Le Titanic et la communication de crise
Par Thierry Libaert
Le 15 avril 1912 sombrait le Titanic et naissait la
communication de crise.
C’est en effet la première fois qu’une entreprise, en
l’occurrence la White Star Line, propriétaire du paquebot, se
retrouve en position d’accusée et forcée de répondre devant le
tribunal de l’opinion publique.
Certes, d’autres catastrophes eurent lieu auparavant, et en
1906, la catastrophe minière de Courrières dans le Pas-de-Calais
fit plus de 1000 morts. Mais le naufrage du Titanic s’insère dans
un nouveau contexte. D’abord, il ne s’agit plus comme auparavant
de dénoncer une punition divine ou la fatalité, mais c’est bien
une posture d’entreprise qui est accusée. Le choix d’un
itinéraire, le nombre insuffisant de canots de sauvetage, la
conception de l’étanchéité des compartiments, l’absence de prise
en compte des alertes aux icebergs dérivant, la vitesse excessive,
tous ces points furent mis en évidence par les deux commissions
d’enquête britannique et américaine qui se réunirent rapidement,
le 19 avril aux Etats-Unis et le 2 mai en Angleterre.
Ensuite, ce naufrage intervient au moment où les relations
publiques prennent leur essor, c’est en 1906 que naissent les
relations publiques avec la déclaration des principes par Ivy Lee
et l’exposé des principes qui président à l’organisation de la
fonction.
Le naufrage du Titanic fut la catastrophe la plus médiatisée et
les logiques à l’œuvre de nos jours semblent déjà être en place.
L’intérêt médiatique d’une crise que représente le rôle joué par
le New York Times, la course à l’information des journalistes lors
de l’arrivée des survivants sur le Carpathia et la reprise de leur
témoignage, les attaques de William Randolf Hearst contre la
compagnie, la naissance du storytelling et des belles histoires
d’un orchestre jouant jusqu’au naufrage. Par ailleurs, les parties
sombres d’une rassurance trompeuse notamment par la découverte
d’un télégramme de la White Star annonçant que tous les passagers
sont sains et saufs, la déception devant des publicités trompeuses
affirmant l’insubmersibilité du navire, les inégalités sociales
devant la crise avec un sauvetage qui s’est réalisé en fonction
des tarifs payés par les passagers, tous ces ingrédients se
retrouvent à un degré ou un autre dans les communications
contemporaines de crise. Et si l’on ajoute un navire alors au
sommet des équipements télégraphiques, on s’aperçoit que dès
l’origine, les possibilités de transmission des informations n’ont
jamais été un déterminant majeur pour éviter les catastrophes.
Alors, un siècle après que retenir ? D’abord que le syndrome du
Titanic reste vivace et que le plus sûr moyen d’entrer en crise
reste le sentiment de puissance. La coïncidence de l’échouage du
Costa Concordia nous rappelle la faillibilité de navires dont le
gigantisme offre un sentiment d’insubmersibilité, alors que c’est
précisément le gigantisme qui rend fragile. Ensuite que la
communication qui s’effectue sur le registre de la supériorité («
il ne peut rien nous arriver ») engendre un formidable effet
boomerang en cas de problème, que les médias ont leur propre
logique de traitement d’une crise et qu’elle constitue pour eux
une superbe opportunité en terme d’audience. Que la communication
de crise doit toujours envisager le scénario du pire et que des
premières déclarations trop rassurantes comme celle prononcée par
Philip Franklin, le Vice Président de la société mère de la White
Star déclarant après avoir appris la collision avec un iceberg que
les passagers n’auraient à connaître que « quelques désagréments »
ruinent toute crédibilité ultérieure. Enfin, que la transparence
est un impératif fondamental et que la dissimulation de données ou
leur falsification, dans l’hypothèse de leur découverte, ne peut
que se retourner durablement contre l’entreprise.
Les leçons du naufrage restent bien actuelles.
Thierry Libaert
Pour aller plus loin : - Henry Lang. Petites erreurs, grands
naufrage. Editions d’organisations. 2003.
http://www.communication-sensible.com/articles/article0032.php
- François Walter. Catastrophes. Seuil. 2008.
http://www.tlibaert.info/wp-content/themes/custom11/documents/cccnl16.pdf
(page 62)
- Une interview au Quebec d’un collègue Luc Dupont sur le même
sujet :
http://www.radioego.com/ego/listen/10680
-L’analyse des rapports des commissions d’enquête :
http://www.communication-sensible.com/articles/article233.php
© Tous droits réservés
Magazine de la communication de crise et sensible.
www.communication-sensible.com
|