Communication de crise : de la relation à la légitimité
Par Myriam Delouvrier et Didier Heiderich
On a pour coutume de dire, à juste titre, qu’une
communication de crise réussie ne se voit pas. Pourtant, la
communication de crise est à l’origine d’un malentendu qu’il nous
faut dissiper d’emblée : réduite aux opérations « médias », la
réputation, la « e-Réputation » ou encore les fameux « éléments de
langage », nombre d’acteurs s’égarent dans le choix d’une
stratégie de communication en situation de crise.
Elle ne peut en aucun cas se limiter à des messages clés, du
mediatraining et quelques tweets devant lesquels
s’émerveille l’amateur. L’erreur par excellence recouvre
l’approche médiatique : l’intérêt de la presse et la pression
médiatique sont généralement les symptômes d’une crise et non la
crise elle-même. Cette confusion entre le thermomètre et la
maladie est amplifiée par l’imagerie populaire figurée par les
vieillissants et peu recommandables « spin doctors » des
années 80. Il nous faut, malheureusement, en situation de crise
nous défaire de cette chimère pour réaliser un travail
communicationnel de fond, constructif, discret et sur le long
terme.
Une affaire sérieuse
Car la communication de crise est affaire sérieuse et ne peut être
confiée à l’urgentiste, venu toutes sirènes hurlantes éteindre un
feu médiatique, pour en final négliger l’essence syncrétique des
objectifs de la communication. La communication de crise se doit
d’accompagner – et dicter en partie – la gestion de crise sur
l’ensemble des enjeux que recouvre une crise et ses impacts sur
les personnes, les clients ou administrés, les parties-prenantes,
les investisseurs, l’environnement et partenaires et l’avenir de
l’entreprise ou de l’organisation en crise. Ainsi, avant toute
opération de communication, il faut se poser la question de ce
qu’est la crise, de ses impacts, ses enjeux, imaginer la suite
possible des événements et fixer le regard sur l’horizon de la
sortie de crise.
Définir ce qui est à protéger
La deuxième question se destine à déterminer les objectifs de
la communication de crise, prosaïquement : ce qui est à protéger
en priorité alors que les événements se bousculent. Est-ce une
marque ? Un produit ? La relation avec les investisseurs ?
L’interne ? Le leadership d’une direction ? Les clients ? Le
lancement d’un produit ? Prévenir le risque juridique ? Protéger
des élections à venir ? Le déterminer est primordial en situation
de crise, exige un examen approfondi de la situation, demande un
arbitrage : la communication de crise est une communication de
combat, il faut accepter de prendre des coups pour sortir
vainqueur de la crise.
Cette phase d’analyse et de décision n’est
pas évidente à réaliser, car – et c’est naturel – les dirigeants
sont soumis à des pressions psychologiques qui les poussent à se
précipiter dans l’action. Si on a coutume de dire à juste titre
que tout se joue au début de la crise, encore faut-il prendre le
temps de poser correctement les faits, d’en déduire les risques et
les enjeux pour déterminer la stratégie à suivre.
L’interne : une priorité en communication crise
En communication de crise, considérer les publics internes est
une priorité absolue : ce sont les publics les plus affectés par
une crise et sont les porte-parole naturels de leur cercle
d’influence professionnel et personnel. Il est nécessaire de
déterminer rapidement s’il faut communiquer en interne, et si oui,
avec qui en priorité et par quels canaux. Ceci nous permet
d’entrer dans le vif de notre propos : la relation en situation de
crise.
Si tout dirigeant envisage quotidiennement la communication
dans la relation, elle est trop souvent oubliée dans les manuels
de gestion de crise. Les questions se posent alors naturellement
concernant les cadres, les instances représentatives du personnel
et le personnel en général : quels objectifs de communication ?
Quels messages ? Qui le dit ? De quelle façon ? A quel moment ?
Par quel canal ? En réunion ? Comment organiser le feed-back ? Et
après ? Avec quels risques communicationnels ? Chacun aura à
l’esprit le cadre vindicatif, le syndicaliste combatif ou l’allier
indéfectible,… et de se rappeler l’importance de la relation, du
choix de l’instant, des signes qui accompagnent les mots, de la
nécessité du dialogue.
