TV or not web versus web or not TV
Par Jean-Yves Le MOINE
Une crise avant tout technologique
Qui se rappelle encore le design de son téléphone portable d’il
y a 7 ans avant l’arrivée de l’iPhone d’Apple. Qui se souvient,
aujourd’hui, en surfant sur le web et en prenant une photo à 12
Millions de pixels, de ces fonctionnalités d’un autre monde ?
La vitesse du changement technologique double tous les 10 ans.
Selon Ray Kurzweil, célèbre futurologue américain, apôtre du
transhumanisme et récemment engagé par Google en tant que
directeur de l’ingénierie, l’équivalent de tous les progrès du
vingtième siècle adviendra entre 2000 et 2020, puis à nouveau
entre 2020 et 2034 ! Nous sommes arrivés à un point où nous
pouvons voir de nos yeux le changement technologique. La vraie
crise est là : n’ayons pas peur de la technologie. Plus d’autres
solutions que d’adresser les nouveaux usages et de prendre le
train en marche.
Aujourd’hui, il vaut mieux prendre des risques et avancer que de
faire du surplace. Paradoxalement, une entreprise, un secteur
d’activités, un pays tout entier prennent plus de risque dans le
statut quo qu’en osant, en prenant des risques.
Hors la France, pays en crise s’il en est, développe de plus en
plus une pensée conservative et attentiste. Le monde de la
télévision n’y échappe pas bien au contraire ; les chaines, les
pro-ducteurs, les régies publicitaires, sont debout sur les
freins. Criant au loup contre les géants du web américains,
Google, Amazon, Apple, Facebook et consorts, tous les acteurs de
la chaine de valeur se sont mis sur pause. Résultat, ils
s’enfoncent dans la crise. Mais le changement technologique
progressant exponentiellement, l’industrie de la télévision ne
doit pas oublier que si elle se met sur pause trois mois, il lui
en faudra quatre pour rattraper ton retard.
Menacés par les géants du web américains, et perclus d’attentisme,
l’industrie de la télévision française est en grand danger, voyons
quels sont ses enjeux et ses solutions pour sortir de la crise.
La télévision va-elle-mourir ?
Non la télévision ne va pas mourir, elle va s’épanouir au
milieu du salon, gagnant même en taille et en puissance, jusqu’à
s’afficher, sur les murs en 4K voire 8K d’ici quelques années.
Mais la télévision est devenue un écran comme un autre, le plus
grand certes, mais un écran parmi les écrans, Smartphones,
tablettes, phablets, PC. Le public est et sera toujours friant de
vidéos, d’histoires, et le confort d’une grande et belle image
gardera de son attrait. Le rendez vous passif, de masse sera
toujours populaire, mais moins souvent, moins longtemps.
Les nouveaux écrans, les autres écrans, les petits, font déjà à la
télévision une concurrence fé-roce, notamment chez les plus
jeunes. Les nouveaux usages plus actifs risquent de lui faire
perdre son statut de leader pour la consommation des images et des
histoires. Les chaines de télévision ne doivent pas voir le web
comme un concurrent ou une menace, cela n'a aucun sens. Le web
pris dans son ensemble n'est pas une menace. Certains acteurs le
sont peut être mais c'est justement parce que ils ne se
considèrent pas comme des acteurs limités à une case (le web) mais
réfléchissent en terme d'une expérience globale qu'ils
fournissent. Pour eux le web n’est qu'un canal parmi d'autres pour
toucher l’audience, au même titre que l'écran de TV, le Smartphone
et demain les objets connectés
Le web ne va pas tuer la télévision, la compétition sera acharnée
mais les deux medias sont voués à coexister, à la fois
pacifiquement et agressivement. La radio n’a pas disparu avec
l’arrivée de la télévision.
