En 2020, tous en « crise » ?
Par Nicolas Vanderbiest, Doctorant, LASCO
Article paru dans :
Prospective : Horizon 2020
Numéro spécial 15 ans
N°23 du Magazine de la communication de crise et sensible,
Décembre 2015
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Au commencement de l’histoire des relations publiques, Ivy
Lee s’employait à rétablir l’image de John Rockfeller, ternie par
le massacre de Ludlow. Ce n’était pas que ce dernier cherchait à
être aimé, mais plutôt que cette mauvaise réputation commençait à
menacer ses activités économiques. Cette notion de pouvoir assurer
la continuation d’activité se retrouve dans des théories clés de
la gestion de crise comme la résilience (Stucliffe & Vogus, 2003)
ou la social license to operate. (Thomson & Boutilier, 2011) Les
crises étaient alors des événements qui menaçaient l’aspect
opérationnel d’une organisation comme des grèves, des catastrophes
naturelles, des mouvements de contestation, des changements
normatifs, des actions judiciaires, etc.
Ces dernières années, marquées par l’arrivée des réseaux
sociaux, les crises impactent les gens de manière globale (Malone
& Coombs, 2009), sans frontière temporelle ou géographique.
(Hugues et al., 2008)
De plus, alors que les organisations ont besoin d’informations
claires et vérifiées pour communiquer sur la crise, les réseaux
sociaux et les chaînes d’information continue peuvent se permettre
de commenter les événements minute par minutes. (Weiner, 2006)
Chaque individu étant devenu une source d’information
potentielle facilement identi-fiable par les journalistes (Lariscy
& al, 2009), le monopole de l’information n’est plus uniquement
dans les mains des organisations. Avec l’essor des réseaux sociaux
comme Facebook ou Twitter, un nouveau type de « crise » est
également né : le bad buzz, le penchant « maléfique » du buzz, à
savoir une manifestation négative et massive à l’encontre d’une
organisation sur les réseaux sociaux. Ces pseudo crises n’ont
pourtant jamais remis en cause la capacité d’une organisation à
pouvoir agir. Tout au plus, nous pouvons citer la crise Kryptonite
en 2004 dont l’entreprise a fait faillite après qu’un internaute
ait posté une vidéo où son produit, un cadenas pour vélo, pouvait
s’ouvrir d’un simple bic.
Toutefois, en étudiant ces phénomènes de plus en plus
récurrents (104 cas en 2014 rien que pour la scène médiatique
française (Vanderbiest, 2015)), on peut faire le constat qu’il
sera de plus en plus difficile pour les organisations de ne pas
vivre une crise dans les prochaines années tant le nombre de
risques est en constante augmentation.
Une augmentation des risques potentiels
Des employés sous surveillance.
De fait, nous vivons à une époque où tout peut être filmé ou
photographié. Nous avons ainsi pu suivre en direct un assaut du
GIGN dans une supérette de Paris lors des attentats du 7 janvier
2015 ; lorsqu’un hélicoptère de l’émission « Dropped » de TF1 se
crashe en Argentine, nous disposons presque immédiatement de la
vidéo montrant le drame. Ce changement a fait que les employés des
organisations sont devenus des facteurs importants de crise. Les
premiers cas ont commencé en 2007 avec un employé de Comcast aux
États-Unis qui s’est fait filmé par un client endormi sur le
canapé de ce-lui-ci alors qu’il devait installer le câble dans son
appartement. Parfois, ce sont même les employés eux-mêmes qui se
filment et diffusent une vidéo problématique comme ces deux
employés de Domino Pizza en 2009 qui se sont filmés en train de
mettre des crottes de nez dans la composition des pizzas.
Le fait est qu’avec l’arrivée des Smartphones chacun est devenu
une caméra potentielle. Avec l’essor de ces nouvelles
technologiques, on observe de nouveaux réflexes. Ainsi, en août
2014, une cliente de l’enseigne Mac Donald reçoit son hamburger.
Elle l’ouvre et découvre une croix gammée tracée sur le pain de
celui-ci. Alors qu’auparavant son premier réflexe aurait été de
vouloir parler au chef du restaurant, elle s’empresse de
photographier le forfait et de le diffuser, alertant la presse qui
ne manquera pas de consacrer de nombreux articles à propos de
l’incident. S’il était aupa-ravant encore possible de contester la
version des faits, les organisations ont désormais affaire à une
preuve matérielle irréfutable. Seule solution : courber l’échine
et laisser passer la tempête d’agitation.