Ainsi la communication de crise ne se préoccupe pas
exclusivement de caméras, de communiqués de presse et de réseaux
sociaux. Elle se mêle de la relation entre groupes sociaux et
entre individus, exige d’être planifié, prépare les dirigeants aux
rendez-vous importants, détermine ce qui peut être dit ou non,
pèse chaque mot et chaque signe, crée les conditions d’une
communication et assure une parfaite cohérence entre toutes les
communications dans le respect des publics et de la loi.
Relations et légitimité
Chacun s’accordera pour trouver un message inaudible dans les
exemples qu’il connaît. La plupart du temps, la cause du refus
d’un message ne vient pas du message lui-même, mais de sa
formulation, de l’instant choisi ou du lieu. Lancer un message à
la cantonade en situation de crise ne sert à rien si personne
n’est là pour l’entendre et le faire sien.
Derrière cette évidence se cache l’étymologie du mot «
communication » issu du latin « cum » (avec) et « munus
» (charge) qui évoque le partage, l’accomplissement en commun
d’une fonction. Dans la logique communicationnelle, le message est
un bien symbolique commun et non des éléments de langage transmis
par un émetteur vers un
récepteur prié de les comprendre et de les approuver. Dès lors l’idée
de « faire passer un message » délégitime le récepteur dans son
rôle communautaire et défait la relation pour lui substituer le
canal.
Autrement dit, la communication de crise, pour être admise se
définit dans un système de légitimités, co-construit dans la
relation et déployé dans des unités de temps, de lieu et d’action
qui respectent ce que la communauté « tient pour juste ». Dits de
façon pragmatique, les fameux « éléments de langage » n’ont
d’autres utilités que de rassurer ceux qui les élaborent et de
défaire les liens de ceux qui les utilisent. Il nous faut par
conséquent en situation de crise accepter pleinement le rôle du
récepteur, considérer la relation dans toutes ses nuances :
relation de confiance, de défiance, étroite, tendue, difficile,
cordiale, brutale, publique, intime ou rompue.
Système de légitimités
Selon le professeur d'anthropologie Claude Rivière « La
légitimité (du latin lex « loi ») défini un ordre politique ou
social reconnu à la fois comme pouvoir et comme autorité. » C’est
dire à quel point le défi de la légitimité est difficile à
relever. Ce défi est affaire de compréhension des temporalités,
des différents publics dans leur perception de la crise et dans
les émotions quelle provoque. Les différents publics perçoivent
les crises initialement par le biais émotionnel, entre colère,
peur, dégoût, sidération ou tristesse. Et ces émotions peuvent
être solidement ancrées dans les esprits. Il y a un agenda
perceptuel à considérer qui diffère selon les publics tout comme
dans les ancrages et les représentations collectives.
Par exemple, dans un pays comme la France où les
multinationales sont décriées, toute crise émotionnelle et
endogène sera considérée à travers le prisme réducteur de
l’argent. Sur cette base toute communication, sur une majorité de
thèmes sera rejetée par le grand public. Il n’en sera pas
forcément de même envers des publics de proximité : investisseurs,
clients, fournisseurs, partenaires… qui seront à privilégier.
Ensuite, selon l’histoire de l’organisation qui subit une crise et
la nature de la crise, il sera possible de définir les domaines de
légitimité, c’est-à-dire, les espaces symboliques communs et
acceptables pour un thème donné. Chaque choix communicationnel se
fait à l’aune de la légitimité, dans une volonté de l’asseoir, au
contraire de briser le consensus ou de choisir de se taire.
Il y a les domaines où la légitimité est remise en cause (à
protéger), les domaines où tout est perdu d’avance, les domaines
où il faudra la reconquérir et les domaines où la légitimité reste
acquise malgré la crise. Ceci permet de définir ce qui est
possible ou non de formuler à un instant donné, ce qui est
nécessaire de protéger et les publics à privilégier. Contrairement
à la légende et à la pensée magique qui voudraient qu’il suffise
de se rendre face au tribunal de l’opinion pour résoudre une
crise, parfois, il faut savoir se taire et respecter l’intimité de
la crise dans des relations privilégiées avec les publics
légitimes et hors du champ des caméras et de l’opinion publique.