Une nouvelle télévision
On assiste déjà et ce phénomène va s’amplifier, à un double
glissement des images, du web vers la télévision et de la
télévision vers le web. Sur le plan du contenu d’abord, les
contenus dits « prime » sont maintenant sur YouTube, et les
contenus générés par les utilisateurs et les conversations
sociales de Twitter et Facebook sont maintenant, avec plus ou
moins de bon-heur, sur les grands écrans. Sur un plan de la
technologie ensuite, avec la TV connectée, la social TV, la
télévision essaye de s’approprier les codes et usages du web ; à
l’inverse, des so-ciétés comme Netflix, Amazon, Google avec Google
TV ne se considèrent plus simplement comme des entreprises
digitales : elles font de la télévision sur le web. Pour la
télévision, les nouveaux usages renforcent les anciens, pour les
nouveaux entrants, ils sont le cheval de Troie, pour capter la
valeur économique, encore colossale, de la vieille télévision.
Quand Amazon vient à la VOD, ce n'est pas pour s'opposer aux
chaines, c'est parce que ça fait du sens dans le cadre du service
global qu'il veut proposer (vidéo sous toutes ses formes, en-tertainment,
cloud, vie numérique des gens ...). Une chaine de TV doit
commencer à penser de cette façon : je ne suis plus un canal qu'on
allume le soir en rentrant du boulot, je suis un lieu où des
choses (à définir et à inventer) se passent en continu, je suis
accessible en permanence, sous différentes formes mais mon
objectif, mon ADN, reste le même : divertir, accaparer un cerveau
pendant un certain temps (si possible de façon hyper prégnante),
et rendre ce cerveau disponible pour mes annonceurs.
L’âge moyen des spectateurs est de plus en plus élevé, pourtant la
télévision de papa c’est fini, une nouvelle télévision est en
train d’apparaître. Ce n’est donc pas tant la télévision qui est
en crise que les chaines de télévision, beaucoup trop attentistes.
Le web et ses acteurs avancent, ils prennent des risques, tentent,
se trompent, apprennent et recommencent. Google TV main-tenant
dans sa version trois et toujours sans véritable succès en est le
parfait symbole. Dans cette guerre fratricide web contre TV, une
chose est sure, le web va plus vite.
Des spectateurs aux « users »
Mais surtout, le web ne considère pas ses clients comme des
spectateurs mais comme des uti-lisateurs, des « users » come on
dit en anglais. Ces utilisateurs, le web les place au centre de
son dispositif, de son offre. Tout est fait pour eux, le discours
BtoC a remplacé le discours BtoB. Le « user » est étudié, choyé,
gratifié, récompensé. Les usages sont analysés, lancés, testés,
modifiés, relancés. Une grande attention est accordé au coté
multitasker notamment des jeu-nes, à la façon dont ils se lassent
vite, dont ils butinent de contenus en contenus, d’applications en
applications, d’écrans en écrans. Le « user » veut être proche du
contenu, du réalisateur, de l’acteur, du chanteur, du
présentateur. Son mode de consommation est la conversation, son
mode de réception est social. Il réémet, remixe, commente, dénigre
aussi parfois vers ses amis et sa communauté. Les players du web
qui oeuvrent dans le domaine de la télévision, adres-sent au plus
près ces usages qu’ils connaissent et appréhendent mieux que leurs
concurrents du monde de la TV. Plus même que l’utilisateur, c’est
l’UX qu’il privilégie quand la télévision s’arrête à l’UI.
L’expérience de l’utilisateur (UX) plutôt que l’interface
utilisateur (UI) qui n’en est qu’une composante.
L’influence du ATAWAD
Une des lignes de force de l’expérience utilisateur
aujourd’hui, c’est : je consomme le contenu ou je veux quand je
veux, comme je veux, c’est le fameux ATAWAD (AnyTime, AnyWhere,
AnyDevice). Pour pouvoir répondre à cette demande les acteurs du
web bénéficient d’un atout important, la télévision sur le web est
naturellement délinéarisée. La crise de la télévision s’explique
aussi par la peur des chaines envers la délinéarisation. Tant
qu’ils se boucheront les yeux et ne l’envisageront pas à bras le
corps, ils n’avanceront pas. Et ce n’est pas les timides
tentatives, avec la catch up (dont l’audience croit grandement) et
la VOD et la SVOD qui souf-frent d’une chronologie des medias trop
rigides, d’un catalogue souvent trop restreint et d’une offre
tarifaire trop élevée, qui inverseront la tendance. Les chaines de
télévisions doivent pro-poser de riches offres délinéarisées,
complémentaires de leur offre de flux live pour contrer
effi-cacement la montée en puissance promises des Netflix, Love
films et Youtube.
