Les crises 2011, leçons pour l’avenir
par Thierry Libaert
PDF, 5 pages
Bilan des crises 2011
Si 2010 avait connu quelques crises
retentissantes à l’instar de Toyota qui dut rappeler en février
plus de 8 millions de véhicules et surtout BP qui dut affronter la
crise liée à l’explosion de la plateforme Deep Water le 20 avril
dans le golfe du Mexique, 2011 a apporté son cortège de crises
avec la perception d’une accélération croissante. Chaque mois
apporta une nouvelle crise, chacune riche d’enseignement.
Servier
L’affaire Servier avait démarré en 2010 avec la découverte des
effets du Médiator. Début 2011, le scandale rebondit avec la
révélation que le laboratoire connaissait les risques, conjugués à
la divulgation des méthodes de lobbying puis en septembre les
problèmes liés à d’autres médicaments comme le Protelos. Cette
crise, qui rappelle celle du sang contaminé en 1986, prend son
intensité à cause de deux éléments amplificateurs ; le domaine
concerné est celui de la santé, qui avec l’alimentation et
l’environnement sont les thèmes les plus sensibles aux yeux du
public, mais aussi en raison de la perception que le risque était
connu et étouffé pour des raisons commerciales.
Renault
La pseudo affaire d’espionnage de Renault qui vit le PDG Carlos
Ghosn annoncer le 23 janvier ses certitudes avant d’être contredit
par les enquêtes, nous rappelle la part d’incertitude propre à
chaque crise et le danger des déclarations souvent trop hâtives en
période extrême.
Quick
Le décès en janvier 2011 d’un adolescent ayant dîné dans un
restaurant Quick d’Avignon a donné lieu à une stratégie de
communication de la part de son PDG assez originale puisque
celui-ci privilégia la communication sur les réseaux sociaux,
notamment sur la page Facebook de la chaîne de restauration
rapide. Cela permettait de toucher le public cible de Quick sans
donner une trop forte visibilité médiatique à la marque.
Galliano
L’affaire Galliano éclata en mars suite à la diffusion sur un
site internet d’une vidéo tournée en décembre 2010 dans un bar
parisien où ce dernier proférait des propos antisémites. Crise
elle aussi révélatrice des nouveaux pouvoirs des réseaux sociaux
où chacun d’entre nous avec son seul smartphone peut devenir
déclencheur de crise.
E-Coli
L’intoxication alimentaire E-Coli qui sévit en Europe en
mai-juin fut caractéristique de ces crises nouvelles,
indétectables, imprévisibles, mutantes et protéiformes et la
tension extrême entre l’urgence de répondre aux attentes du public
et le niveau de connaissances des experts. Furent donc accusés les
concombres espagnols, les salades et les tomates avant que ne soit
incriminée le 10 juin une exploitation de graines germées en Basse
Saxe.
Fukushima
Après le séisme et le tsunami qui s’ensuivit, plusieurs
réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima explosèrent en
mars 2011 émettant des doses massives de radiations. La
communication de crise fut balbutiante avec un PDG trop discret,
des informations parcellaires et trop rassurantes pour être
crédibles, conjuguées aux révélations, là aussi, d’un risque lié à
une faiblesse des investissements dans le domaine de la sécurité
des installations. Les conséquences furent majeures en Europe,
notamment pour la filière nucléaire avec les annonces d’arrêt des
programmes belges, allemands et italiens. La crise émerge en
Occident par les conséquences de l’accident japonais et le procès
en légitimité de la filière nucléaire qu avait vraisemblablement
trop communiqué sur l’avantage d’être non carboné à l’heure où le
réchauffement climatique apparaissait l’impératif écologique
majeur. Cette crise nous enseigne également les difficultés des
modèles de prévision où l’événement déclencheur (l’explosion)
intervient en conséquence d’une causalité doublement indirecte, le
raz de marée suivi du tsunami.
Sony
La confirmation par les dirigeants de Sony – qui s’inclinèrent
pour demander publiquement pardon lors d’une conférence de presse
en mai 2011 – de l’infiltration informatique concernant la Play
Station et qui occasionna le piratage potentiel de 10 millions de
numéros de carte bancaire a confirmé que la réactivité des
dirigeants est un paramètre majeur des gestions de crise réussies.
En l’occurrence, c’est l’extrême lenteur de Sony à admettre le
piratage dont l’entreprise fut l’objet qui créa l’intensité de
cette crise.
