Communication de crise
Bilan des crises 2014
Par Thierry Libaert
Les crises de 2014 n’ont pas failli à la
règle qui veut qu’elles apparaissent soudainement pour s’inscrire
au premier plan de l’actualité puis disparaître plus ou moins
rapidement. Trois grandes crises auront plus particulièrement
marqué l’année 2014. Mais en dehors de ces crises, plusieurs
éléments sont à retenir.
Trois crises
• C’est d’abord la Malaysia Airlines qui dut affronter
successivement la disparition, le 8 mars, d’un Boeing avec 239
personnes à bord, puis le 17 juillet, la destruction par un
missile, au-dessus de l’Ukraine, d’un autre avion transportant 298
personnes. Dans les deux cas, c’est la soudaineté de l’événement
qui surprend, son aspect cumulatif avec deux disparitions en
quelques mois et surtout leur caractère qui reste inexpliqué
plusieurs mois plus tard. L’adage "les crises sont parfaitement
prévisibles et explicables… mais longtemps après" s’illustre à
nouveau.
• En mai 2014, l’affaire des "quais trop étroits" frappe la
SNCF et RFF. Des dizaines de rames de TER auraient été commandées
sans s’apercevoir que quelques 1300 quais étaient trop étroits
pour les accueillir. Rames trop larges ou quais trop étroits
débouchant sur une facture de 50 millions d’Euros pour effectuer
les travaux de conformité, SNCF et RFF reçoivent de plein fouet
des critiques acerbes, notamment sur les réseaux sociaux. La
difficulté à coordonner un discours entre les deux entreprises et
surtout à définir un réel message audible dans ce contexte aura
fortement pesé sur leurs réputations.
• En juillet, c’est BNP Paribas qui est condamnée à une amende
de 8 milliards d'euros par les autorités américaines pour avoir
contourné les règles en matière d’embargo économique. Qu’une des
principales banques françaises se fasse condamner à une somme
aussi élevée n’a pourtant guère déclenché de tempête médiatique.
Là où on aurait pu envisager qu’une banque qui plaçait sa
responsabilité sociale à un niveau élevé dans sa communication se
devait d’être exemplaire et alors même que le secteur bancaire
souffre d’une image dégradée, l’événement a pourtant été perçu
sans gravité particulière aux yeux de l’opinion.
Avoir réussi à transmettre le message d’une Amérique vengeresse
envers les sociétés françaises qui réussissent à l’international,
que la fraude était généralisée à toutes les banques, puis que les
changements intervenus dans le top management de la banque étaient
prévus de longue date et n’étaient pas connectés à l’affaire,
voici qui conforte les capacités d’une communication de crise
efficace.
Trois études
• Comme chaque année en juillet, l’Association européenne des
directeurs de communication a publié son étude sur la fonction
communication. Concernant le thème de la communication de crise,
on y apprend que le sujet des événements et des crises pouvant
affecter les consommateurs (la question ne précise pas s’il s’agit
d’événement grave) est le premier thème sur lequel les parties
prenantes attendent des informations de l’entreprise sur les
réseaux sociaux (70 %) devant les informations sur les nouveaux
produits (66 %), la RSE et les produits traditionnels de
l’entreprise (64 %).
• Une étude plus spécifique sur les réseaux sociaux et la
communication de crise a été publiée sous le titre "Crisis
Communication 2014 : Social Media & Notification System" par le
groupe Continuity Insights. Elle concerne 270 organisations au
plan international. On y apprend que seulement 52 % des
entreprises estiment que l’avantage d’utiliser les réseaux sociaux
en communication de crise est supérieur aux inconvénients, et que
62 % des entreprises les utilisent dans leur plan de communication
de crise pour cartographier les enjeux. 58 % (+ 5 %/2013) pensent
que les technologies mobiles sont "absolument vitales" pour la
réussite des actions dans ce domaine.
• En mars, l’agence américaine "Continuity Control" a publié
une étude sur le management de crise opéré par les organisations
publiques américaines. Il en ressort un décalage assez fort entre
une perception que la crise nécessite des outils réactifs et la
réalité basée sur des instruments traditionnels à base de manuels
et dossiers. L’étude indique également une forte diversité des
activations de cellule de crise, 10 % des organisations ont ainsi
réuni près d’une centaine de fois leur cellule de crise durant les
douze derniers mois, alors que 80 % d’entre elles ne l’ont fait
qu’à moins de cinq reprises. Information majeure : la
quasi-totalité des organisations publiques américaines a activé au
moins une fois leur cellule de crise en réponse à des catastrophes
naturelles ou des dommages environnementaux.
Trois recherches universitaires
Parmi les nombreuses recherches académiques publiées en 2014,
généralement d’origine anglo-saxonne, trois nous apparaissent
avoir des répercussions opérationnelles pour les décideurs.
• Eyun-Jung Ki et Kenon A. Brown, chercheurs à l’université
d’Alabama, dans une étude "The effects of crisis response
strategies on relationship quality outcomes" ont mis en évidence
l’aspect essentiel de la relation antérieure envers l’organisation
dans la perception d’une crise. Selon eux, "les efforts
organisationnels pour construire et développer des relations
positives avec les publics sont plus importants que l’utilisation
d’une stratégie de communication de crise adaptée." Cela renforce
bien le principe qu’en ce domaine, l’anticipation est le principal
déterminant.
