La communication sensible, nouvelle
discipline de communication organisationnelle.
par Thierry Libaert
Article tiré du numéro spécial "Communication
sensible" du n°20 du Magazine de la Communication de crise et
sensible.
Sommaire-PDF 45 pages
Edité par l'Observatoire International des Crises
Directeur de rédaction : Didier Heiderich
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La communication sensible, nouvelle discipline
Si l’on peut retrouver l’appellation « Communication sensible
» dans les années 80 et 90, c’est véritablement à partir des
années 2000 et de la création de l’Observatoire International des
Crises que le terme sera formellement reconnu. Son utilisation est
toutefois multiple et prête parfois à confusion. C’est la raison
pour laquelle nous avons souhaité poser quelques bases
supplémentaires à cette nouvelle discipline.
I – L’origine de l’idée de la communication sensible
Elle repose sur trois observations.
1) L’obsolescence des principes de base de la communication de
crise
La communication de crise a connu quatre étapes. La première a
duré jusqu’au début du 20ème siècle où régnaient les explications
par la punition divine ou le principe de fatalité . Le règne de la
gestion de crise apparaît en France dans les années 1980,
notamment sous l’impulsion de Patrick Lagadec. Vint l’âge d’or de
la communication de crise dans les années 90 et s’il semble
impossible de dater avec précision le tournant, il semble qu’une
nouvelle phase, celle de la communication sensible, est apparue au
début du 21ème siècle pour s’imposer actuellement.
Cette nouvelle étape s’est développée avec le constat que la
notion même de crise avait évolué ; devenue « mutante et
protéiforme » , elle se montrait irréductible aux modèles
explicatifs traditionnels. La crise devenait imprévisible , en
recomposition permanente. En outre, l’explosion de la
communication, notamment sous l’effet de la généralisation du
digital, rendait caducs les principes de maîtrise de
l’information. L’approche classique basée sur le respect des
grands principes volait en éclats. Il ne suffisait plus
d’identifier les crises potentielles, de les classer, de les
prioriser, d’organiser nos relations, de préparer nos messages et
d’effectuer quelques exercices de simulation ou autre média
training. Une réalité plus complexe s’est mise en place , moins
centrée sur le mode de l’organisation et nécessitant une démarche
vraisemblablement plus culturelle que technique.
2) La porosité de disciplines connexes
Aux frontières de la communication de crise se situent
plusieurs disciplines entre lesquelles les interactions
apparaissent de plus en plus fortes.
C’est notamment le cas de la communication d’acceptabilité.
Définie en 1996 comme celle qui s’effectue en accompagnement d’un
projet d’implantation industriel ou équipementier, ayant un impact
environnemental majeur , cette vision est apparue rapidement trop
étroite puisque les oppositions aux implantations ont débordé le
cadre technique pour se généraliser à tout type d’implantation,
notamment dans le domaine social, à l’exemple des problèmes
d’acceptabilité du logement social. La problématique de
l’acceptabilité territoriale a fortement évolué en raison de son
caractère désormais systématique, de l’explosion des
médiatisations afférentes, de l’évolution des modalités de
conflit, du recours automatique à la judiciarisation, de
l’évolution de la notion d’intérêt général qui dominait le
registre des valeurs de ce type de projets.
Liée directement à la communication d’acceptabilité, la
communication sur des thèmes sensibles peut n’en apparaître qu’une
variante non territoriale. Les liens sont évidents entre les
contestations thématiques et les contestations locales, qu’il
s’agisse de la problématique des OGM, du nucléaire ou des gaz de
schiste. Les problématiques peuvent toutefois être plus diffuses,
non territorialisées et s’attacher à des thèmes à fort contenu
polémique (la production d’armement par exemple).
La communication sur le risque tangente également la
communication de crise avec laquelle elle tend parfois à se
confondre, voire à n’en faire qu’un prélude, comme si le risque
n’était que la phase préparatoire à la crise. Ce domaine a
également fortement évolué sous l’effet de la responsabilité
sociale d’entreprise et plus particulièrement du principe de
précaution.
Ces quatre domaines peuvent d’autant plus se réunir dans la
sphère de la communication sensible que les interactions sont
nombreuses.
3) L’interconnexion des domaines
Chaque discipline est en inter-relation constante avec les
trois autres et aucune ne peut être isolée. Pour ne prendre que
quelques exemples, la communication sur le risque de perturbation
sonore des aéroports a entraîné la perception que ceux-ci
constituent désormais la nuisance la plus forte aux yeux de
l’opinion, et contribua fortement à l’impossible construction d’un
troisième aéroport sur le territoire national. De même une
entreprise ayant connu une crise grave aura vraisemblablement
quelques difficultés à se faire accepter localement. La
communication sur les gaz de schiste est tout à la fois une
communication sur un thème sensible à fort contenu politique, une
communication sur le risque des dangers de la fracture
hydraulique, une communication d’acceptabilité locale dans sept
départements plus particulièrement concernés dans le Sud-Est de la
France et une communication de crise qui se dessine en permanence.
La communication sensible apparaît ainsi en reconfiguration de
ces thèmes, elle positionne sa légitimité tout à la fois dans la
reconnaissance des caractéristiques communes mais aussi dans celle
des principes d’action.
