Crises 2020, une chose certaine : leurs
incertitudes
Par Thierry Libaert, Ph.D

Article paru dans :
Prospective : Horizon 2020
Numéro spécial 15 ans
N°23 du Magazine de la communication de crise et sensible,
Décembre 2015
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En 2012, avec la chaire de prospective du CNAM, nous avions
organisé un atelier avec une trentaine de responsables de
communication en entreprise pour analyser ce que pourrait être la
fonction communication en 2020. Les participants étaient invités à
réfléchir aux grandes tendances puis à les classer sur un axe à
double entrée ; celle de l’importance de l’enjeu puis celle de la
capacité de maîtriser le phénomène. Au final, nous avions été
surpris d’observer que les tendances de communication considérées
à l’horizon 2020 comme les plus importantes et les moins
maîtrisées possédaient quasiment toutes une composante « crise »
assez notable : la montée des demandes d’indemnisation,
l’atomisation du corps social, le risque d’explosion sociale, la
viralisation de l’information, l’accélération des crises
écologiques.
L’ensemble des facteurs d’accélération de crise sont toujours
en place et devraient continuer à se développer. La complexité
technologique rend nos structures plus fragiles ; que se
passerait-il si demain Internet connaissait une panne générale ?
Impossible certes, mais le propre des crises les plus graves est
qu’elles apparaissent toujours impossibles.
A l’aube de la COP 21 en décembre prochain à Paris, la grande
majorité des climatologues sont formels, le pire à venir ne tient
pas dans un réchauffement climatique progressif, mais bien dans la
multiplication d’événements météorologiques extrêmes et dans un
emballement qui peut se révéler catastrophique.
La relecture des crises du passé nous enseigne une leçon
importante : nous sommes incapables de réellement tirer profit de
nos expériences. Alors que chacun s’accordait après la grande
crise des subprimes en 2008 sur la nécessité de rebâtir une
économie sur des fondements plus solides, c’est à nouveau à un
emballement financier sans régulation que nous avons assisté. A
une échelle plus territoriale, et ayant eu l’expérience de
contribuer à une mission sénatoriale sur la prévention des
inondations dans le Var, les parlementaires eux-mêmes m’avaient
confié leur lassitude d’élaborer un nième rapport sur le sujet. Et
chaque année apporte son lot de nouvelles inondations, suivies de
nouvelles commissions d’enquête.
Côté positif, la plupart des grandes organisations ont pris
conscience de deux paramètres majeurs, d’abord celui de la
nécessité de se doter de réelles compétences en gestion et
communication, ensuite qu’une bonne organisation ne pouvait se
réduire à la réalisation d’un média training et l’écriture des
sacro-saints éléments de langage.
L’approche classique par la cartographie des risques s’est
révélée nécessaire, mais largement insuffisante puisque les
retours d’expérience effectués ont montré que dans la
quasi-totalité des cas, les crises avaient été anticipées. Le
problème ne réside pas dans la faiblesse de la détection, mais
bien dans le traitement de l’information et la prise en compte du
facteur humain dans une société où le temps s’accélère en
permanence et où la quantité d’informations reçues explose.
Une grande majorité d’experts avaient prévu en 2006 une grande
catastrophe sanitaire avec la propagation du virus H5N1 de la
grippe aviaire ; cette crise ne s’est pas réalisée. A l’inverse,
on n’avait pas anticipé le chamboulement planétaire lié aux
révolutions dans le monde arabe. Les crises du futur ressembleront
à ce schéma. Les crises prévues ne se réaliseront pas et les
crises qui arrivent n’auront pas été prévues. Comme nous
l’écrivions en 2006 avec Christophe Roux-Dufort , les crises sont
devenues mutantes et protéiformes, en recomposition permanente et
les modèles techniques pour y faire face doivent céder la place à
de nouvelles approches où la psychologie, la sociologie et bien
d’autres disciplines seront convoquées.
La chance pour la communication de crise, c’est qu’en 2020, les
personnes qui seront aux manettes pour affronter les nouvelles
crises auront été formées à la discipline puisque la communication
de crise est désormais au programme de la majorité des formations
communication, qu’ils auront pour la plupart eu l’expérience de l’interculturalité
grâce aux échanges Erasmus, et que la pratique des réseaux sociaux
leur sera familière.
Après une première époque où la communication de crise se
contentait de renvoyer vers le fatalisme ou le châtiment divin,
une deuxième phase marquée par les dispositifs techniques et
l’analyse des risques pour contrer l’accident technologique
majeur, et une troisième phase qui a débuté à la fin des années
1990 avec l’impact du digital dans la création et l’amplification
des crises, et une porosité accrue avec le bad buzz, les années
2020 ouvriront une quatrième étape, celle où l’ampleur de la crise
ne sera plus jugée sur l’importance de la médiatisation, mais bien
dans celle de l’impact imprévisible sur les systèmes.
Les grandes crises depuis le début des années 2000, qu’elles
soient financières (subprimes), climatiques (Katrina) ou
géopolitiques (les migrants) nous apprennent que nous savons
parfaitement renflouer des banques, bâtir des digues ou construire
des murs, c’est-à-dire tâcher de réduire les impacts des crises.
Bossuet nous disait déjà que nous nous plaignions des conséquences
tout en continuant à vénérer les causes. Espérons que la gestion
des crises de l’après 2020 soit celle qui consiste à réellement
les empêcher en s’attaquant aux causes et non plus à les gérer au
mieux par des dispositifs d’adaptation dans lesquels la
communication de crise ne serait qu’un outil.
Thierry Libaert est docteur en Sciences de l’Information et
de la Communication, membre du Comité Economique et Social
Européen, Il a publié une vingtaine d’ouvrages et de nombreux
articles. Professeur à l’Université de Louvain de 2008 à 2014, il
été maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de
Paris (1999/2013) et Directeur scientifique de l’Observatoire
International des Crises
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