La délinéarisation
Demain l’offre sera entièrement délinéarisée avec des
évènements live tels le sport, la télé réalité et de gros
évènements marketing. Netflix qui diffusera les 10 épisodes de la
série TV de Fincher « House of cards » en une seule fois à ses
abonnés à partir du 1 février 2013, en est la preuve vivante. Les
chaines de télévision doivent réinventer leur métier d’éditeurs et
surmonter cette crise en sachant accompagner le spectateur, non le
« user », dans on expérience. La solution pour sortir de la crise
et se poser en alternative forte, c’est de développer la
personnalisation et la recommandation, deux des composantes
principales de l’expérience utilisateur. La recommandation offre
une meilleure expérience que le search. Suggestive, elle offre une
naviga-tion contextuelle au milieu des contenus, ce n’est plus le
« user » qui va aux contenus mais les contenus qui viennent à lui.
La personnalisation est le reverse engieniering de la délinéarisa-tion,
elle permet, aux utilisateurs les plus passifs, de créer
automatiquement leur propre chaine de flux, « relinéarisée », mais
avec seulement des contenus qu’ils apprécient, une chaine qui leur
donne à tout instant, la possibilité de « sauter » de programme en
programme. En somme un « leanback » dynamique.
Contenu et Big Data : l’enjeu de la contextualisation
Pour offrir une expérience qui puisse rencontrer ces nouveaux
usages, les chaines de télévision doivent appréhender une question
technique primordiale : la question des data et des me-tadata que
l’on range aujourd’hui sous le vocable à la mode du Big Data.
Cette question des contenus et des Big Data est certainement
l’enjeu majeur aujourd’hui pour les chaînes de télévision pour
sortir de la crise. Certains l’appellent aussi la
contextualisation des contenus.
Le vieil adage : « Content is king » a été remplacé par « Content
is King, all screens are Queen and context is God ».
Penchons nous un peu, sur la définition du mot contexte.
Contexte, nom masculin,
sens 1 : ensemble des éléments d’un texte qui accompagne un mot
(et par extension un conte-nu) et qui apporte un éclairage sur le
sens de celui ci.
Sens 2 : circonstances qui entourent un fait.
La notion de contexte doit ici s’appliquer dans ces deux sens.
La contextualiser consiste à éclairer le sens des contenus (on
peut même aller jusqu’à les enrichir), et à expliciter les
circonstances qui les entourent. D’une part, il est important de
savoir qui sont : le réalisateur du film, les acteurs, les équipes
techniques, le genre du film, son ou ses sujets, et d’une manière
plus granulaire de savoir par exemple quelles scènes se passent à
Rio, à Paris, en été, de jour, ou sur la mer… D’autre part, il est
aussi important de savoir quelles sont les circonstances d’usage
du spectateur : sur tablette ou TV, il est seul ou avec sa fille
de 8 ans, il est 20H ou 23h, il est chez lui ou en déplacement
professionnel... La connaissance et le traitement de ces
informations contextuelles vont permettre de lui offrir une
expérience au plus près de ses désirs. Ce sont ces data sur
lesquelles les chaines de télévision doivent porter l’accent pour
offrir à l’utilisateur la meilleure des expériences possibles. Un
« user » qui prend part à ces Big data avec la conversation
sociale. Un user qui renseigne aussi le contexte via Facebook,
Twitter et les sites de fans.
