Sport et turbulences
Par Jérôme Cabane
« Tricher : enfreindre certaines règles, certaines
conventions explicites ou d'usage en affectant de les respecter ».
Là ou tricher ne devrait pas être du jeu.
Devenu aujourd’hui un fait social très largement médiatisé, le
sport ne laisse pas ses publics indifférents. Sa pénétration dans
la vie active et sociétale étant croissante, les répercussions de
faits ou d’évènements qui peuvent avoir lieu pour des sportifs,
des clubs ou des fédérations ont des incidences médiatiques. A
fortiori pour le sport de haut niveau, qui représente l’excellence
sportive, reconnu par différents textes législatifs,
réglementaires et par la charte du sport de haut niveau qui
consacre l’exemplarité du sportif de haut niveau .
Dans un contexte de mondialisation et d’organisation globale
(CIO, FIFA, FIA), les dispositifs de retransmission des images
captées sur les stades répondent désormais à la demande d’émotion,
de joie et de plaisir, et ce spectacle s’est rapidement lié à la
consommation et exploité à des fins mercantiles.
Tout en donnant au sport de haut niveau le statut de sport
spectacle, et compte tenu du poids croissant des logiques
commerciales qui accompagnent le milieu du sport, cette
médiatisation accrue, qui ne concerne plus exclusivement l’exploit
sportif mais tout ce qui le touche de près ou de loin, contribue à
l’émergence de multiples affaires sportives relatives à des
problématiques de corruption, de dopage, de mœurs ou de tricherie
de gravité variée.
« Citius, altius, fortius », la devise olympique
Le sport et son système de compétition impliquent des êtres
humains, poussant leurs capacités physiques au maximum, préparant
et entretenant leur corps au meilleur niveau. Ce système induit
une dimension de performance et d’amélioration de celle-ci,
vis-à-vis de soi-même, et vis-à-vis des autres. La triche, partie
intégrante de toute activité sportive, constitue une prise de
risque à la limite de la légalité. Tirage de maillot, an-tijeu,
faute simulée… jouer avec le règlement et le contourner fait
partie du jeu, dépas-ser l’adversaire étant l’objectif ultime en
allant plus vite, plus haut, plus fort.
Le dépassement de cette frontière ténue, à la lisière du
permissible, va à l’encontre de la reconnaissance et l’acceptation
de la même règle pour tous, et consacre comme vainqueurs, dès lors
qu’ils échappent à la vigilance des instances règlementaires, les
tricheurs les plus talentueux.
Se doper, une pratique antique
La problématique du dopage intervient dans ce contexte, ou la
frontière entre suivi médical (ou préparation sportive) et dopage
est très ténue. Phénomène d’ampleur internationale, il touche
nombre de sports et sportifs depuis l’antiquité.
Le domaine du cyclisme, sport d’endurance le plus cité pour ce
type de pratique, et son épreuve phare, Le tour de France, ont été
fortement exposés médiatiquement en 1998 par l’arrestation du
soigneur de l’équipe Festina, Willy Voet, en possession de
nom-breuses doses d’EPO (érythropoïétine). Cet incident représente
un tournant de l’histoire du dopage dans le sport. Il révèlera au
grand public l’étendue des pratiques dopantes, ainsi que
l’apparition de produits dopant de nouvelle génération, qui
portent atteinte à l’égalité entre concurrents, bouleversent le
principe d’équité de la compétition (dans la mesure il s’agissait
d’un produit beaucoup plus fort que les autres, et auquel tous les
sportifs n’avaient pas accès) et lèsent l’intégrité du corps.
La société organisatrice (ASO) a saisi cette affaire pour
affirmer de nouveau et avec force sa position de lutte contre le
dopage. Parce que Festina ne pouvait cautionner aucunement ce
genre d’agissement, la marque se séparera des sportifs de son
équipe.
« En écartant Richard Virenque, le principal accusé dans
l'affaire, Festina s'en est désolidarisé. Le bruit causé par
l'événement n'a fait que propager le nom de Festina, la rendant
par la suite très connue avec une notoriété exceptionnelle »
explique Thierry Libaert .
Si l’image du Tour de France, qui a récemment fêté son
centenaire, est fortement associée à de nombreux scandales de
dopage , elle n’en demeure pas moins très forte, remportant des
succès d’audience et demeurant très attractive pour les sponsors.
« Tout le monde sait que le dopage est une pratique courante sur
la Grande Boucle comme dans les autres sports. Mais chacun préfère
croire à ce qu’il voit. C’est le propre du mythe : on sait que
c’est factice mais il nous plaît de croire que tout est vrai. ».
