La capacité de résilience face au choc de la
défaite.
Par Amokrane Mohamed Cherif
Lors de la coupe du monde 2010, l’équipe
nationale de football espagnole était donnée favorite, pour son
premier match contre la Suisse, et même pour remporter le tournoi.
Mais à la surprise générale, le match a été remporté 1 : 0 par
les outsiders ! A l’issue du match, l’entraineur des vaincus
Vicente Del Bosque avait déclaré que son équipe devait rebondir
dès le prochain match. Ils l’ont effectivement fait et sont même
allés jusqu’à remporter la finale. En 2014, le même scénario
attendait les favoris mais cette fois, la défaite au premier match
a été très lourde contre les Pays-Bas (5 :1). Le sélectionneur a
de nouveau déclaré « Aujourd’hui, nous avons l’expérience
nécessaire pour la gérer [la défaite] et pour comprendre que nous
avons surtout perdu trois points. Il faut relever la tête et
regarder devant, comme n’importe quel athlète désireux d’atteindre
son prochain objectif. »1 On aurait pu imaginer les espagnols
revenir, mais ça n’a pas été le cas. Dès leur deuxième match, ils
ont perdu toute chance de qualification quand ils se sont inclinés
face au Chili par 2 : 0.
Nous avons entamé cet article par ce bref rappel, afin de nous
arrêter sur ce qui a permis la reconquête du moral des « troupes »
dans le premier cas (en 2010), et ce qui a fait défaut en 2014.
Nous essayerons d’expliquer cette différence dans les réactions
face à la défaite, à travers le concept de la résilience, sans
pour autant nous limiter à l’exemple de l’équipe d’Espagne. Mais
avant cela, nous allons tenter d’établir une analogie entre une
équipe de football, et n’importe quel autre organisme susceptible
de se trouver en situation de crise. Nous partirons du postulat
qu’une crise intervient lorsque d’un côté, il y a une
organisation, un système, des mécanismes qui donnent des résultats
grâce à leur compatibilité avec l’environnement interne et
externe, et de l’autre côté un élément inattendu qui va venir
perturber le fonctionnement habituel, ou même le neutraliser. Pour
fonctionner, une équipe de football dépend de plusieurs paramètres
internes : l’entraineur, le staff médical, les dirigeants, les
préparateurs physiques, les agents d’entretien, les joueurs,
l’état psychologique des joueurs, les finances…mais aussi de
paramètres externes : adversaires, réglementation, public,
associations de supporters, leaders d’opinion, médias, conditions
atmosphériques, lieux où se déroulent les matchs… Le succès de
l’équipe de football (et surement dans les autres disciplines),
dépend de la mise en place d’un système compatible avec tous ces
aspects que nous avons cités non exhaustivement.
Il est alors évident qu’une crise interviendra quand l’un des
critères importants sera modifié ou affecté, au point que le
système soit déphasé de la nouvelle réalité. Il en résultera que
l’équipe ne puisse plus exploiter toutes ses capacités afin de
reproduire ses performances. Il est intéressant de constater que
le paramètre le plus important, pouvant neutraliser les autres
éléments de l’équation, est l’état psychologique des joueurs, car
il affecte systématiquement les résultats. Une défaite comme celle
subie par l’Espagne contre les Pays-Bas a eu pour effet d’anéantir
la confiance, la détermination, l’espoir…des joueurs et des
supporteurs espagnols. Pourtant, ils étaient tous conscients de la
nécessité de se reprendre en mains et de retrouver leurs capacités
habituelles (leur fonctionnement habituel). Ils ont échoué car
leur résilience qui était assez forte pour surmonter une défaite 1
: 0 contre les suisses en 2010, n’a pas pu venir à bout de cet
autre échec 5 : 1 en 2014. Mais qu’est-ce que cette résilience ?
Monique Castillo dans une conférence animée sur invitation de
l’IHEDN en novembre 2011, l’a définie dans ces mots : « La
résilience, en tant que phénomène psychologique, désigne la
capacité de « récupérer » après un drame ou un choc traumatisant.
Le terme « résilience » suppose une analogie avec la capacité d’un
métal de reprendre sa forme initiale après déformation.»2 Dans le
cas des défaites sportives nous pouvons parler de choc du moment
qu’ils existent deux critères : - D’abord, l’importance attribuée
par les peuples aux compétitions de football, surtout que certains
élèvent ce sport au rang de religion ! Ce qui se constate dans les
réactions négatives ou positives, exprimées dans les rues après
les rendez-vous importants. - Ensuite, l’écart entre les espoirs
des supporteurs d’un côté, souvent nourris par les médias et les
responsables politiques, et les résultats réels obtenus, de
l’autre.
