Leçons des crises 2013
Par Thierry Libaert, 22 décembre 2013
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Comme chaque année, 2013 n’aura pas manqué de nous égrener sa
traditionnelle série de crises.
• Lubrizol. L’année des crises a démarré le 21 janvier
avec une importante fuite d’un gaz particulièrement odorant.
Située dans la région rouennaise, l’usine Lubrizol à l’origine de
l’explosion, entreprise classée Seveso, s’est retrouvée sous les
feux de l’actualité, la fuite s’étant fait ressentir jusque dans
la région parisienne. Le rapport d’enquête publié le 18 juillet
indiquera une série de défaillances individuelles, collectives et
techniques à l’origine de l’accident.
• Findus. Le scandale des lasagnes à la viande de cheval
(février), immédiatement appelé « Affaire Findus » n’a pu que
renforcer la méfiance des consommateurs dans l’industrie et l’on
sait que le domaine de l’alimentation est, avec celui de la santé,
le domaine où les crises sont les plus intenses. La découverte de
circuits de production avec des intermédiaires en Roumaine ou à
Malte a contribué à cette image d’opacité de la filière que les
nouvelles révélations de fin d’année viennent accroitre. Un des
premiers combats en communication de crise consiste à nommer la
crise et malgré tous les efforts, celle-ci restera l’affaire
Findus. En pareil cas, c’est souvent l’entreprise bénéficiant de
la plus forte notoriété qui écope de la dénomination. L’affaire
aura rappelé que la crise est parfois mortelle, ce qu’a illustré
l’entreprise Spanghero qui ne devra son salut qu’à son changement
de nom.
• Goodyear. Goodyear fut, comme PSA en 2012,
l’entreprise emblématique des plans de restructuration, avec
l’annonce le 12 février, de la fermeture de l’usine d’Amiens.
Parfaitement compréhensible pour un public d’actionnaires, la
fermeture d’une usine dégageant des bénéfices ne peut qu’être
incompréhensible pour le grand public, et pire encore, pour les
salariés.
• Rana Plaza. L’effondrement du Rana Plaza, bâtiment
abritant des installations de confection, dans les faubourgs de
Dacca au Bengladesh, a causé plus de 1.000 morts, le 24 avril
2013. Cette affaire nous rappelle, outre la funeste loi du
mort-kilomètre puisque ce sujet disparut très vite de nos médias,
que l’éparpillement des responsabilités est souvent un
ralentisseur de crise pour une entreprise. En effet, le grand
nombre d’étiquettes retrouvées dans les décombres (Mango,
Benetton) a donné le sentiment d’une dilution des responsabilités
individuelles au profit d’une attitude globale des entreprises
privilégiant la main d’œuvre à bon marché au détriment des
impératifs de sécurité. Le décalage entre un accent mis dans les
rapports RSE des entreprises sur leurs pratiques dans les pays
occidentaux, et celles qui s’opèrent dans les lieux de production,
ne peut manquer de ruiner la crédibilité des démarches de
reporting. Une caractéristique de gestion de crise consiste
souvent à promulguer des engagements pour éviter qu’une telle
catastrophe ne se reproduise. Neuf mois après les faits, peu
semblent avoir été tenus ; il est vrai que l’opinion
internationale a fini de s’y intéresser.
• Le Tour de France. Le Tour de France a connu sa crise
annuelle avec, quelques jours avant le départ, l’annonce par la
commission sénatoriale du Sénat, de la prochaine parution de son
rapport contre le dopage, finalement publié le 24 juillet. La
fuite du nom du coureur Laurent Jalabert aura une fois de plus
terni l’image du Tour. Toutefois, cette énième connaissance de cas
de triche n’aura en rien impacté l’attrait de cette course
mythique. Comme pour Total après l’Erika, les scandales du Crédit
Lyonnais ou de la Société Générale, la réputation déclinante
n’entraine pas automatiquement la désaffection des spectateurs ou
des clients.
• Furosémide. Dans le domaine pharmaceutique, lourdement
assombri par l’affaire du Médiator en 2012, l’industrie a connu
une nouvelle crise avec le retrait du marché, le 7 juin, du
Furosémide, suite aux décès de plusieurs personnes âgées sous
traitement de ce produit. L’agence de sécurité sanitaire (ANSA) a
redonné l’autorisation de commercialisation fin août, après avoir
mis en évidence l’innocuité du produit et la mauvaise utilisation
du médicament. Dans un secteur sensible, la réaction des pouvoirs
publics doit désormais être immédiate, principe de précaution
oblige, quitte à ce qu’ensuite, la précaution puisse être
assimilée à de la précipitation.