Ce sont les traitements de toutes ces données grâce à des
algorithmes qui permettront aux chaines de télévision d’offrir une
riche expérience de recommandation et/ou de personnalisa-tion à
l’utilisateur. L’enjeu est fort pour les chaines de télévision
face aux acteurs du web qui sont eux des professionnels des
données depuis longtemps : redevenir éditeur, redevenir force de
proposition riche, culturelle et divertissante.
Un peu de science fiction transgressive.
Nous sommes en 2023, après Avatar 3, Cameron vient de réaliser
son nouveau film. Il a scanné en 3D ses acteurs, Nicole Kidman et
Tom Cruise, a tourné dans des décors réels qui ont été transformés
en décor de synthèse. Il a conçu et monté son film entièrement sur
ordinateur, il a rajeuni ses acteurs, leur a donné des émotions,
et écrit son histoire, entièrement après coup, grâce à un logiciel
qu’il vient de mettre au point. Vous êtes chez vous seul, votre
femme est en vacances, vous visionnez ce film sur votre écran
mural de 4 mètres sur deux. Vous pouvez agir sur l’histoire avec
une version simplifiée du logiciel de Cameron. C’est vous sur
l’écran, vous avez remplacé le scan 3D d’un des acteurs par le
votre. Ce n’est plus Nicole Kidman ou Tom Cruise, mais le ou la
voisine du 8 ème que vous avez scanné(e) sans qu’il ou elle ne
s’en aper-çoive, grâce à un hack ingénieux dans l’ascenseur. La
scène de sexe ne se passe plus dans la salle de bain imaginée par
Cameron, mais dans la votre que vous avez substituée dans le
logi-ciel. Il est 23h vous êtes rentré(e) fatigué(e) du bureau, le
scénario du film est simplifié, votre rôle est magnifié, vous
pouvez vivre une expérience passive mais riche dans un contexte
rendu actif. La contextualisation est à l’œuvre.
Le triangle d’or pour sortir de la crise
La crise de la télévision est une crise de business : en
tentant de protéger leur business ancien (la TV) contre l'ennemi
(le web) au lieu de l’englober dans leur business, les chaines de
télévi-sion (mais aussi les autres medias tel la presse et la
musique et le livre) sont en train de tuer dans l'oeuf leur
business actuel. Ils contribuent à l'émergence d'acteurs tiers
(pas seulement du web mais des concurrents au sens le plus
littéral du terme, qui s'y sont pris autrement) qui vont finir par
les manger parce qu'ils ont compris, eux, le monde dans lequel ils
vivent.
C’est par la maitrise des bigdata que les chaines de télévision
pourront sortir de la crise. Les chaines de télévision doivent
résoudre une équation complexe à trois inconnues : le contenu,
l’accès intelligent et l’expérience d’usage. Qui dit équation
complexe dit relations entre les inconnues, le tout étant plus que
la somme des parties. Mais ces inconnues ne sont pas égales,
l’expérience d’usage sociale domine ce triangle d’or. Pour sortir
de la crise les chaines de télévision doivent offrir la meilleure
expérience d’usage possible pour donner aux « users » les contenus
comme ils désirent, quand ils les désirent et où ils les désirent.
Et pour cela ils doivent apprendre à faire parler les big data,
leur donner une couleur sociale et trouver le killer algorithme.
Vite !
Jean-Yves Le Moine est consultant en stratégie, spécialisé
dans les expériences d’usages liées aux technologies digitales.
Jean-Yves place au cœur de son expertise stratégique et technique,
l'expérience et l'engagement de l'utilisateur dans son écosystème
connecté, fixe et nomade, multi-écrans. Au-delà, il sait comment
capter la valeur économique de ces nouveaux usages.
Jean-Yves est notamment à l'origine de l'initiative Transmedia Lab
d'Orange. Il est aussi inter-venu pour Sony, TF1, France
Télévision, Vivendi …
Jean-Yves est le CEO de Kidoma.
Kidoma est une société qui aide les compagnies de tout secteur, à
comprendre comment les technologies numériques peuvent augmenter
leur business via l'amélioration de l'expérience de leurs clients.
jyleme@gmail.com
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