Aujourd’hui, le football peut rendre tout un peuple heureux,
comme il peut le plonger dans une profonde tristesse. Les domaines
: économique, social, culturel, touristique, politique…sont
souvent atteints.
Quand l’équipe du Brésil a été battue par 7 : 1 face à
l’Allemagne, dans une demi-finale tristement historique pour les
brésiliens, d’autant plus qu’ils ont perdu sur leurs terres et en
présence de leur public, le sélectionneur Luiz Felipe Scolari
s’est adressé au peuple en disant : « excusez-nous pour cette
performance indigne. Je suis désolé que nous n'ayons pas réussi à
atteindre la finale. Nous allons tout faire pour gagner le match
pour la troisième place. Notre tâche n'est pas encore achevée. »3
Il faut insister ici sur les deux dernières phrases «Nous allons
tout faire pour gagner le match pour la troisième place. Notre
tâche n'est pas encore achevée. » Ce qui est terrible pour les
équipes de football, c’est que non seulement elles doivent avoir
une forte résilience après le choc de la défaite, mais en plus
elles doivent être en mesure de reprendre les choses en mains en
quelques jours seulement. Dans le cas contraire, elles s’enfoncent
encore plus comme ce fut le cas de l’équipe du Brésil battue dans
le match suivant par un autre score humiliant 3 : 0 !
Il est vrai que dans ces cas-là on ne peut exiger une grande
résilience de ceux qui ne sont finalement que des êtres humains.
Mais avec l’anticipation qui consiste en un apprentissage de la
défaite et surtout son envisagement, il est possible de réduire
l’impact des chocs.
La résilience intervient ensuite sur le long terme, sur la
conscience collective et sur les générations futures de joueurs
qui vont représenter l’équipe. Les espagnols et les brésiliens de
2018, pour ne citer qu’eux, auront surement la lourde tâche de
redorer les blasons de leurs équipes. Se seront-ils remis des
défaites de 2014 ? La question est importante car l’histoire de la
coupe du monde donne beaucoup d’exemples en matière de « tendances
» : elles sont constatées dans les duels (l’équipe A ne gagne
jamais contre l’équipe B en coupe du monde), la gestion des tirs
au but (comme ce fut le cas de l’Italie durant de langues années),
le plafonnement des ambitions (comme pour les équipes africaines
qui n’ont jamais dépassé un ¼ de finale en coupe du monde). Tous
ces exemples indiquent qu’une faible ou mauvaise résilience, peut
engendrer des complexes chroniques.
Il est à remarquer sur un autre plan, que lorsque la crise
touche une équipe, celle-ci ne s’en trouve jamais menacée dans son
existence, par son public. C’est parce que les fans d’une équipe
ont une posture ambivalente par rapport aux succès et aux échecs :
si l’équipe gagne tout le mérite lui revient et elle est désignée
comme « une grande équipe ». Mais si elle perd, l’échec sera
endossé par l’arbitre, les joueurs, le sélectionneur, les
dirigeants… Mais jamais par cette personne morale qu’est «
l’équipe ». Cette ambivalence est accentuée lorsqu’il s’agit d’une
équipe nationale. A ce moment-là, son soutien devient pour
beaucoup un devoir dont personne ne doit se dérober.
Conclusion
La gestion des crises est fondée sur l’anticipation. Elle
permet généralement d’éviter d’entrer en crise, ou du moins de se
préparer pour la gérer dans les meilleures conditions. Mais quand
il est question d’êtres humains et de dynamiques de groupes, il
devient très difficile de les « gérer » dans le dessein de réduire
les impacts négatifs. Si la résilience est faible il est
généralement difficile de la cultiver en étant sous le choc. Mais
il est tout de même possible de préparer psychologiquement les
joueurs à l’avance, ce qui constituerait en soi une forme
d’anticipation.
Amokrane Mohamed Cherif Consultant/Associé à l’agence de
conseil en communication ISTISHARA Enseignant de l’image
fonctionnelle à l’école ARTISSIMO Blogueur et journaliste
Référence :
(1)
http://fr.fifa.com/worldcup/match..., date de consultation :
07/08/2014
(2)
http://www.ihedn.fr/userfiles/file/debats_fond/approche-globale/Lundi%20de%20l%27IHedn-Monique%20Castillo.pdf
, date de consultation : 07/08/2014
(3)
http://fr.fifa.com/worldcup/matches/round=..., date de
consultation : 07/08/2014
© Décembre 2014 Tous droits réservés
Magazine de la communication de crise et sensible.
www.communication-sensible.com
|