Sponsoring et égéries
Par ailleurs, toute action de sponsoring et d’utilisation
d’égérie est désormais un lien indélébile entre l’égérie/le
sponsor et l’organisation. Des crises peuvent dès lors surgir de
cette alliance par contamination. L’ONG Oxfam a ainsi été accusée
de promouvoir « l’exploitation des travailleurs palestiniens »
après que son égérie, Scarlett Johansson ait servi dans une
publicité Soda Stream, multinationale accusée de profiter de la
situa-tion de pauvreté des colonies palestiniennes.
Même constat pour la marque Weight Watcher dont l’égérie,
Mauranne, a insulté le physique d’une internaute qui se plaignait
que la publicité de la marque utilisant la voix de la chanteuse
passait trop souvent à son goût.
Lors de l’affaire du Swissleaks, Gad Elmaleh est impliqué, mais
sur Twitter, c’est LCL qui est sans cesse mentionnée en raison
d’une publicité de la banque mettant en scène le comédien. Le
constat est pareil pour les opérations de sponsoring. Coca Cola ou
Mac Donald l’ont expérimenté durant les Jeux olympiques de Sotchi
où les deux marques ont été vilipendées par les communautés LGTB
du fait de l’étroitesse d’esprit de l’hôte, la Russie, en matière
de droits pour les homosexuels.
Récemment, ce sont les sponsors de la FIFA qui ont été la cible
des internautes durant le Fifagate. Les organisations ont donc
désormais de nouveaux risques en associant leur image à une
célébrité.
De la difficulté croissante de communiquer
Il devient également de plus en plus difficile pour les
organisations de communiquer. Chaque communication qui sort de la
norme est vivement pointée du doigt, un comble quand on sait que
le but de la publicité est justement d’être original. L’art de
jouer sur les clichés et stéréotypes, même avec dérision est
également devenu pratiquement impossible comme l’a expérimenté le
jambon d’Aoste avec les végétariens, ou Renault Benelux et
Numéricâble avec les féministes.
Les communications des organisations s’insèrent de plus en plus
dans un contexte et une actualité, ce qui peut parfois mener à des
situations loufoques comme British Airlines qui via une affiche
publicitaire nous invitait « à découvrir l’océan indien » avec un
visuel de fond marin au moment même où l’on recherche l’avion de
la Malaysia Airlines dans ledit océan.
Autre hasard, le community manager de Celeb Boutique s’est
réjoui de la présence de Aurora en trending topic sur Twitter, et
ce alors qu’il était à cette place pour la tuerie d’Aurora qui fit
12 morts. Celui-ci pensait que l’on parlait de sa robe Aurora que
Kim Kardashian avait portée récemment.
Encore plus loufoque, la série Sleepy Hollow a lancé une
campagne « jour sans tête » en 2014 pour faire la promotion du DVD
de la dernière saison alors qu’un otage américain venait d’être
décapité le même jour par l’État islamique.
En plus de cet impératif de prise en compte du contexte et de
l’actualité, les campagnes publicitaires offrent de plus en plus
des « fenêtres de tir » dans lesquels certains opposants
s’engouffrent. N’importe quelle campagne à base de hashtag peut
ainsi être « hijackée » comme la campagne du gouvernement français
#StopDjihadisme qui a été prise d’assaut par des membres de l’état
islamique.
La marque Doritos a vu son célèbre concours de publicité pour
le Superbowl détourné par l’association Sum Of Us, profitant ainsi
de la visibilité offerte par Pepsico, proprié-taire de la marque.
La situation peut être particulièrement handicapante, jusqu’à
rendre impossible toute communication comme lorsque l’ONG Baraka
City s’est en pris à l’émission de M6 Pékin Express parce que
celle-ci organisait son jeu en Birmanie, pays qui massacre
l’ethnie musulmane des rohingyas. La chaîne de télévision n’a
jamais voulu tendre la main à l’ONG qui s’est mise à « spammer »
le hashtag de l’émission et chaque post Facebook, rendant
impossible de suivre toute communication autour de l’émission.
Cette impossibilité de communiquer peut faire penser à toutes
ces tentatives d’établissement de « dialogue » lancées sur les
réseaux sociaux par des organisations à mauvaise réputation comme
New York Police Department, Ryanair, JP Morgan ou Bri-tish Gas.
Très récemment, c’était Nicolas Sarkozy qui faisait parler de
lui, car de nombreux internautes avaient pris le contrôle de #NSDIRECT,
séance de question-réponse avec l’ancien président sur le réseau
social Twitter. On assiste donc de plus en plus à un nouvel enjeu
qui est non seulement d’avoir l’autorisation d’agir, mais aussi
d’avoir l’autorisation de communiquer.
