L’Etat et la communication sensible : Au-delà
des bonnes pratiques, un défi difficile à relever.
par Gérard Pardini, directeur adjoint de l'INHESJ
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Article tiré du numéro spécial "Communication
sensible" du n°20 du Magazine de la Communication de crise et
sensible.
Sommaire-PDF 45 pages
Edité par l'Observatoire International des Crises
Directeur de rédaction : Didier Heiderich
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L'état et la communication sensible
Quelques rappels…
L’Etat est depuis toujours confronté à sa
communication. Elle est rarement exempte de critiques , soit les
pouvoirs publics sont accusés de dissimulation intentionnelle, le
plus souvent justifiée par le souci de ne pas affoler les
populations, soit ils sont accusés de dramatiser à l’excès une
situation ou une action et alors de poursuivre un objectif
politique, certains diront politicien, pour détourner l’attention
sur une incapacité réelle ou supposée de bien gérer un événement
ou une situation pouvant se révéler dramatique. Ces deux grandes
options, bien ancrées dans les opinions publiques, ne sont pas
pour autant exclusives. Il faudrait y ajouter par exemple le cas
de la mauvaise information initiale du pouvoir sur une situation
ou un événement entrainant ipso-facto une mauvaise communication.
Cette confrontation des Etats à la communication est allée de
pair avec le développement de la démocratie. La liberté
d’expression qui est l’un des éléments permettant de connaître le
degré d’évolution d’un pouvoir vers la démocratie a entrainé un
embarras des régimes démocratiques qui n’ont eu de cesse de tenter
de donner des gages à leurs citoyens quant à une neutralité des
informations délivrées par les autorités publiques. Pour répondre
aux critiques récurrentes de manipulation de l’information, les
pouvoirs publics des régimes démocratiques ont peu à peu substitué
le terme communication à celui d’information. Cette substitution a
permis dans un premier temps de rassurer. Les Etats et leurs
pouvoirs publics ont voulu entrer dans la convivialité et
l’interactivité pour mieux faire accepter leurs messages par les
citoyens. Là, réside peut-être la racine du problème pour les
Etats. A trop vouloir banaliser la fonction étatique et rassurer
sur le fait qu’elle n’est pas un Moloch ou un Léviathan dévoreurs
de libertés pour permettre la vie en société, nous avons peu à peu
collectivement oublié que l’exercice d’une charge donne des
obligations et qu’au premier rang d’entre elles se situe la
reddition des comptes. Informer les citoyens sur l’exercice du
pouvoir constitue donc une fonction essentielle de l’Etat. Nul ne
le conteste, bien sûr, mais ce qui est en cause aujourd’hui réside
dans la manière d’informer ou de communiquer, peu importe à notre
avis le terme retenu, s’agissant des Etats.
C’est bien parce que ces derniers assument la charge suprême
garantissant la paix, la défense commune et un équilibre
acceptable du « vivre ensemble » qu’ils doivent savoir informer et
communiquer. Quand ils ne le font pas ou mal, ils deviennent «
démunis » et contestés. Nous pensons que ce détour par le
fondement des Etats est indispensable afin de redonner du sens à
la communication publique. Il nous semble imparfait de s’attacher
uniquement aux outils, à la finalité et à l’analyse du
fonctionnement des mécanismes permettant la communication quand il
s’agit des Etats. Si nous négligeons ce que représente l’Etat, sa
position vis-à-vis des différents acteurs qui constituent une
société et un monde, nous nous privons d’une grille d’analyse
précieuse et prenons le risque de ne pas trouver les réajustements
nécessaires. N’oublions pas enfin que la violence, et le
terrorisme en est l’acte ultime, est l’échec de la communication
des Etats.
Communication sensible
Au vu de ce qui précède, il ne fait aucun doute que les
activités de l’Etat entrent dans leur totalité dans le périmètre
de la communication sensible qui regroupe la communication sur le
risque, la communication d’acceptabilité, la communication
relative à des activités contestées et enfin la communication de
crise, la plus connue des quatre composantes. Traiter ce sujet
sans s’interroger sur l’effectivité et la légitimité d’un Etat à
un moment donné nous semble difficile.