Devant cette compétition, le spectateur accepte le récit
invraisemblable de ces sportifs toujours plus rapides et
puissants, et y prend plaisir. Il ferme les yeux sur la
supercherie, accepte de ne plus faire appel à sa raison et
s’échappe de la matérialité de son quotidien pour voir le réel
sous un meilleur jour, se délectant de l’improbable.
La fiction du sport spectacle renforce le paradoxe de cette
situation auprès de l’opinion publique et révèle qu’en matière de
dopage, il n’existe pas d’exigence aussi forte de la part du corps
sociétal qu’il peut y en avoir sur l’attitude des entreprises (vis
à vis de ses employés, de l’environnement, demande d’éthique).
Paris truqués et matchs arrangés
Les affaires de paris sportifs relèvent d’une autre catégorie
de tricherie. Celle qui implique les joueurs du club de handball
de Montpellier, champions de France et formation prestigieuse
depuis les années 1990, a entaché la crédibilité de la discipline
en septembre 2012 alors que la ligue française de handball misait
sur un développement de ses revenus et de l’audience du sport en
France.
Ce scandale, une première dans ce sport, révèle une affaire de
paris frauduleux sur un match sans enjeu dans laquelle est
impliquée la vedette de l’équipe de France Nikola Karabatic, héros
national lors de Jeux Olympiques de Londres, devenu « un français
d’origine serbe » sur BFM TV alors que les médias s’emparent de
l’affaire.
Daniel Costantini, ancien sélectionneur de l’équipe de
Handball, fera rapidement part de son inquiétude : «Ça fait
désordre par rapport à ce que le handball représente. Comme
écrivait Marcel Pagnol dans la bouche de César: "l’honneur c’est
comme les allu-mettes, ça ne marche qu’une fois". Maintenant qu’il
y a une entaille dans le contrat… cette ombre n’est pas prête de
se dissiper .»
Les conséquences de cette affaire sont
nombreuses et d’ordre divers.
• Une surexposition médiatique forte dans un contexte
singulier, depuis l’arrestation de Nikolas Karabatic jusqu’aux
conférences de presse du procureur de la République, ainsi que les
interventions des présidents et entraineur du club qui seront
largement couverts et retransmis par les journaux télévisés.
• Un contrecoup économique aussi bien pour les joueurs
impliqués (Nikola Karabatic était lié à une dizaine de sponsors
pour une des revenus d’image estimés à 500000 € par an), que pour
la région de Montpellier et la Fédération (remise en cause
certains partenariats et contrats de sponsoring).
• Morales et éthiques compte tenu des valeurs supposées du
handball, « loin du tapage médiatique et de l’argent roi ».
L’entorse à la déontologie associe les doubles champions
olympiques au terme d’escrocs, une mise en examen et un placement
en contrôle judiciaire.
En condamnant fermement et en se séparant rapidement des
éléments incriminés, précisant qu’il ne s’agissait que d’actes
isolés de joueurs, le club voulait assurer une gestion saine de sa
communication et protéger le reste de l’équipe, la suspicion sur
certains autres étant susceptible de polluer la qualité de la
relation au sein du groupe.
Le retentissement de l’affaire se justifie par l’implication
potentielle de sportifs de haut niveau, et par la révélation de
l’extrême fragilité du système sportif dans sa globalité face aux
paris sportifs truqués. Comme l’indique Sarah Lacarrière dans son
livre Blanc Paris sportifs et corruption, « la corruption sportive
est une activité sans risque. Le sport bénéficie d’une certaine
impunité, c’est moins dangereux que le trafic de drogues ou
d’armes dans lequel existent déjà des outils de lutte et des
conventions internationales ». Cette crise s’est révélée au
travers de la remise en cause des fondamentaux du sport que sont
la partialité et l’équité.
Comment croire et porter un intérêt pour un sport où l’on peut
déterminer à l’avance qui sera le vainqueur ?
Les campagnes de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne
(dont les missions incluent la protection du consommateur,
l’assurance de la sincérité des opérations de jeux, la lutte
contre la fraude et le blanchiment et la redistribution des mises
aux filières sportives) rappellent régulièrement au consommateur
et acteurs du milieu les peines encourues pour non-respect des
règles établies.