La construction sociale des crises
L’exigence des publics envers les organisations atteint des
niveaux totalement inatteignables tant l’attention portée sur le
détail atteint son paroxysme. À cette attention du détail
s’associe également une construction sociale de la crise.
Car un des enseignements que l’on peut tirer des crises
récentes est que l’information ne sort généralement plus en
premier lieu des médias ou de l’organisation qui la subit. Là où
ces derniers ont des impératifs de retranscription d’information
et de faits, ce n’est pas le cas du public qui ne manque pas de
faire retranscrire son ressenti ou son émotion à la sortie de
l’information. Il est donc rare que l’information arrive de
manière « neutre ».
Cela mène à une construction sociale de la crise par
l’entremise de la narration qui en est faite par le lanceur
d’alerte de celle-ci.
Prenons le cas de JC Penney que l’on a accusé d’avoir modélisé
sa cafetière selon l’image d’Hitler. Lorsque l’histoire survient,
l’image de la cafetière est mise en parallèle avec une image
d’Hitler :
La façon dont sort l’histoire fait effectivement penser que
cette cafetière fait l’éloge du nazisme et la preuve matérielle
est irréfutable. Cependant, je me suis livré à une petite
expérience en diffusant la photographie neutre de la cafetière à
des audiences de respectivement 8, 12 36, 54, +/-60, +/-120, et
+/-300 personnes en demandant s’il y voyait le moindre souci.
Seules quelques personnes dans les plus grosses audiences ont su
identifier le problème alors que les petites audiences sont
restées totalement muettes. Il suffit donc d’une seule personne
qui donne la clé de lecture pour que tous décryptent l’événement
sous le prisme de la clé de lecture.
De manière générale, on assiste à un point Godwin de l’espace
publique où les chasseurs de nazis sont plus qu’actifs. Ainsi,
Ariel a pu changer l’ensemble de ses packagings en Allemagne, car
les packagings avaient la coïncidence de porter le chiffre 18
(chiffre de la concentration) et 88 (nombre de lavages par boîte).
Or ces deux chiffres sont bien connus des jeunesses hitlériennes
puisqu’elles les utilisent pour évoquer Adolf Hitler (A=1, H=8) ou
Heil Hitler (H= 8).
En 2014, La marque Lays a subi les foudres d’un journaliste
belge, car elle venait de lancer des chips en forme d’étoile juive
qui porte la mention « au four ».
En un an, Urban Outfitter, Delhaize et Zara ont été accusés de
vendre des vêtements de prisonnier juif. Si le cas de Delhaize
respecte les lignes noires verticales, les cas d’Urban Outfitter
et Zara posent question puisque nous avons affaire à des lignes
hori-zontales, d’une couleur différente que le noir, et que l’on
cherche vaguement à faire passer le triangle et l’étoile pour des
signes que l’on retrouvait à l’époque.
De même, lorsque Fanta a voulu célébrer ses 75 ans et qu’elle
déclarait « faire revenir le bon vieux temps avec le Fanta Classic
», on rappelle à Fanta qu’il s’agissait de temps obscurs en raison
de la Seconde Guerre mondiale.
Mais l’attention portée sur le détail du packaging ou du
produit ne se retrouve pas que pour en faire la relation avec le
nazisme. Par exemple, Kookai avait utilisé pour une affiche
publicitaire, portant la headline « l’enfer, c’est moi », un
visuel de cœur qui re-présente en réalité « le sacré cœur de Jésus
» (un cœur accompagné d’épines) qui sym-bolise l’amour de Jesus.
Ce détail non remarqué par le graphiste de la marque n’a pas
échappé aux communautés catholiques qui se sont empressées de
manifester leur mécontentement.
Les sommets de l’absurde
Ces exemples, qui tiennent parfois plus de l’absurde qu’autre
chose, ne sont que les dé-buts d’une tendance qui prend de plus en
plus de l’importance. Il arrive désormais que l’on reproche tout
et n’importe quoi aux organisations sous prétexte qu’elles sont
puis-santes et qu’elles se doivent d’être omniscientes. Par
exemple, la marque de lingerie Ann Summers a été conspuée pour le
simple fait qu’elle ait lancé une gamme de lingerie nommée « Isis
», du nom de la déesse grecque, mais homonyme à Daesch.