Publics et légitimité
Il n’y a pas un public à prendre en considération, mais des
publics hétérogènes qui possèdent chacun leur objectif, leur
agenda, leurs préoccupations et leurs rapports à la crise. Dans un
monde ouvert, nombre de publics vont s’intéresser à « votre crise
» : impliqués, impactés, concernés, commentateurs, observateurs et
apathiques. En relations publiques de crise, nous distinguons les
publics selon une matrice intérêt / légitimité. Les personnes où
groupes sociaux directement impliqués et impactés dans la crise
font l’objet de toutes les intentions et priorités. Comprendre la
signification de la crise pour ces publics prioritaires, leur
relation à la crise, les perceptions, les émotions qui les
traversent, leur agenda, les espaces symboliques marqués par la
crise, les cadres normatifs sollicités a plus d’importance dans la
communication de crise que la construction même du langage. Si peu
de règles existent dans ce terrain mouvant, une est cependant à
signaler : l’opinion publique et la presse se rangent aux côtés
des personnes impactées qui deviennent par la force des événements
les leaders d’opinion de la crise. Accepter d’associer les publics
prioritaires dans une construction commune, dans la relation avec
tout ce que peut parfois signifier de difficile, permet de
construire une communication de crise digne, rationnelle,
respectueuse des publics, légitime et souvent de limiter les
terrains d’affrontements. Et plus nous nous éloignons des publics
prioritaires, moins nous nous en préoccupons pour les mettre
uniquement sous surveillance.
Gagner la confiance
Nous aimerions vous dire que cet exposé est théorique : il ne
l’est en rien. Nos expériences de dizaines de crises chaque année
l’affirment : la communication de crise ne se satisfait pas de
principes « rapidité - fluidité - transparence -empathie - message
» ou autres doctrines hasardeuses. Elle procède d’une guerre de
territoires, ceux de la légitimité, de la symbolique, de la
relation, de la dignité, du temps, de batailles contre les démons
qui ravagent les dirigeants en proie à l’émotion et à
l’épuisement, de corps à corps avec des adversaires farouches
parfois d’une intelligence remarquable. Et si « crise » est
synonyme de « rupture » c’est dans la relation, la dignité, le
respect, et en final, dans la capacité à gagner la confiance des
publics que vous trouverez les stratégies de communication qui
permettent de sortir par le haut d’une crise. Et si possible, avec
une certaine élégance.
Myriam Delouvrier est consultante sénior chez Farner
Consulting en Suisse Romande, titulaire d’un Master en
communication internationale réalisé aux Etats-Unis et d’une
Maîtrise de communication de l’EFAP (Paris). Elle conseille
d’importants groupes industriels, pharmaceutiques ou encore de la
grande distribution.
Didier Heiderich est ingénieur, Président de l’Observatoire
International des Crises (OIC), Maître de Conférences en relations
publiques invité à l’Université de Louvain-La-Neuve (Belgique),
enseignant dans plusieurs universités et grandes écoles. Il est
Directeur Général d’un cabinet international de conseil en gestion
des enjeux sensibles. Auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux
articles, il est directeur de la publication du Magazine de la
Communication de Crise et Sensible.
1. L’anglais spin signifie « faire tourner ». En
relations publiques, il désigne des techniques de propagandes
destinées à falsifier la vérité et à manipuler l’opinion.
2. « Légitimité », Dictionnaire des Notions,
Encyclopaedia Universalis, 2012
3.Enfantine, la pensée magique se définie comme
une pensée performative qui à elle seule a le pouvoir d’accomplir
des désirs.
A lire :
« Relations publiques de crise : une nouvelle approche
structurelle de la communication de crise », Didier Heiderich,
Natalie Maroun, Magazine de la communication de crise et
sensible, janvier 2014,
http://www.communication-sensible.com/articles/article271.php
« The Effects of Crisis Response Strategies on Relationship
Quality Outcomes », Eyun-Jung Ki1, Kenon A. Brown1, International
Journal of Business Communication, octobre 2013,
http://job.sagepub.com/content/50/4/403.abstract
ISSN 2266-6575
© Mars 2016 Tous droits réservés
Magazine de la communication de crise et sensible.
www.communication-sensible.com
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