Renault fonce dans le mur
En Formule 1, l’affaire Renault dite du Crashgate apparaît
comme une crise d’ampleur, révélant des enjeux financiers devenus
tellement importants qu’ils constituent le seul vecteur retenu, au
mépris des règles sportives et de sécurité.
Le 28 septembre 2008, lors du Grand Prix de Formule 1 de
Singapour, Nelson Piquet junior, pilote au sein de l’équipe
Renault, sort de la piste et frappe le rail de sécurité lors du
15ème tour de course. Un an plus tard, vexé d’être remercié pour
manque de résultats en cours de saison, il révèle à la FIA le 30
juillet, que l’accident du GP de Singapour n’était pas dû à une
erreur de pilotage mais à une instruction de Flavio Briatore,
directeur de l’écurie et son directeur technique, Pat Symonds et
accuse l’écurie d’avoir triché. Cette action volontaire est venue
s’opposer aux efforts de la FIA en matière de sécurité depuis les
décès de Ayrton Senna et Roland Ratzenberger en 1994, ce même
argument sécuritaire étant parmi les principales et
incontournables composantes de l’image de marque de Renault. Les
valeurs du sport ont ainsi été bafouées, la sécurité des pilotes
méprisée et l’issue du championnat influencé.
L’écurie sera convoquée par la FIA le 21 septembre 2009 au
motif de « conspiration avec son pilote Nelson Piquet Junior, afin
de provoquer délibérément un accident au GP de Singapour 2008 dans
le but de causer le déploiement de la voiture de sécurité à
l’avantage son autre pilote, Fernando Alonso ».
Renault, après avoir nié les faits et porté plainte pour «
dénonciation calomnieuse et tentative de chantage aggravé dans le
but de permettre à M. Piquet Jr de garder son baquet de pilote au
sein de l'écurie jusqu'à la fin de la saison 2009 », changera de
stratégie, reconnaîtra la tricherie, et limogera Flavio Briatore
et Pat Symonds.
Engagé en F1 pour promouvoir son image technologique et
accroître sa notoriété, le constructeur se retrouve convaincu de
tricherie. « Leur communication de crise est intéressante car ils
font porter la faute à Flavio Briatore. C’est ce dernier qui a
toujours été mis en avant dans la communication sport de Renault.
Cela a permis à la marque de prendre ses distances avec l’écurie
de F1 » déclare Gilles Dumas , président de SportLab. La crise
sera traitée dans la discrétion totale et absolue, la marque,
condamnée à deux ans de suspension avec sursis, abandonnera peu
de temps après les pistes de F1 sous son propre nom, le discrédit
porté par l’affaire étant devenu insurmontable.
Médiatisation et images probantes
Dans le domaine du Rugby, le scandale du Bloodgate met en scène
au sein de l’équipe anglaise des Harlequins, la blessure à la
bouche d’un joueur, Tom Williams, par l’utilisation d’une capsule
de faux sang, ce afin de faciliter une réorganisation tac-tique et
favoriser l’équipe. Cette affaire, mise au grand jour par une
caméra de télévi-sion (le joueur quittera le terrain en faisant un
clin d’œil à son médecin ) révèlera un haut niveau d’organisation
de la tricherie au sein de l’équipe et aura diverses consé-quences
en terme de management au sein du club (amende, suspensions,
interdiction de pratique sportive, démission).
Si la tricherie a toujours existé sous une multitude de formes,
la médiatisation accrue et la modernisation des moyens de
détection permettent désormais de déceler et décou-vrir de plus en
plus d’incidents, et d’en dénoncer les acteurs. Même si quelques
hauts-faits, dans le milieu du football, telle que la main de
Maradona face à l’Angleterre (Coupe du Monde 1986) ou celle de
Thierry Henry face à l’Irlande (durant le match de qualification
pour le Mondial de 2010) constituent des injustices flagrantes et
paradoxales. De même, les épreuves d’aviron, de cyclisme,
badminton, ou basket des Jeux Olympiques de Londres en 2012 ,
médiatisées à l’échelle planétaire, mettent en lumière certaines
techniques utilisées par les sportifs pour remporter l’avantage
sur l’adversaire.
Dans ce contexte, la question des sanctions rétroactives dans
certaines compétitions, sur base d’images probantes, demeure
d’actualité lorsque qu'une tricherie échappe à l'arbitre, et lui
fait prendre parfois une mauvaise décision.
Un système juridique en vase clos
Pas vu pas pris… tout sport comporte des règles du jeu
établies. Il met en scène le sportif dont le but est d’arriver le
premier, et l’arbitre, délégataire de l’autorité de la fédé-ration,
dans le cadre règles subjectives et sujettes à interprétation, les
modes d’évaluation des performances variant fortement d’un sport à
l’autre.
