obligation d’informer les autorités de marché : une course
contre la montre s’engage alors entre ces deux niveaux de
communication.
Une fois établi ce principe de priorité de l’interne, l’adhésion
des collaborateurs n’est pas pour autant automatique.
Premier défi : le récit de la crise. Celui-ci sera avalisé s’il
est proche de la réalité du terrain et du vécu des collaborateurs
au quotidien. Un discours centré, par exemple, sur des valeurs de
l’entreprise inconnues des collaborateurs risque surtout d’être
contreproductif ou même dangereux. Il faut communiquer au plus
près des perceptions pour permettre l’appropriation du récit «
officiel ». De ce point de vue, il faut fuir les spin doctors et
autres marabouts de la communication de crise qui ne sauront que
proposer une communication hors-sol, clinquante et naïve.
Le second défi est lié à la complexité sous-jacente de toute
entreprise : la disparité des services, des lieux, des métiers,
les antagonismes, le rôle des instances représentatives du
personnel et des syndicats, les canaux habituels de communication,
l’histoire et l’hétérogénéité culturelle des filiales exigent une
compréhension fine de la sociologie de l’entreprise pour
déterminer les modalités de la communication interne de crise.
Comprendre la sensibilité des divers groupes sociaux de
l’entreprise et les différentes interactions permet de prendre en
considération les managers dans la diffusion de l’information en
interne, de ne pas sous-estimer la capacité des syndicats à se
rallier à la direction et, finalement, d’harmoniser la
communication de crise dans une construction partagée.
Éviter les erreurs fatales
Il n’en demeure pas moins que la principale difficulté de toute
situation de crise vient des pressions qui peuvent conduire à des
erreurs fatales. La plus fréquente est d’oublier que la
communication externe s’adresse puissamment à l’interne. Dans la
crise des suicides à France Télécom révélée en 2009, son P-DG de
l’époque, Didier Lombard, déclarait à la presse : « Il faut
marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide qui évidemment
choque tout le monde. » Ce qui a évidemment conduit à son
éviction. En effet, comment continuer à diriger un groupe en
donnant le sentiment d’un effroyable cynisme envers les salariés ?
Autre exemple, la crise d’espionite aigüe qui a secoué Renault en
2011. Début janvier 2011, une fausse affaire d’espionnage était
révélée chez le constructeur automobile par Carlos Ghosn, son
charismatique P-DG, a conduit au licenciement de trois hauts
dirigeants de l’entreprise – accusés à tort – puis à l’éviction du
numéro deux de Renault, Patrick Pélata, qui a servi de « fusible »
dans cette affaire pour le moins rocambolesque. Alors que la crise
battait son plein, le service de communication fut chargé de
préparer des communiqués en cas de « geste irréparable » de l’un
des cadres faussement accusés. La fuite de cette anticipation
communicationnelle d’un suicide a provoqué la fureur des syndicats
et l’indignation de nombre de collaborateurs (lire aussi la
chronique : « L’affaire Volkswagen : et si ce n’était que la
partie émergée de l’iceberg ? »).
Se préparer à communiquer en situation de crise semble être une
évidence. Cette évidence conduit généralement à une réflexion axée
sur les processus plutôt que sur la stratégie : des scénarios de
crise sont imaginés, des axes de communication préparés, des
publics déterminés, des communiqués rédigés. Si ce travail s’avère
nécessaire, il n’en est pas moins insuffisant. En effet, comment
imaginer protéger la stratégie de l’entreprise en cas de crise, si
celle-ci n’est pas préalablement comprise, acceptée et partagée ?
En 2011, Bayer Cropscience France a réalisé une étude interne qui
a démontré que la vision et les valeurs de l’entreprise étaient
mal connues d’une majorité des collaborateurs. Suite à cela, un
vaste chantier, en cercles concentriques depuis la direction «
jusqu’aux territoires les plus reculés de l’entreprise », a été
lancé. Trois ans plus tard, une large majorité des collaborateurs
comprenait la vision de l’entreprise.
Lorsque les décisions en communication de crise se concentrent
exclusivement sur l’instance et la pression médiatique, cela
s’accompagne souvent d’un cortège de défaillances
communicationnelles : se tromper de crise, d’objectifs, de
publics, de priorité, de message, de système d’influence et donc
oublier l’importance et le rôle de l’interne. Surtout, il est
illusoire d’imaginer persuader les publics externes si les
collaborateurs n’adhèrent pas au récit délivré par la direction de
l’entreprise. Pour une communication de crise réussie, le priorité
doit donc être donnée à l’interne.
DH
ISSN 2266-6575
© Décembre 2016 Tous droits réservés
Magazine de la communication de crise et sensible.
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