Compléter le champ de la communication sensible par cette
dimension nous semble constituer un apport venant conforter le
concept.
Du degré de cette effectivité et de cette légitimité dépend la
capacité d’un Etat à faire passer des messages plus ou moins forts
et acceptables pour les citoyens. Cette vision de la question qui
est axée sur les capacités et les qualités intrinsèques de
l’acteur principal nous a semblé suffisamment intéressante pour
tenter de livrer quelques pistes de réflexion. Elles soulèvent une
difficulté majeure car elles concernent les fondations de
l’édifice. La réponse ne situe plus dans le domaine des bonnes
pratiques mais relève à notre sens d’une approche de refondation.
Un tel prisme devrait permettre de mieux prendre en compte les
facteurs de l’équation que sont le trop de communication qui
décrédibilise la parole publique, démobilise le citoyen et le trop
de pouvoir qui va également, mais par d’autres canaux, aboutir à
un rejet de l’Etat.
La communication sensible participe à la légitimation de
l’Etat.
La définition de l’Etat n’a longtemps intéressé que les
constitutionalistes qui dissertaient sur les trois éléments
constitutifs de cette entité : le territoire, la population et la
puissance. En y rajoutant la souveraineté qui donne sa spécificité
au pouvoir d’Etat en le distinguant de tous les autres, nous
avions une vision à peu prés claire de cette entité. Or depuis une
trentaine d'années, ce schéma s’est de plus en plus brouillé. La
souveraineté est de plus en plus partagée avec des structures
internationales au point que nous avons du bâtir des constructions
juridiques complexes et peu accessibles aux citoyens pour faire
cohabiter le vieux concept de souveraineté nationale et la
construction européenne . Le danger d’une telle situation réside
dans son caractère insidieux qui aboutit dans les faits à la
coexistence de deux Constitutions. L’ancienne, nationale, écrite,
et la nouvelle, supranationale, en partie non écrite. Le risque
est que le titulaire du pouvoir constituant à titre originaire, le
peuple, se sente de moins en moins en phase avec les institutions
pour lesquelles il exercice son droit de vote.
Ce malaise est
véritable et il est d’ailleurs nettement perçu depuis plus d’une
dizaine d’années par les études d’opinion réalisées dans les pays
de l’Union Européenne.
Les derniers chiffres disponibles datent du dernier trimestre
2010 et montrent sans ambigüité que la confiance dans les pouvoirs
publics est minoritaire (moins de 30% des opinions) et ultra
minoritaire s’agissant des partis politiques qui recueillent un
taux de confiance de 15%. Les prochaines études devraient
malheureusement confirmer cette tendance car déjà fin 2010
l’ensemble des opinions des pays étaient persuadées qu’aucune
amélioration de cette situation n’était attendre que cela soit
dans leur pays ou au niveau de l’Union. Ce sentiment était même
renforcé dans des pays comme la France et l’Espagne où près des
deux tiers de l’opinion étaient pessimistes quant à la survenance
d’une tendance positive.
Tout cela renvoie à la théorie de l’écart de légitimation. Développée par Jurgen Habermas mais également par
Paul Ricoeur, elle permet d’apprécier comment les détenteurs de
l’autorité publique réussissent à la faire accepter par la
population. Tout pouvoir politique réclame un crédit à ses
administrés et apporte en contrepartie à ces derniers des
justifications. Plus la justification de ces exigences se dégrade
plus l’écart de légitimation se creuse et conduit à une crise.
Jurgen Habermas a actualisé ses travaux en 2001 à la lumière des
crises frappant la plupart des démocraties européennes. L’écart de
légitimation se constate aujourd’hui entre les « flux de
légitimation » historiques, provenant des Etats nations et ceux
issus d’institutions internationales (UE, OMC…). Celles-ci
génèrent de plus en plus de normes ne bénéficiant pas du même
niveau de légitimation dans la population que celles provenant des
Etats.