Lorsque Apple a lancé une nouvelle gamme d’émojis, des roux ont
lancé une pétition contre la marque à la pomme, car il n’y avait
pas d’émojis représentant les cheveux roux. Le magazine Newsweek a
été alpagué par les féministes en raison d’une une sexiste, qui
voulait justement dénoncer le sexisme de la Sillicon Valley.
L’enseigne de grande distribution Monoprix a été accusée de
racisme, car sur ses paquets de chocolats Fairtrade, ils
affichaient des paysans noirs. Et puis il existe les campagnes où
il semble que quoiqu’il arrive la marque aurait vécu un « bad buzz
»., Par exemple, Nutella lançait une campagne où l’on pouvait
inscrire ce que l’on voulait sur ses étiquettes. Des internautes
ont reproché à la marque que l’on ne pouvait pas écrire les mots «
bites », couilles », « huile de palme » ou « connard ».
Qu’auraient dit ces mêmes internautes si la marque avait autorisé
toutes ces dérives ? Sans doute la même chose : « bad buzz » !
L’importance des fondamentaux
Des employés aux produits en passant par les communications,
tout peut être source de risques, et il y a fort à penser que la
situation évoluera de plus en plus vers une montée de cas
loufoques d’ici 2020. Le problème de tous ces cas exposés
ci-dessus, c’est que l’organisation abandonne petit à petit tous
ses droits, jusqu’à celui de déclarer que l’on est en crise.
De plus en plus, la crise n’est plus déclarée et définie par
les organisations, mais par ceux qui les démarrent. Difficile de
ne pas y voir une dérive des réseaux sociaux, tant ceux-ci sont
omniprésents dans la majorité des crises citées. Déjà en 2013,
Thierry Li-baert faisait le constat que tout devenait crise ,
mettait en garde sur le fait que « l’arbre du bad buzz 2.0 ne doit
pas cacher la forêt des crises. », et rappelait que « la crise est
un événement exceptionnel d’une gravité extrême pouvant menacer
durablement une organisation, les commentaires, pour virulents
qu’ils puissent être sur les réseaux sociaux, ne présentent pas
automatiquement le même degré de gravité. ».
Ce rappel à la définition même de crise que Thierry Libaert
définissait comme « la phase ultime d’une suite de
dysfonctionnements mettant en péril la réputation et la stabilité
d’une entreprise » (Thierry Libaert, 2013) me semble
indispensable.
Car sans faire une revue complète des définitions du mot crise,
il suffit de prendre deux autres définitions communément citées en
recherche scientifique telle que celle de Rosenthal pour qui, une
crise est « une menace sérieuse affectant les structures de base
ou les valeurs et normes fondamentales d’un système social, qui –
en situation de forte pression et haute incertitude – nécessite la
prise de décisions cruciales » (Rosenthal, 1986) ou Patrick
Lagadec pour qui une crise est « une situation où de multiples
organisations, aux prises avec des problèmes critiques, soumises à
de fortes pressions ex-ternes, d’âpres tensions internes, se
trouvent projetées brutalement et pour une longue durée sur le
devant de la scène ; projetées aussi les unes contre les autres...
le tout dans une société de communication de masse, c’est-à-dire
“en direct”, avec l’assurance de faire la “une” des informations
radiodiffusées, télévisées, écrites, sur longue période. » (Lagadec,
1984) pour se rendre compte que les cas exposés sont loin de
correspondre à ce qu’on entendait alors par le mot crise. Seule la
dernière caractéristique de la définition de Laguadec semble
correspondre. Par exemple, l’affaire de l’étoile jaune a fait
l’objet de 148 articles francophones et 389 internationaux tandis
que l’affaire Urban Outfitters comptabilise quant à elle 138
articles internationaux. (Source : Google Actualité)
L’écho médiatique de ce genre d’événement est donc conséquent,
et pour la raison que les médias se servent de plus en plus des
réseaux sociaux comme sources d’information.
Jusqu’alors les médias ne pouvaient que difficilement voir les
actualités qui intéressaient leur électorat. L’arrivée des réseaux
sociaux a permis de combler cette lacune, bouleversant les règles
de ligne éditoriale. Tout sujet faisant du bruit sur ceux-ci est
désormais considéré comme une information pertinente, et on ne
compte plus les articles qui font le compte-rendu d’un événement
par l’angle des réseaux sociaux. Parfois, ce choix d’angle de la
presse va jusqu’à perturber la lecture même des événe-ments.