Blackberry
Dix millions de propriétaires de Blackberry furent touchés en
octobre 2011 par une impossibilité de tout usage de la messagerie
électronique pendant trois jours. Les caractéristiques
sociologiques des possesseurs de Blackberry conjuguées une fois de
plus à la lenteur des réactions de l’entreprise contribuèrent au
déferlement des critiques envers la société.
Banques
Les banques se retrouvèrent nombreuses au cœur de la tourmente
avec l’effondrement boursier des valeurs financières à l’été 2011
en raison des problèmes de solvabilité de plusieurs états, et
notamment la Grèce. La Société Générale a fait l’objet de rumeurs
portant sur sa situation financière et l’Autorité des Marchés
Financiers ouvrait une enquête le 12 août dernier. Issue
apparemment d’un article du Daily Mail affirmant que la banque
était au « bord du désastre », cette affaire illustre une fois de
plus les ravages possibles des rumeurs, et l’extraordinaire
difficulté d’y mettre fin.
Cora
Le licenciement annoncé le 26 octobre 2011, puis annulé, d’une
caissière d’un magasin Cora, accusée d’avoir volé un ticket de
caisse ouvrant droit à une réduction, a soulevé une indignation
des internautes particulièrement sur la page Facebook de
l’entreprise et illustré la capacité de mobilisation non organisée
sur les réseaux sociaux. La tentative artificielle de mettre en
scène la semaine suivante par une vidéo postée sur Youtube des
salariés défendant la réputation de l’entreprise aura paru comme
une méthode vaine issue d’une tactique de communication ignorant
trop largement la psychologie des internautes sur les réseaux
sociaux.
Prothèses PIP
Commencée avec l’affaire du Médiator, l’affaire se termine avec
les prothèses PIP et l’annonce de la recommandation de retirer les
prothèses implantées. 30 000 femmes sont concernées par une
affaire qui remet en lumière le secteur le plus sensible aux
crises, celui de la santé. Du culte du corps à sa décomposition,
cette crise est représentative d’une société en perte de repères
où les responsabilités sont collectives.
Strauss-Kahn
En dehors des crises organisationnelles, l’année aura été
particulièrement marquée par l’affaire Strauss-Kahn qui débuta le
14 mai. Cet événement qui en dehors du groupe Accor ne concerne
pas la communication de crise pour les entreprises, reste un cas
d’école assez remarquable. L’abandon des charges le 22 août, la
déclaration à la presse du lendemain et l’interview du 16
septembre n’auront pas suffi à redresser une réputation. Les mêmes
messages que Bill Clinton au moment de l’affaire Lewinsky furent
utilisés, mais l’impression d’un dispositif de communication trop
huilé où s’amalgamèrent la compassion, l’empathie, la théorie du
complot et la technique de détournement réduisit la crédibilité du
discours. Les rebondissements de l’affaire du Carlton de Lille ne
purent qu’augmenter la distance envers le personnage.
Les leçons de 2011
S’il fallait retenir quelques leçons de ces crises, trois
points mériteraient d’être signalés. D’abord, l’importance
toujours soulignée de la nécessaire réactivité. L’affaire Galliano
n’aura pas eu d’impact sur Dior et LVMH puisque l’entreprise se
sépara immédiatement de son créateur vedette.
Ensuite la communication digitale ne peut plus être dissociée de
la gestion des crises, les réseaux sociaux peuvent créer une
crise, ils sont une formidable caisse de résonnance, mais aussi un
outil de gestion au service de l’entreprise.
Le troisième point est le plus inquiétant. A constater les noms
des organisations confrontées aux crises, et alors que tout
indique que les crises se développent dans leur fréquence et leur
intensité, il est inquiétant de constater le faible niveau de
préparation aux crises et d’observer le sentiment de sidération
qui prévaut dans les organisations.
Si cela pouvait éventuellement se comprendre pour certaines
entreprises a priori moins exposées, c’est plus difficile pour les
plus importantes d’entre elles. La brutale disparition d’Arthur
Andersen, un des cinq grands noms de l’audit, il y a dix ans,
devra rappeler à nos dirigeants que les sociétés sont mortelles et
que l’anticipation est le maître mot de toute stratégie de gestion
des crises.
Thierry Libaert
- Professeur en communication à l’Université de Louvain
- Maître de conférences à Sciences-Po Paris
- Membre du Comité Economique et Social Européen.
- Directeur Scientifique de l’Observatoire International des
Crises
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Bilan des crises 2011
5 pages
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