EBOLA, sport et enjeux financiers.
Par Thierry Fusalba, Consultant International Associé
HEIDERICH
(novembre 2014)
Le 10 octobre 2014, le Maroc, hôte officiel de
la Coupe africaine des Nations, a demandé son report à la
Confédération africaine de football (CAF), en raison des risques
de propagation d’Ebola. Cette décision, qui aurait du être saluée
par tous les acteurs comme une mesure de prévention sanitaire, a
entraîné le 11 novembre la disqualification de l’équipe des Lions
de l’Atlas et le transfert de la CAN en Guinée équatoriale, pays
qui l’avait déjà accueillie en 2012 avec le Gabon. Toute la
planète du foot africain s’en est trouvée ainsi bouleversée.
Un scénario prévisible
Pourtant, dès le mois de septembre, la CAF avait interdit aux
pays les plus touchés par le virus (Liberia, Sierra Leone et
Guinée) d’accueillir des matchs internationaux, arguant du fait
que l'épidémie avait entraîné un arrêt complet du sport dans des
pays comme le Liberia ou en Sierra Leone. Qui plus est, la CAF a
la recherche d’un plan B dès les premières réticences du Maroc,
s’était vue opposer un fin de non-recevoir de la part de l’Afrique
du Sud et de l’Algérie, pourtant candidate en 2019.
Qui plus est, Ebola avait déjà bouleversé le calendrier de
certaines compétitions sportives internationales : championnat du
monde de pétanque en Polynésie française et tour cycliste du FASO
annulés, Seychelles déclarant forfaits en éliminatoires de la CAN
pour éviter un match contre le Sierra-Léone.
Toutes les conditions étaient donc réunies pour un désistement du
Maroc et la recherche d’un nouveau pays hôte.
Des arguments discutables
Fin novembre, c’est la Guinée équatoriale qui remporte l’appel
d‘offres. Le choix de ce petit pays, situé entre le Cameroun et le
Gabon, peut s’expliquer par le haut niveau de ressources de ce
troisième pays producteur de pétrole en Afrique. A deux mois du
début de la compétition, il faut en effet de sérieuses garanties
financières pour accueillir un événement international majeur. Une
telle décision peut aussi s’expliquer par le manque de
volontaires, l’Algérie et l’Afrique du Sud ayant prudemment
décliné l’offre. Et même si la candidature du Qatar est jugée
sérieuse par la CAF, celui-ci joue dans la zone Asie et ne peut
être retenu. Ce choix peut enfin être justifié sur le plan
sportif, par le peu de bouleversements qu’il engendre dans
l’organisation de la compétition : les deux premiers des sept
groupes sont qualifiés, ainsi que le meilleur troisième de toutes
les poules, soit 15 pays qui rejoignent ainsi la Guinée
équatoriale dans un tournoi où il faut 16 équipes. Mais, au-delà
de tous ces arguments comptables, quelques réticences pourraient
bien voir le jour dans les mois à venir.
Sportive, d’abord, la Guinée équatoriale étant directement
qualifiée en tant que pays hôte, alors qu’elle avait été écartée
des qualifications l’été dernier pour avoir aligné un joueur non
éligible en tour préliminaire. D’aucuns pourraient y voir une
prime au tricheur.
Politique, ensuite, le Président Guinéen Teodoro Obiang Nguema,
arrivé au pouvoir en 1979 par un coup d'Etat, a été réélu en 2009
avec 95,37% des voix. La dureté de son régime est régulièrement
dénoncée par les organisations de défense des droits de l'Homme,
les ONG et Reporters Sans Frontières. Quant à son fils, il fait
l’objet d’une enquête en France pour blanchiment de détournement
de fonds publics, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance,
dans le cadre de l'affaire dite des "biens mal acquis". D’autres
pourraient y voir une prime au dictateur.