• Toni van der Meer et Jost Verhoeven de l’Université
d’Amsterdam dans un article "Emotional Crisis Communication" ont
délimité les aspects émotionnels dans la communication de crise,
notamment en montrant que l’expression des sentiments de regret,
voire de honte pouvait se révéler, sous certaines conditions de
crédibilité, particulièrement efficaces.
• Basé sur l’étude 2013 relative à la fonction communication en
Europe, un collectif de cinq auteurs, dont Ralf Tench et Ansgar
Zerfass a publié une recherche "How European professionals handle
crisis and crisis communication". Cette étude synthétise de
nombreuses données sur la communication de crise dans les
entreprises européennes et l’on y apprend que 70 % des
responsables de communication déclarent avoir déjà connu une crise
durant les douze derniers mois, et que les médias traditionnels
(75 %) et la communication directe (70 %) se situent assez loin
devant les médias de l’entreprise comme le site web (45 %) et les
réseaux sociaux (40 %).
Trois ouvrages
Si aucun ouvrage français n’a retenu notre attention positive
cette année, trois ouvrages anglo-saxons nous ont particulièrement
intéressés.
• Andrew Griffin, Crisis, issues and reputation management,
Kogan Page.
Directeur de l’agence de consulting Regester-Larkin, une des
plus renommées en communication de crise, l’auteur offre un livre
très opérationnel dans lequel il distingue quatre types de crise,
selon que celles-ci sont causées par des accidents internes,
externes ou s’ils découlent de problématiques crisogènes plus
structurelles également internes ou externes, sachant que les
frontières sont toujours très fines. Il offre un plan de
management des crises qui peut servir de modèle avec la
préparation des managers, des structures, des salariés, des
procédures, du travail sur l’image et les relations. Il présente
des modèles d’élaboration des scénarios de crise en analysant les
déclencheurs et les amplificateurs, l’étude du pire scénario et
l’analyse des impacts. C’est clair, pratique, simple et toujours
accompagné d’exemples.
• Timothy Coombs, Applied Crisis Communication, Cases and
exercises. Sage.
Recueil de dix-neuf cas de crise, cet ouvrage présente en une
douzaine de pages une situation de crise en exposant le contexte,
en fournissant des thèmes de discussion, des sites web sur le
sujet et de nombreuses références bibliographiques sur le cas. En
dehors des cas connus mondialement, comme Nestlé et l’huile de
palme, l’affaire Carrefour en Chine, la campagne Détox ou la
tragédie de Bhopal, les cas restent très américano-centrés. À
noter un excellent chapitre introductif sur les différentes
théories en communication de crise ; celui-ci rend vraiment
évidente la citation de Kurt Lewin "Rien n’est plus pratique
qu’une bonne théorie".
• Ieva Kukule, Internal Communication Crisis. Impact on
organisation’s performance. Lambert Academic Publishing.
Présenté comme la publication d’un travail de recherche dans le
cadre d’un master, l’ouvrage m’a semblé très critiquable sur la
méthode et la précision des concepts. Il reste toutefois très
intéressant à lire. Il tente de cerner le concept de "crise de la
communication interne" et son impact sur la crise
organisationnelle, il en détermine les quatre composantes majeures
: une communication interne unilatéralement descendante, un manque
de leadership, un conflit de valeur et une communication
informelle très importante. Enfin, j’ai trouvé extrêmement
intéressants les moments de son enquête où l’auteur interrogeait
des salariés et des managers sur leur perception de la situation
dans l’entreprise qui indiquait un décalage de perception, mais
surtout lorsqu’elle les interrogeait sur leur idée de la
perception de l’autre groupe : "Employees believe that management
believe" (et inversement). Non seulement les salariés et
collaborateurs n’ont pas la même perception, mais ce que nous
pensons de l’autre groupe peut révéler des décalages gigantesques.
Trois événements
• La communication de crise a été le 6 mai à la une des
programmes télévisés, mais cette fois-ci elle en était le sujet
principal. Le documentaire "Jeu d’influences : les stratégies de
la communication" diffusé en deux parties sur France 5 a mis en
lumière certaines pratiques du secteur et bien sûr les plus
contestables. Loin ?? d’une discipline rigoureuse, l’émission a
mis l’accent sur les dérives en s’attachant aux cas les plus
spectaculaires, en réduisant la communication de crise à une
pratique d’influence et de "spin".
• À l’extrême opposé, l’association Communication & Entreprise,
première association française de communication, a organisé le 16
septembre une académie scientifique sur le sujet. Durant toute une
après-midi, des chercheurs en communication de crise sont venus
présenter les résultats de leurs recherches et des professionnels
du secteur pouvaient réagir sur l’opérationnalité des résultats.
Que des professionnels puissent avoir accès aux résultats de
recherches universitaires sur la communication de crise doit être
encouragé, ne serait-ce que pour renforcer le socle des principes
de base en la matière.
• Le 18 novembre, le Syndicat français des Relations Publiques
(Syntec RP) a publié sa charte déontologique de la communication
de crise. Ce document en six points expose le statut du
communicant de crise (il doit disposer d’un savoir-faire), ses
engagements, ses droits et devoirs, sa propre communication sur
les affaires dont il s’occupe et sa relation avec ses clients.
Cette charte, qui doit être comprise comme un objectif à
atteindre, permet d’envisager la communication de crise comme une
activité spécifique. Le fait de pouvoir se prévaloir d’une
déontologie propre est souvent un des déterminants principaux de
la reconnaissance.
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