Le cumul de deux écarts de légitimation, l’un dans l’ordre
interne, l’autre au niveau supranational ne peut donc qu’accentuer
la crise des institutions. La crise économique que nous traversons
depuis quelques années vient aggraver le phénomène. En étant un
cruel révélateur du basculement du centre de gravité économique
mondial hors de l’Europe, ( virgule rajoutée) il a accéléré la
démarche de nombreux Etats européens dont le nôtre à se remettre
en question et à tenter de retrouver une légitimité en s’allégeant
devant les individus. La question du périmètre de l’Etat revient
alors en force avec des arbitrages difficiles entre retrait et
réorganisation.
Redonner force à la communication de l’Etat
Une
fois le constat établi, il faut proposer des solutions pour
redonner une légitimité à l’action publique. Au stade auquel la
plupart des Etats européens sont parvenus, il s’agit de trouver
une réponse adaptée aux impasses du libéralisme débridé et à
l’incapacité de renouer avec le plein emploi. Sans de telles
réponses, il sera difficile pour l’Etat de retrouver force dans sa
communication. La crise d’identité des institutions publiques nous
semble donc au cœur de la question de la communication sensible.
Cela est d’autant plus sensible dans les pays de vieille tradition
institutionnelle où l’invocation d’une « magie des institutions »
vient parfois occulter la réalité. L’une de ces réalités est que
le modèle d’un Etat en mesure de disposer d’une communication
crédible fait appel à des mécanismes assumant totalement la
réalité du monde tel qu’il est c'est-à-dire la rareté des
ressources, une meilleure gestion du potentiel humain, et
l’exigence d’une bonne gestion. C’est également un appel à une
société plus responsable, désireuse d’agir de manière active et
proactive par la reconnaissance de l’efficacité de nouvelles
valeurs, telles que le partage, la solidarité, la mutualisation de
moyens.
Ce constat est universel. Il concerne tout aussi bien des
pays à faible degré de démocratie comme la Chine que des pays
européens de plus forte tradition démocratique. Il est ainsi
intéressant de remarquer que la récente succession d’événements
dramatiques connus par la Chine tels que le déraillement de leur
train à grande vitesse, la contamination du lait pour enfants avec
de la mélamine, diverses affaires de corruption majeure a donné
lieu à des exercices de communication montrant bien la difficulté
du dosage entre la reconnaissance par les pouvoirs publics de ses
impérities, le souci de montrer la force qui crée des injustices
et accroit la contestation et enfin la diffusion de rumeurs
battant en brèche le discours officiel. C’est bien la gouvernance
du pays qui est en cause et par voie de conséquence la légitimité
du pouvoir qui est contesté. La communication publique est bien au
cœur de ces enjeux. Elle ne peut jouer pleinement son rôle tant
que l’Etat ne se remet pas en cause et rend des comptes crédibles
sur l’exercice de sa charge. On en revient bien au fondement de la
communication… Si nous retournons dans nos vieux pays
démocratiques, le débat est identique dans ses fondements. Ce qui
nous distingue de la Chine, c’est que dans son cas il s’agit
d’aller vers plus de démocratie et pour nos pays Européens,
l’enjeu est de préserver la démocratie.
La catastrophe japonaise
de Fukushima vient de donner du relief au débat sur la
communication et à la crédibilité de la parole publique sur des
sujets sensibles et pour lesquels une méfiance naturelle existe.
Si l’on prend pour exemple les récents travaux du CODIRPA on y
retrouve les lignes de force de la communication de crise : haut
niveau de stress individuel et collectif ; multiplicité d’acteurs
et afflux de sollicitations (public, médias, parties prenantes) ;
multiples sujets à traiter (sanitaires, environnementaux,
techniques, juridiques…) avec une prévalence du questionnement
sanitaire ; communication à forte teneur prescriptive devant
déclencher des actions de la part des citoyens ; risque
d’apparition de rumeurs et de polémiques ; difficultés à expliquer
la technique, les normes et les impacts ; possible mise en cause
de l’expertise technique et de l’évaluation sanitaire et risque de
perte de confiance dans les pouvoirs publics. Or, ce dernier item
ne peut être mis au même niveau que les autres. L’une des clés de
la restauration de la confiance consiste pour les pouvoirs publics
à trouver le juste équilibre entre les attentes des citoyens et
les capacités de ces mêmes pouvoirs publics. Cela oblige à sortir
d’une geste incantatoire qui se nourrit de l’image d’un Etat
mythifié. Le niveau de crise est aujourd’hui tel qu’il faut
rétablir une situation évitant que les citoyens attendent plus
d’un gouvernement que celui-ci est réellement en mesure d’offrir.
