Les nouveaux enjeux de la communication de crise
du gouvernement face au terrorisme (Article
rédigé avant le 13 décembre 2015)
Par Alexia Léperon, journaliste
Article paru dans :
Prospective : Horizon 2020
Numéro spécial 15 ans
N°23 du Magazine de la communication de crise et sensible,
Décembre 2015
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Le début de l’année 2015 a été touché par la multiplication
d’attentats ou de tentatives d’attentats contre la France
perpétrés par des islamistes terroristes. La menace n’est pas
nouvelle. Le 11 septembre 2001 a marqué l’entrée du monde dans un
climat de peur et de suspicion. Mais c’est la multiplication de ce
type de crises qui est nouvelle. Cette menace s’est concrétisée et
accélérée en 2015 et ce dès le 7 janvier. Avec cette accélération
le gouvernement va devoir faire face dans les prochaines années à
des crises d’un genre nouveau, avec en son cœur le sentiment de
peur. Le climat qu’elle a instauré en France donne l’obligation au
gouvernement de mettre en place une communication de crise
adaptée.
La communication du gouvernement face aux actes terroristes
: rapidité, solidarité, fermeté
La communication qu’a adoptée le gouvernement en réponse aux
attentats terroristes de 2015 repose sur trois piliers : la
rapidité de la communication, la fermeté, et la mobilisation des
citoyens.
D’abord il faut que la communication de crise du gouvernement
soit extrêmement rapide et quasi instantanée. Face à la rapidité à
laquelle les citoyens sont informés d’un acte terroriste, via les
chaînes d’info ou les réseaux sociaux, le gouvernement doit
engager une réaction immédiate. C’est ce qu’a fait François
Hollande en se rendant directement sur les lieux de l’attentat de
Charlie Hebdo. Après l’attentat en Isère, François Hollande a
précipité son retour de Bruxelles afin d’organiser un conseil de
crise extraordinaire.
Lorsqu’il prend la parole de Bruxelles il ajoute : « Il y a une
émotion, mais l’émotion ne peut pas être la seule réponse. Il faut
de l’action » . Et c’est là le deuxième axe de la communication du
gouvernement : la nécessité de fermeté face à l’action des
terroristes. Pour agir, le gouvernement s’est empressé de faire
adopter la loi sur le renseignement, et en amont, tente d’agir à
la source contre la tentation du djihad.
Enfin c’est sur la nécessité de rassemblement que la
communication est axée. Le rassemblement avec les victimes et face
à la douleur, et le rassemblement pour refuser la pression
terroriste et ne pas tomber dans la division qui pourrait naître.
Toujours après l’attentat en Isère, Manuel Valls affirmait : « La
France est une nation forte et solidaire. Elle ne cèdera jamais à
la peur. »
La peur, objet de la communication des terroristes
Ces derniers mois, face à la multiplication des actes et des
menaces, la communication s’est intensifiée pour devenir quasiment
omniprésente. A ce stade on peut se demander si cette
communication massive ne dessert pas l’objectif premier qui est de
maintenir la population dans un état de calme et d’éviter la
panique.
Car c’est précisément la panique que recherchent les
terroristes. Leur communication est omniprésente, notamment sur
les réseaux sociaux. Si pour appâter de futurs dji-hadistes ils
vont miroiter une vie idéale en Syrie et montrent des images de
guerre censées faire naître un désir d’aventure chez les candidats
au Djihad, la stratégie de communication envers l’ennemi diffère.
Elle est basée sur la peur et le choc. L’attentat lui-même est un
moyen de communication. D’une part la communication des
djihadistes est basée sur le choc, l’image, la scénarisation.
C’est le choc d’une décapitation, le choc de l’image de jeunes
filles se faisant sauter en plein marché, ou encore le choc d’une
attaque envers un journal symbole de la liberté d’expression.
Au-delà du choc c’est la médiation de la violence qui instaure un
climat de terreur. La vidéo de l’otage français Hervé Goudel, dont
la décapitation est filmée et diffusée massivement sur les réseaux
sociaux en est l’illustration.
