La communication de crise dans le sport, entre
mythe et narration
Par Didier Heiderich
Le sport est l’un des rares secteurs économiques
en proie à autant de passions, d’amour et de désamour. Ainsi,
toute crise dans le sport est régie par des mécanismes complexes,
certes en raison de la pluralité des parties prenantes, entre
individus, foules, autorités, politiques et le rôle des médias,
mais surtout en raison des liens qui les unissent dans une
histoire commune.
Un processus de mythification
Nous pouvons classer les crises dans les milieux sportifs selon
leurs causes : entre les causes sportives (accident, mauvais
résultats, dopage, tricherie,…) et extra-sportives (scandale,
finances, institution,…) Mais à l’exception des accidents graves
(Furiani, etc.), nous pouvons constater une isotopie des crises.
Cette isotopie est le fruit d’un système narratif entre
sacralisation et désacralisation, entre mythification et
démythification. Ainsi, les crises dans le sport se nourrissent
d’une construction sémantique fondée sur le sacré et le mythe,
voire pour le public de l’expérience du sacré « j’étais là », «
c’est historique », « l’exploit », avec en prime une iconographie
du héros qui renforce la construction de la légende : blessure,
genoux à terre, bras en croix, trophée embrassé, Champs-Elysées
remonté par l’équipe de France de football vainqueur de la coupe
du monde 1998. Cette sacralisation qui est une construction
communautaire d’appartenance, renforce l’acception qui veut que
les crises dans le sport sont singu-lières, exacerbées, et
émotionnelles. Car au-delà même de la nature de la crise, c’est le
spectacle de la chute qui prime.
Avant, pendant et après la crise, tout est affaire d’un
spectacle qui met en scène les ressorts de la mythologie avec une
isotopie qui structure la communication sur la crise, dans un
feuilleton dont le public attend les rebondissements. Les « dieux
du stade », certes sanctifiés, nous livrent en prime leurs joies
et leurs déboires personnels : la sphère privée a ceci
d’universelle qu’elle permet au commun de s’approcher du mythe.
Mythe et crise dans le sport
Les médias participent de fait à une mythification du sport,
non seulement sur le plan sportif, mais également sur l’ensemble
des composantes qui l’environnent. Car le sport a pour
particularité d’être à la fois sujet et objet médiatique : les
médias télévisuels achètent à prix d’or le droit de retransmettre
des événements, qu’ils vont commenter par ailleurs dans les JT.
Ainsi, entre ceux qui accèdent à la diffusion et les autres, se
joue une guerre du commentaire, qui englobe, certes les prévisions
et résultats, mais également les histoires personnelles, parfois
jusqu’à l’intimité de l’assiette, le décor, l’organisation et
l’argent.
Cette apparente transparence donne au spectateur le sentiment
de tout savoir, ce qui permet d’accentuer l’effet de surprise
lorsqu’une crise survient. Nous sommes alors plongés au cœur d’un
processus codé, qui participe parfaitement du spectacle et
bouscule la notion de rupture qui accompagne les crises : dans les
crises sportives, la véritable rupture est la rupture narrative,
lorsque la crise ne joue plus son rôle, lorsque l’effondrement est
invisible ou trop fortement déconnecté, lorsque la crise est trop
éloi-gnée de la légende.
Sauver le mythe
En communication de crise, la première question qui se pose est
celle de ce qui est à protéger. Dans les crises sportives, au-delà
des aspects matériels et humains, le patrimoine à sauvegarder est
la « littéralité » du mythe. C'est-à-dire, un continuum dans la
légende qui s’écrit. A l’heure où tout est crise, où un tweet mal
formulé fait l’évènement, les commentateurs voient des crises, là
où ne réside qu’un épisode qui jalonne une construction du mythe.
Et même, dans les sports d’équipe, l’éviction d’un entraineur, les
frasques d’un sportif, une prise de parole malheureuse d’un
dirigeant ou la violence de supporters ne sont pas
systématiquement une crise, mais ne sont parfois que des
événements qui participent de la construction d’une histoire. Tout
en évitant un jugement homogène, pour qu’il y ait « crise » encore
faut-il que le mythe s’effondre. Même le Tour de France, malgré
une réputation fortement entachée, continue plus que jamais à
rencontrer son public. Le monde du football où circule des sommes
démesurées, où tout semble s’acheter et se vendre, où l’excès est
la norme, échappe pourtant à la désaffection de son public. Les
jeux olympiques, objet de controverses et d’accusations graves
font l’objet de compétitions âpres pour les accueillir.