Sanitaires, enfin. Comment ne pas écarter la possibilité d’une
nouvelle zone de contamination, située plus au Sud, qui créerait
une sorte de ceinture contagieuse autour du Cameroun et de ses
voisins déjà menacés de déstabilisation terroriste ? De nouveaux
cas d’Ebola, s’ils survenaient lors de la compétition ou à
l’issue, placeraient toute la partie méridionale de l’Afrique sous
la menace d’une nouvelle épidémie, dont la puissante Afrique du
Sud, au moment même où des progrès sont visibles dans les premiers
pays touchés. Et quand on étudie le comportement irrationnel –
pour ne pas dire mystique – des populations locales atteintes ou
simplement menacées, comment ne pas craindre des manifestations
violentes à l’égard des délégations des pays touchés ? La réaction
d’un président peu enclin à accepter la contestation populaire
serait-elle mesurée ? On imagine déjà la réaction de la police et
de l’armée guinéenne…
C’est l’avenir même de la CAN qui serait alors menacé et c’est
toute l’Afrique de l’Ouest qui risquerait d’être déstabilisée. La
prudence et l’intérêt des populations voudraient par conséquent
que cette compétition soit reportée.
D’obscures raisons stratégiques
Pourtant, il a fort à parier que l’édition 2015 de la Coupe
Africaine des Nations aura lieu en Guinée équatoriale. Car ce ne
sont donc ni l’éthique, ni l’amour du sport qui ont poussé la CAF
à maintenir coûte que coûte la compétition et le Maroc a s’en
retiré. Ce sont des intérêts économiques et stratégiques
divergents.
Pour M. Issa Hayatou, actuel président de la CAF, l’enjeu dépasse
en effet le simple domaine sportif. Accepter qu’une épidémie
puisse justifier le report de la CAN, reviendrait à remettre en
question la crédibilité de l’Afrique et la capacité de la CAF à
organiser des événements internationaux majeurs. Le report à l’été
2015 de la compétition peut même être perçu par lui comme une
tentative des clubs européens d’ancrer cette date pour l’avenir et
d’éviter ainsi que leurs joueurs africains ne désertent les
championnats nationaux tous les deux ans. Enfin, que dire de
l’attitude du Maroc qui a demandé le report de la CAN mais pas
celui de la Coupe du monde des clubs ? Certains pourraient enfin y
voir une réminiscence des querelles entre le président de l’UEFA,
Michel Platini, et l’actuel président de la CAF, candidat
lui-aussi à la présidence de la FIFA en 2002…
Mais au-delà des considérations politiques, il faut admettre que
l’aspect financier reste dimensionnant pour la CAF car cette Coupe
représente sa source de revenus la plus importante. Les droits de
télévision ou le partenariat avec de grandes multinationales comme
l’opérateur français Orange ont généré d’importants revenus lors
des dernières éditions. Son annulation – ou son simple report -
créerait donc un manque à gagner car des contrats ont déjà été
signés. Quant aux sponsors et diffuseurs, ils ne verraient pas
d’un bon œil un changement qui les obligeraient à revoir leurs
grilles de diffusion et exigeraient à n’en point douter des
compensions financières.
Tout ceci était donc écrit d’avance, comme le scénario d’un
mauvais film policier. La CAF ne veut pas apparaître comme le
parent pauvre des fédérations et souhaite maintenir la CAN pour
des raisons économiques. Le Maroc n’est pas prêt à sacrifier une
économie basée en partie sur le tourisme et déjà atteinte par les
menaces terroristes, en prenant le risque de voir un cas d’Ebola
sur son territoire. Quant à l’Europe, elle y trouve ses intérêts.
La disqualification du Maroc de la CAN rapproche davantage le
Royaume des pays du Nord de la Méditerranée, où ses ressortissants
sont nombreux et ses communautés bien implantées. L’avenir du
Maghreb se joue au Nord et non au Sud. Quant aux péripéties de la
CAF, elle renforce l’autorité de l’UEFA (et de son président)
au-delà de ses frontières géographiques naturelles.
Mais ces stratégies n’en sont pas ! Ce ne sont que des tactiques à
court terme destinées à préserver des intérêts ou à discréditer un
adversaire. Surtout, elles s’appuient sur un postulat dangereux et
incertain : que la CAN 2015 organisée en Guinée équatoriale
n’engendrera ni développement épidémique nouveau, ni mouvement
populaire de masse dont la répression par brutale par M. Teodoro
Obiang Nguema salirait durablement l’image de la CAF.
Diriger, c’est choisir, a pu penser à bon droit M. Issa Hayatou.
Mais « Choisir, c’est renoncer », lui aurait répondu Gide !
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