Grand nombre de ces fédérations sportives, ainsi que le TAS
(Tribunal Administratif du Sport) sont localisés en Suisse, et
bénéficient, au-delà d’un système bancaire efficace, de l’appui
d’un système juridique très protecteur des institutions
internationales, allant à l’encontre d’une transparence,
nécessaire à la gestion et la gouvernance de ces instances.
Ainsi, quand celles-ci se dotent d’organes juridictionnels (ou
quasi juridictionnels), il semble fondamental que les décisions
qui sont rendues soient accessibles et compilées, pour que l’on
ait une prévisibilité des règles du droit applicable, ce qui n’est
actuel-lement pas le cas.
La FIFA, par exemple, a un monopole de juridiction sur tous les
conflits extranationaux tentant ainsi d’empêcher tout désir de
saisie des tribunaux de droit commun. Tout club qui tenterait de
s’extraire de cette exclusivité de juridiction se verrait
appliquer des sanctions disciplinaires dissuasives. Dans certains
conflits, l’opacité semble donc la meilleure des méthodes et peut
permettre à tous les protagonistes de « sortir par le haut » (par
exemple dans le cadre de ruptures de contrats entre joueurs et
clubs, il demeure très important que les négociations restent
confidentielles).
En matière de dopage, bien souvent, l’institution édicte la
règle, la fait appliquer et la sanctionne, ce qui représente un
cumul de pouvoirs importants et contradictoire avec les simples
règles du jeu démocratique.
Quand les enjeux sont importants, en terme économique
notamment, il semble capital que la justice étatique puisse être
saisie (ce que proscrit les fédérations, interdisant les sportifs
de la saisir sous peine de se voir exclus). Le poids croissant des
intérêts économiques lié aux compétitions sportives a dénaturé la
régularité de celles-ci, obscurcit les règles du sport et donne un
éclairage sur l’étendue de la triche. Le recours à la puissance
publique et à la loi étatique est la conséquence ultime de ces
dérives.
Résilience de l’opinion publique
La société désire faire du monde du sport un parangon de vertu,
là où la complétion est tellement forte que la nature même du
sport pousse les compétiteurs à tricher. Le plus important dans le
sport n’étant pas de défendre des valeurs, mais de gagner.
Sous cet angle, le monde du sport ressemble beaucoup à la
sphère politique. Le processus qui fait arriver les meilleurs au
sommet implique bien souvent une attitude sans compromis, rarement
compatible avec une morale irréprochable. Quand bien même la
tricherie est condamnable, elle donne néanmoins un intérêt
supplémentaire au sport qui, conformément à l’adage qui veut que «
le méchant est plus intéressant que le héros », donne au public le
désir de démasquer les tricheurs et leur technique.
On demande aux sportifs d’être des exemples à suivre, leur
faisant porter des valeurs de respect, de fairplay, de courage,
d’éthique au sens large alors que l’ensemble de la société ne les
porte plus. Lorsque ces sportifs, censés encore incarner l’esprit
chevaleresque antérieur, viennent à être défaillant (coup de boule
de Zidane, publication sur le web des photos de Laure Manaudou
dénudée), les crises médiatiques se font relativement vives,
aigües, et éruptives. Bien souvent éphémères, elles laissent une
empreinte beaucoup moins durable que celles que peuvent affronter
les entreprises. La résilience « aux affaires » de l’opinion
publique est avérée dans la sphère sportive, avec cependant une
tolérance moindre pour les affaires qui touchent au domaine
financier ou celles qui relèvent du domaine pénal.
Jérôme Cabane
Après avoir assuré les fonctions de directeur artistique et
réalisateur audiovisuel pendant une dizaine d’années en France et
en Belgique, Jérôme Cabane a réorienté son parcours de
communiquant dans des fonctions éditoriales et stratégiques.
Diplômé en 2012 de l’Ecole de Journalisme et de Communication
d’Aix Marseille (EJCAM), il a consacré son mémoire de fin de
cursus aux « Nouveaux visages de la communication de crise ».
www.linkedin.com/in/jeromecabane
Remerciements à Arnaud Benoit Cattin, Gilles Dumas ,Olivier
Cimelière et Maitre Christian Chevalier pour le temps qu’ils m’ont
accordé lors de la rédaction de cet article.
© Décembre 2014 Tous droits réservés
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