Ainsi, la SNCF a vécu en 2014 une crise qu’elle n’aurait jamais du
vivre. Le 20 mai 2014, le Canard Enchaîné sort l’information que
la SNCF a commandé 2000 rames afin de moderniser sa flotte.
Seulement, ces trains seraient trop larges pour 1400 quais. Très
vite, le loufoque de la situation fait réagir les internautes
tweetant plus de 45 000 tweets. (Source : Reputatiolab) Les
réactions politiques vont alors s’enchaîner ?
Pour Alain Rousset, président socialiste de l’Association des
régions de France, les ré-gions refusent de verser un seul centime
sur cette réparation. Frédéric Cuvilier, mi-nistre du Transport,
annonce vouloir une enquête interne. Ségolène Royal veut que les
responsables « paient » dans cette affaire tandis que Valérie
Rabault estime que Guillaume Pepy « doit démissionner ». Pour le
premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis
: « c’est proprement hallucinant. Je pense que la responsabilité
des dirigeants est engagée ». Les articles sur le sujet sous
l’angle de Twitter pleuvent et les médias ne recherchent plus
l’information : ils la commentent ou relaient des com-mentaires.
En réalité, il n’y a aucune erreur sur les commandes. En effet, la
situation était connue et validée depuis janvier 2014. La taupe du
Canard Enchaîné ne serait autre qu’Alain Rousset, président de
l’Association des Régions de France, qui ne voulait pas payer la
part due aux régions.
Une semaine plus tard, Frédéric Cuvillier déclare : « il n’y a
pas eu d’erreur dans les commandes. » Et pour cause, il fallait de
toute façon effectuer ces travaux pour rendre les endroits
accessibles aux personnes à mobilité réduite et les prochaines
normes européennes auraient également contraint aux aménagements
des quais
On le voit donc, si en dehors du cas Kryptonite, il n’existe
aucun retour d’une quel-conque baisse de chiffre d’affaires (les
cas des faux bad buzz orchestrés par Carambar, Stabilo et Protein
World ont même augmenté celui-ci de respectivement 20 % et 27 %
pour ces deux premiers, tandis que Protein World a réalisé 2
millions de livres de re-cettes en plus pour 30 000 nouveaux
clients), le bruit peut obscurcir le traitement médiatique et
mener à des réactions politiques et des demandes de démission des
dirigeants de l’organisation. Tout cela mène à une
complexification de la crise comme Christophe Piednoël qui a géré
pour RFF la crise le pointera plus tard dans une confé-rence
organisée par Communication & Entreprise : « c’est beaucoup plus
compliqué parce qu’il n’y a pas de sujet », « ça paraît tellement
énorme qu’il n’y a plus d’importance pour voir si cela est faux ou
vrai » et ce alors que « cela a été suivi en Chine, aux États-Unis
» alors que « la SNCF est une entreprise qui vend des services au
niveau international et ne manquera pas de se faire railler par
ses concurrents qui ne manquera pas de mettre les bonnes revues de
presse dans le bon dossier d’appel d’offres ».
Cependant, les vibrations virtuelles autour d’une organisation
ne doivent pas toujours être prises comme pertinentes par les
organisations, car il est utopique de vouloir satisfaire tout le
monde. Prenons une annonce de licenciement de personnel, si cette
information est négative aux yeux des employés, celle-ci est
positive auprès des investisseurs. C’est sensiblement ce qui s’est
passé pour la marque Garnier en août 2015. Des militaires de
l’armée israélienne se sont prises en photographie avec des
produits de la marque offerts par une association de soutien
américaine. La photographie a été très bien perçue par les
Israéliens, tandis qu’elle le fut beaucoup moins auprès de la
popula-tion palestinienne.
Les organisations qui tenteront quand même l’exercice
d’équilibre (sans être toutefois immunisées aux crises
éventuelles) prennent le risque de perdre une grande partie de
leur substance, car à force de vouloir contenter tout le monde,
elles n’auront plus aucune identité propre.
Il est donc nécessaire de reprendre le contrôle de ce qui est
crise et de ce qui ne l’est pas sans toutefois se déconnecter de
son environnement et se voiler la face en niant un statut de crise
pourtant évident. Ainsi deux exemples récents illustrent l’erreur
à ne pas commettre. Le premier est celui de Belgocontrol,
l’organisme de contrôle du trafic aérien belge, qui a connu une
panne d’électricité qui a cloué tous les avions au sol durant de
nombreuses heures. Le porte-parole déclara au journal Le Soir : «
la panne d’électricité est survenue lors d’un test sur les
générateurs de secours. Le fait que cela se produise à ce
moment-là montre que nous entretenons très bien les systèmes ». La
négation de la crise à l’œuvre crée une situation paradoxale où le
porte-parole de Bel-gocontrol voudrait nous expliquer que ce qui
cause la crise prouve que tout était fait pour justement éviter
celle-ci. Personne n’est pourtant dupe.
