Le voyage compassionnel
Par Thierry Libaert
Au hasard de mes lectures en communication de crise, j’avais
repéré en note de bas de pages, un article paru en 1996 dans la
Revue Historique et intitulé « Utilisation politique d’une
catastrophe : le voyage de Napoléon III en Provence durant la
grande crise de 1856 ».
Napoléon III à Tarascon en 1856
A la lecture de ce texte, j’ai appris que le voyage de Napoléon
III dans la région d’Arles, après les inondations, peut être
considéré comme la première fois qu’un pouvoir politique se rend
sur les lieux d’une catastrophe sitôt celle-ci déclarée.
Aujourd’hui cela semble un automatisme de voir les représentants
de l’Etat accourir sur les lieux d’une catastrophe ; en fait cela
date donc de 1856.
Cette première peut s‘expliquer par deux raisons, d’abord la
vision plébiscitaire de l’empereur et, par la suite, par le
suffrage universel qui obligera le politique à une plus grande
prise en compte de l’opinion, ensuite par le changement de vision
d’une catastrophe qui passe d’événement divin et inéluctable à une
gestion dans le cadre d’un état qui se veut providentiel.
Il est intéressant de constater que tout était mis en place
pour que la visite sur place se déroule bien, puisque les communes
traversées par l’empereur étaient assimilées à un « véritable
pèlerinage de la charité » où celui-ci remettait « des sommes
d’argent pour les inondés ». En outre, les préfets avaient pour
mission d’éviter tout imprévu et « de la réussite de l’opération
dépend le maintien dans leur poste de ces fonctionnaires ! ».
Aujourd’hui, qu’il s’agisse d’une catastrophe ferroviaire comme
Brétigny (12 juillet 2013) ou d’un crash aérien comme celui du
Concorde à Gonesse le 25 juillet 2000, en passant par les
catastrophes naturelles comme la tempête Xynthia (fin février
2010), la première réaction de l’Etat est de se rendre sur les
lieux du drame.
La visite compassionnelle est devenu le passage obligé de tout
politique qui se doit de pouvoir interrompre immédiatement ses
activités ou vacances pour se rendre sur les lieux de la
catastrophe et témoigner de son soutien, surtout si l’Etat n’y est
pour rien. « N’être strictement pour rien dans le drame et
déployer pourtant tous ses atours compassionnels, n’est-ce-pas là,
dans cette gratuité, que s’expriment au mieux la bonté, la
sollicitude, la fraternité de l’Etat ? (Michel Richard. 2006)
Nicolas Sarkozy survolant les régions inondées après la tempête
Xynthia en février 2010
Et lorsqu’un membre du gouvernement refuse de céder au nouveau
rite du voyage compassionnel, telle Dominique Voynet, ministre de
l’environnement au moment du naufrage de l’Erika (12 décembre
1999) et déclarant que « cela ne servirait à rien » de se rendre
sur place, elle doit se raviser devant le mécontentement suscité
par sa déclaration.
L’explosion de la demande médiatique a accru cet automatisme de
la visite sur place. Elle n’est toutefois pas sans risque
actuellement en raison de l’expression des mécontentements qui
peuvent renvoyer une image de contestation locale du politique.
Comme le soulignait Nicolas Hulot, « qu’un ministre se déplace sur
une plage mazoutée, et l’opinion juge qu’il fait de
l’autopromotion, que ce même ministre ne se déplace pas et la même
opinion le taxe d’indifférence, voire de mépris à l’égard des
souffrances humaines.»
Enfin, et dans un autre registre, ayant participé en 2012 à la
mission sénatoriale sur les inondations dans le Var, j’ai été
intéressé de constater que le thème de la lutte contre les
inondations ne datait pas d’hier. Pour preuve cette déclaration de
Napoléon III au corps législatif en 1857 : « Je tiens à l’honneur
qu’en France, les fleuves rentrent dans leur lit et qu’ils n’en
puissent plus sortir. »
TL
Sources : • Annie Mejean, Utilisation politique d’une
catastrophe : le voyage de Napoléon III en Provence durant la
grande crise de 1856, Revue historique n° 295, janvier-mars 1996.
• Alain Girod, « La faute de Dominique Voynet », Mots n° 75, 2004,
p. 111-120. • Nicolas Hulot, Le syndrome du Titanic, Calmann-Lévy,
2004, p. 40-41. • Michel Richard. La république compassionnelle.
Grasset. 2006. • François Walter, Catastrophes, Seuil, 2008. •
Sénat. « Mission commune d’information. Inondations dans le Var »,
Rapport d’information du Sénat n° 775, 2011-2012.
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