Si le mythe est à protéger, lui-même est protecteur, même si
les intérêts financiers gigantesques sont également protégés par
l’industrie et les Etats. Mais en tout état de cause, la
communication de crise dans le sport ne peut faire abstraction de
l’histoire, du sacré et de la désacralisation, tant que celle-ci
reste parfaitement délimitée et s’insère dans le mythe, parfois
par la mise à mort médiatique d’une personnalité, dans une « mise
en abyme » . « Orphée est condamné à ne jamais revoir Eurydice,
parce qu'il l'a regardée. Ce vieux mythe exprime bien la loi du
rythme, qui ramène ainsi et entraîne de belles images du fond des
abîmes, mais toujours derrière lui, et sans s'arrêter jamais »
Cette sentence d’Alain, nous rappelle à quel point le tragique
participe d’une construction légendaire. Ainsi, les supporters
français sont condamnés à revoir les images de Patrick Battiston
violemment heurté lors de la coupe du monde de football en 1982
par un joueur de l’équipe d’Allemagne : 32 ans après, cette « mise
en abyme » reste régulièrement évoquée alors qu’un match de
football dure 90 minutes.
Communication de crise dans le sport
En 2003, j’avais donné un cours de communication de crise dans
la Master de Manager général du club sportif professionnel à
Limoges. A l’époque, Laurent Blanc, actuel entraineur du PSG,
m’avait dit que mon cours est intéressant, mais que dès que l’on
est dans l’univers du sport et du football en particulier,
l’irrationnel prend le dessus. Il avait raison et c’est toujours
vrai aujourd’hui. Si au-delà des méthodes de communication de
crise, le discernement est indispensable, c’est encore plus vrai
dans le monde du sport. Depuis la mise en lumière du storytelling,
celui-ci fait l’objet de toutes les candeurs, particulièrement en
situation de crise. Malgré cette prudence, le storytelling prend
une importance singulière dans la communication de crise sportive.
Sans une compréhension de la structuration narrative qui s’est
dessinée bien avant la crise, sans se saisir de la participation
des supporters dans ce schéma, il sera difficile de définir une
stratégie de communication qui s’inscrive dans l’isotopie au
risque de perdre le sens de l’histoire qui se construit.
Le monde du sport permet la petite phrase, les excuses mal
formulées, les repentis douteux, là où serait condamné sans appel
un responsable industriel. Mais si la communication de crise dans
le sport semble pouvoir se satisfaire de « coups », c’est en
réalité moins vrai que dans d’autres secteurs économiques, car
l’exposition médiatique est permanente, car le désamour signifie
la mort et la disparition : l’histoire peut se terminer et le
livre se refermer. Pour Claude Bremond « Où il n'y a pas
succession, il n'y a pas récit mais, par exemple, description (si
les objets du discours sont associés par une contiguïté spatiale),
déduction (s'ils s'impliquent l'un l'autre), effusion lyrique
(s'ils s'évoquent par métaphore ou métonymie), etc. Où il n'y a
pas intégration dans l'unité d'une action, il n'y a pas non plus
récit, mais seulement chronologie, énonciation d'une succession de
faits incoordonnés. Où enfin il n'y a pas implication d'intérêt
humain (où les événements rapportés ne sont ni produits par des
agents ni subis par des patients anthropomorphes) il ne peut y
avoir de récit, parce que c'est seulement par rapport à un projet
humain que les événements prennent sens et s'organisent en une
série temporelle structurée. »
Ainsi, dans le sport, plus que dans d’autres domaines, la
communication de crise exige une cohérence sans faille, cohérence
avec l’histoire et le mythe, ses protagonistes directes, les
supporters, les spectateurs. Car dans le sport, se tromper
d’histoire, c’est toucher au sacré.
Didier Heiderich, Président de l'Observatoire International
des Crises, Maître de Conférences invité à l'UC Louvain Directeur
Associé du cabinet
HEIDERICH
Références
Jean-Michel Laspéras, Exemple de programmation du récit,
Mélanges de la Casa de Velázquez. Tome 14, 1978.
Alain,Beaux-arts,1920, p.93
Bremond Claude. La logique des possibles narratifs. In:
Communications, 8, 1966. pp. 60-76. doi : 10.3406/comm.1966.1115
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