Le deuxième exemple est celui du porte-parole de la FIFA qui
lors de la divulgation de l’affaire de corruption du Fifagate
déclara : « vous n’allez pas me croire, mais c’est un bon jour
pour la FIFA ». Même constat, difficile de lever l’incrédulité des
publics (Heiderich & Maroun, 2014) lorsque tout le monde sauf vous
pense que vous n’êtes pas en situation de crise.
La crise devient donc petit à petit à ce point complexe qu’en
plus de la gérer, il faudrait désormais également déterminer si
elle existe bel et bien.
Prédictions pour 2020
Sur base de ces constats, nous pouvons émettre quelques
prospections pour l’avenir :
1. Une augmentation des risques de contamination
communicationnelle avec :
• Une multiplication de cas où l'employé d'une organisation
jouera les premiers rôles. On le voyait déjà avec "les lanceurs
d'alerte", ou avec l'essor des smartphones, mais il y a fort à
parier que les crises provenant d'un employé isolé contaminant
l'organisation dans son ensemble se feront de plus en plus
fréquentes, particulièrement quand les actes de l'employé
paraîtront représentatifs du fonc-tionnement de l'organisation
entière.
• Tout acte de sponsoring auprès d'une égérie/d'un
événement/autres pourront se retourner contre l'organisation qui
la souscrit dans le cas où ces derniers subiraient une crise.
2. Une difficulté accrue à communiquer. L'enjeu pour les
organisations ne sera plus uniquement de pouvoir opérer, mais
également d'avoir le droit de communiquer. Non seulement certaines
organisations n'auront plus le droit social de communiquer, mais
il y aura également la tentation pour certaines organisations de
franchir certaines frontières légales et sociales pour parvenir à
communiquer dans un monde d'infobésité et d'érosion des audiences.
3. Une multiplication des parties prenantes qui occasionne
l'impossibilité pour les organisations de satisfaire chacune
d'entre elles sous peine d'être vidée de toute substance.
4. Une augmentation croissante des soubresauts provenant des
réseaux sociaux dans la mesure où il devient de plus en plus
facile de créer du bruit susceptible d'alerter les médias sur une
problématique particulière.
5. Une difficulté croissante à déterminer ce qui est ou n’est
pas « crise », qui naîtra de l’ensemble des prévisions
précédentes. Celles-ci vont créer un sentiment que l’organisation
est perpétuellement en crise, transformant une situation de crise
en situation de normalité qui risquerait de pénaliser
l’organisation si elle ne prend pas compte des bons signaux lui
permettant de corriger son fonctionnement.
Dans un tel climat, les organisations devront donc réfléchir
sur leur identité et agir en fonction, sans quoi, en 2020, nous
serons tous en « crise ».
Nicolas Vanderbiest, doctorant, Laboratoire d’Analyse des
Systèmes de Communication des Organisations, Université Catholique
de Louvain.
Bibliographie
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relations publiques de crise. Une nouvelle approche structurelle
de la communication en situation de crise.
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Vieweg, S. (2008). “Site-seeing” in disas-ter: An examination of
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International ISCRAM Conference, Washington, DC.
• Lagadec, P. (1984), Le risque technologique et
les situations de crise, Annales des Mines, août.
• Lariscy, R. W., Avery, E. J., Sweetser, K. D.,
& Howes, P. (2009). An examination of the role of online social
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• Libaert, T. (2015). La communication de
crise-4ème édition. Dunod.
• Malone, P. C., & Coombs, W. T. (2009).
Introduction to Special Issue on Crisis Communication. Journal of
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• Rosenthal, U. (1986), Crisis Decision Making
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103-129.
• Stucliffe, K, M. et Vogus, T. (2003), «
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Robert, E.Quinn, (Eds), Positive Organizational Scholarship :
Foundations for a new discipline, 94-110.
• Thomson, I., & Boutilier, R. (2011). The
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1779-1796.
• Vanderbiest, N. (2015). Mémoires des crises
2.0 : 2014.
• Weiner, B. (2006). Crisis communications:
Managing corporate reputation in the court of public opinion. Ivey
Business Journal, 1-6.
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ISSN 2266-6575
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