Tant qu’un différentiel existera sur ce point, ils ne seront pas
convaincus de la capacité des responsables et des institutions
politiques à tenir leurs engagements et ipso facto créera une
faiblesse structurelle dans le dispositif de communication
sensible. Il est impossible de délivrer un remède universel car
chaque pays à une histoire propre et des contraintes économiques
et sociales bien spécifiques. A chaque Etat correspond une voie
permettant l’ajustement des capacités et des attentes. La seule
donnée commune est de travailler sur le périmètre d’un Etat
acceptable et accepté. Cela passe inéluctablement par des
transferts de certains risques et de certains coûts de dépense
vers les citoyens et les entreprises. Une telle politique ne peut
avoir une chance de succès que si ces transferts sont clairs et
évitent les chevauchements de compétences. A défaut, toute
nouvelle politique ne sera pas viable et viendra creuser un peu
plus le déficit de confiance.
Cette question du périmètre de l’Etat conduit tout
naturellement à rappeler que l’Etat n’est pas une entreprise comme
les autres et que les bonnes pratiques de communication
applicables au secteur privé ne peuvent se transférer telles
quelles au secteur public. En général, les opérations de
communication qui se contentent de fournir des informations
quantitatives pour prouver que les craintes sont exagérées ont peu
d’impact. L’une des caractéristiques des Etats et de pouvoir
coordonner des objectifs et des politiques publiques pouvant être
divergentes voire contradictoires. C’est cette capacité à donner
de la cohérence qui donne à la politique tout son sens. Cette
particularité s’applique bien entendu à la prise de décision pour
la simple raison qu’il va aussi être demandé à l’Etat de
coordonner des acteurs multiples, publics et privés. Enfin, seul
l’Etat peut intégrer les facteurs complexes que sont l’histoire
d’un pays, les fondements et valeurs sous-tendant son système
juridique et social. Plus cette capacité de cohérence est grande,
mieux se réalisera la répartition de ressources rares entre des
utilisations concurrentes, ce qui est la caractéristique des
politiques publiques de gestion des risques et de maîtrise des
crises. Le traitement de la communication publique s’inscrit
totalement dans cette approche car il est bien évident que la
maîtrise des risques, pouvant déboucher sur une crise, nécessite
de traiter la défiance des populations qui attendent qu’un Etat
réponde tout à la fois à leurs légitimes demandes de protection
mais aussi qu’il prenne la mesure de la pression fiscale qui les
touche. Il ne faut pas non plus oublier que l’Etat est un acteur
économique particulier qui ne peut se réduire à la prestation de
services pour l’évidente raison que c’est lui qui est chargé
d’édicter les conditions-cadres nécessaires à tous les opérateurs
économiques .
Au final, se dessine une ligne nette de partage qui milite en
faveur d’un Etat assumant son rôle d’autorité et de puissance
publique. Le discours de régulation et de consensus obéissant
souvent aux règles marketing de la segmentation des publics ne
semble pas, en l’état actuel des choses, être en adéquation avec
les enjeux du moment. L’heure n’est plus aux compromis, ni sur les
politiques publiques, ni sur la communication qui leur est reliée.
Ces quelques lignes montrent bien que la question de la
communication est cruciale et qu’elle ne peut être dissociée d’une
approche globale des politiques publiques et du rôle de l’Etat.
Cela implique aussi une remise en question des dispositifs
d’évaluation et de performance des politiques publiques. Il semble
indispensable de s’attacher à vérifier l’effectivité des mesures
ce qui va bien au delà du fait de connaître le suivi administratif
d’une décision. Le chantier est vaste mais encore réalisable à la
condition expresse de ne pas s’interdire de remettre en cause nos
organisations et nos politiques quand elles ne correspondent plus
à la réalité.
Gérard Pardini, INHESJ *
http://www.gerard-pardini.fr/
* Cet article est une réflexion personnelle de
son auteur et ne saurait être interprété comme une position
officielle ou officieuse des services de l’Etat.
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L'état et la communication sensible
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