• SNCF. Le déraillement d’un train SNCF en gare de
Brétigny-sur-Orge, le 12 juillet, causa sept morts et des dizaines
de blessés. Due prioritairement à une pièce métallique mal réglée
et qui servait aux aiguillages, cette crise fut, de l’avis de la
plupart, bien gérée. Un président présent sur le terrain, des mots
justes, une forte réactivité, la présence sur les réseaux sociaux,
la relation personnalisée avec les victimes, les engagements de
contrôle ; la panoplie de la bonne communication de crise était
complète. Mais, cette bonne communication de crise a-t-elle été
déterminante ? Cela est moins sûr. Car en effet, l’angle
médiatique, qui en pareil cas se porte immédiatement sur
l’imputation en responsabilité de l’organisation, s’est ici
immédiatement déplacé sur un autre sujet : les sauveteurs auraient
été accueillis par des jets de pierre et des victimes auraient été
détroussées par de jeunes pillards. Le témoignage d’une policière
passa alors en boucle pour stigmatiser la situation et les
réflexions sur la déliquescence du corps social devint le sujet
majeur, loin devant la responsabilité de la SNCF. Cela ne diminue
en rien la bonne gestion de crise ferroviaire, mais il est bon de
se méfier de tout automatisme dans le domaine de la communication
de crise qui n’est pas, rappelons-le, une science exacte.
• Disneyland. Pour ne prendre qu’un autre exemple,
l’accident d’un enfant de cinq ans qui faillit être mortel, et qui
se déroula à Disneyland Paris le 30 octobre, n’entraina que
relativement peu de retombées médiatiques. Il est impossible de
déterminer la part de l’événement en soi (un accident non mortel)
de la part de responsabilité (l’enfant se serait levé trop tôt) ou
de l’actualité du jour (le retour des otages) ou de la bonne
gestion de crise.
• Lac Mégantic. Un autre train dérailla à Lac Mégantic,
au Canada le 6 juillet. 47 morts furent dénombrés. Et comme
souvent, on retrouva, mais trop tard, des signes avant-coureurs,
des alertes parfois massives comme ce courrier d’élus de la ville
aux autorités annonçant des « dommages considérables » si des
travaux de consolidation n’étaient pas entrepris rapidement.
• Asiana Airlines. Ce même jour aux Etats-Unis un Boeing
777 d’Asiana Airlines s’est écrasé à son atterrissage à San
Francisco, faisant trois morts et de nombreux blessés. Ce dernier
cas est symptomatique de la part prise par les réseaux sociaux en
gestion de crise. Une heure après l’accident, ni le site web d’Asiana,
ni son compte Tweeter ne mentionnaient le crash et il fallut
attendre deux heures et demie pour que le premier communiqué de
presse soit mis en ligne. Quant au site de l’aéroport de San
Francisco, il devint inaccessible dans les minutes qui suivirent
le crash et il ne redevint opérationnel que 12 heures après. Par
contre, le fil Tweeter fut utilisé à 15 reprises durant ce laps de
temps. Boeing de son côté publia son premier Tweet 35 minutes
après le crash sans que rien n’apparaisse sur son site web.
A l’inverse, les informations non contrôlées étaient déjà
largement présentes. 20 minutes après le crash, les premières
photos mises en ligne par les rescapés étaient sur Twitter et dans
les huit premières heures, la photo de l’avion en feu avait été
retweetée plus de 30.000 fois. Les informations tweetées par les
rescapés devinrent des éléments centraux d’une histoire qui se
déroulait en dehors des médias traditionnels.
Réseaux sociaux. Si les réseaux sociaux apparaissent
aujourd’hui indispensables à toute communication de crise, ils en
obscurcissent également les frontières. Du simple accident au bad
buzz, tout devient crise et propice aux commentaires dénonçant la
mauvaise gestion de crise. La crise est un événement exceptionnel
d’une gravité extrême pouvant menacer durablement une
organisation, les commentaires, pour virulents qu’ils puissent
être sur les réseaux sociaux, ne présentent pas automatiquement le
même degré de gravité. Pour reprendre une formule éculée, l’arbre
du bad buzz 2.0 ne doit pas cacher la forêt des crises.
Thierry Libaert.
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