Mais ce qui diffère avec les terroristes « traditionnels »,
c’est l’absence de motif de revendication. Pas de revendication
territoriale, ni politique. Les djihadistes se battent contre «
l’ennemi » occidental mais il est impossible pour les pays visés
de répondre à une quelconque revendication ou négociation.
Une nouvelle manière de communiquer face aux crises : moins
communiquer
Et c’est là ce qui va rendre la communication de crise du
gouvernement très difficile à gérer dans les prochaines années. Il
est impossible de justifier les actes des terroristes
rationnellement, et dans le même temps il ne faut pas céder à la
peur.
Dès lors la communication de crise face au terrorisme va dans
quelques années at-teindre un paradoxe. Le fait même de
communiquer fait le jeu des terroristes et contri-bue au climat de
peur voulu par les terroristes. Le 14 juillet, François Hollande
profite de son interview télévisée pour annoncer que les services
de renseignement déjouaient des attentats constamment : « Je n’ose
pas dire tous les jours, mais toutes les semaines, nous arrêtons,
nous empêchons, nous prévenons des actes terroristes. Je n’ai pas
ici, à faire des conférences de presse, pour en informer les
Français » . Le lendemain à Marseille, il révèle même que les
services de police venaient tout juste de déjouer un attentat.
Bernard Cazeneuve avance sa conférence de presse de 24 heures,
pour annoncer que quatre personnes avaient été interpellées par
les agents de la DGSI. Ils préparaient un acte terroriste contre
des installations militaires françaises. La communication
gouvernementale s’en trouve bouleversée, et certains dénoncent
même une impression de précipitation qui se retourne contre la
volonté d’instantanéité venant du gouvernement. La droite dénonce
même une « volonté d’appropriation politique » (Frédéric Péchnard,
bras droit de Sarkozy, sur Europe1). Avant cela, le seul projet
d’attentat déjoué dévoilé était celui de Sid Ahmed Ghlam contre
deux églises à Villejuif. Selon le gouvernement, il était
nécessaire de communiquer sur les projets d’attentats le 14
juillet car ils visaient un site militaire et impliquaient des
mineurs. Le gouvernement se base donc sur l’idée qu’on ne peut pas
cacher la vérité.
Or en communiquant massivement et si rapidement sur les projets
d’attentats le gouvernement fait ce qu’attendent les terroristes
et participe à l’instauration d’une atmosphère de peur, de menace,
et de suspicion. En communiquant trop sur le terrorisme n’est-on
pas en train de démultiplier l’impact de leur acte ?
Si le gouvernement a jusqu’à présent souhaité la transparence
la plus totale, cette transparence est dommageable dans la lutte
contre le terrorisme. Dès lors le gouvernement va devoir faire
face à de nouveaux enjeux dans sa communication de crise.
Pour répondre à la nécessité de ne pas s’enfermer dans la peur,
peut-être faut-il finalement moins communiquer. Une communication
de crise avec moins de communication, en somme. Avant tout si le
mouvement de multiplication des actes terroristes qui s’est amorcé
en 2015 continue dans les années à venir, un tri dans les
informations va être nécessaire. Il va falloir pour le
gouvernement réussir à hiérarchiser les événements, et pour ne pas
rentrer dans le jeu des terroristes, trier ce qui est plus ou
moins important. Ainsi on peut s’interroger sur l’opportunité de
communiquer sur les divers attentats déjoués.
Dès lors il est vrai qu’adopter cette posture d’une
communication réduite en temps de crise pose la question de la
liberté d’information et de la transparence. Elle implique une
moindre transparence au profit de la défense de l’idéal
républicain. Mais dans une société appelée à connaître de plus en
plus d’actes terroristes il faudra pour le gouvernement trouver le
bon équilibre entre diffusion de l’information et la lutte contre
les terroristes.
En résumé la communication de crise du gouvernement va être
amenée à évoluer dans les années à venir face à la montée en
puissance des terroristes. Pour une communication plus efficace,
le gouvernement va devoir passer d’une communication instantanée à
une communication plus rationnelle, plus réfléchie, et plus
sélective de l’information. Il sera nécessaire d’instaurer une
communication de la rationalité face à la peur et l’émotion
recherchée par les terroristes.
Alexia Léperon
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