II – La communication sensible au cœur des interactions
La communication sensible repose sur la perception des
caractéristiques communes à chaque domaine de communication.
1) Les caractéristiques de la communication sensible
• La communication est d‘abord définie sous cette dénomination
parce que son thème est « sensible » aux yeux de l’opinion. C’est
prioritairement en raison de la perception par l’opinion publique
des thèmes couverts par le risque, le sujet polémique,
l’acceptabilité ou la crise que la communication peut être
qualifiée de sensible.
• Le même terme de sensible peut être utilisé en référence une
réaction chimique. La sensibilité indique ici la capacité
d’ultra-réaction et s’applique parfaitement à notre domaine
d’étude où le moindre grain de sable peut ruiner l’ensemble d’un
dispositif communicationnel pourtant éprouvé.
• La communication sensible est une communication
d’intégration, elle vise en permanence la légitimation des actions
de l’organisation. Entre la pédagogie et les tactiques de
minimisation jusqu’à la remise en cause de la « License to operate
» c’est la survie même de l’organisation, de ses composantes, de
son activité qui est souvent questionnée.
• La communication sensible est une communication en
construction. Les certitudes y sont peu nombreuses. Ainsi, lors
d’un récent colloque sur l’acceptabilité des grands projets,
(UQAM, Montréal, 4 et 5 octobre 2011), le professeur Serghei
Floricel a pu observer que, contrairement à l’idée générale, les
projets participatifs étaient moins efficaces en termes
d’acceptabilité. La communication sur le risque dispose de
principes encore peu reconnus et la littérature scientifique reste
très réduite sur le sujet. Certes la communication de crise
demeure le domaine le plus étudié et grâce à plusieurs chercheurs
(L. Barton 1993, T. Coombs 2007, Fink 1986, Lerbinger 1997,
Mitroff 2004, Pearson et Clair 1998, Weick 1988, Zaremba 2010),
certains principes ont pu être mis à jour. Il reste que la longue
liste des échecs de la communication de crise parfois prônés par
les meilleurs consultants incite à une forte humilité envers le
caractère qui reste embryonnaire de la recherche en communication
de crise.
• Enfin, la communication sensible est un domaine où l’argument
central forme souvent l’alibi d’une remise en cause plus profonde.
En permanence, il y a ce que le sociologue Luc Boltanski nomme une
« montée en généralité » . Le thème lié à l’acceptabilité renverra
inéluctablement à une interrogation sur l’utilité sociale et les
dégâts du progrès, la crise renverra à une remise en cause de la
gouvernance de nos organisations et au modèle économique et
social, le risque à un débat sur la fragilité de nos sociétés, la
précaution et son coût, le rôle du progrès technique et la
légitimité de l’expertise. A chaque fois, le thème lié à la
communication (le risque des ondes magnétiques, l’expérimentation
animale, le réchauffement climatique) est rapidement dépassé pour
se diffuser dans un débat aux enjeux plus vastes.
2) Les principes de la communication d’acceptabilité
La communication sensible peut en outre être l’objet de
principes communs à chacune de ses composantes. Ainsi, qu’il
s’agisse de communication sur le risque, sur un thème sensible,
sur l’acceptabilité ou sur la crise, les dix principes suivants
peuvent être appliqués.
• L’anticipation. La communication sensible gagne son
efficacité par une stratégie globale et réfléchie le plus en amont
possible de son exécution.
• Avec. La communication sensible est une communication de
relations publiques davantage qu’une communication corporate.
• L’alliance. S’agissant de thèmes sensibles aux yeux de
l’opinion, l’organisation devra faciliter la prise de parole des
relais d’opinion. En communication sur le risque, l’acceptabilité,
le thème contesté ou la crise, la parole la plus crédible n’est
pas originaire de l’organisation en cause.
• Les nuisances. Loin du discours de satisfaction, la
communication sensible doit reconnaître les impacts négatifs que
l’organisation occasionne. Outre une élémentaire marque de respect
de l’opinion, c’est également un paramètre de performance de la
communication.
• Le ciblage. La communication sensible doit dépasser la vision
simplificatrice du traitement de l’opinion publique pour se
concentrer sur les cibles prioritaires et en l’occurrence souvent
décisionnelles.
• L’occupation du terrain. Le risque, le débat polémique,
l’acceptabilité et la crise sont des domaines où la temporalité
est majeure. Il est donc nécessaire de prévoir une communication
de long terme et une présence argumentaire constante.
• La preuve. Justement parce le terrain est contesté,
l’ensemble du discours de l’organisation doit en permanence
reposer sur des éléments justificatifs.
• Le symbole. La communication sensible accorde une place
majeure à la symbolique. Sur des thèmes à potentialité polémique
forte, l’organisation sait que la perception compte autant que
l’action et pour ne prendre qu’un exemple, le souvenir que nous
avons de Tchernobyl réside dans le souvenir qu’on nous aurait dit
que le nuage radioactif s’était arrêté à la frontière.
L’organisation devra donc démontrer une attitude, un comportement
basé sur l’ouverture et la transparence.
• L’accessibilité du discours. La communication sensible est
par nature « technique », elle évolue dans un langage élaboré et
doit donc viser en permanence la vulgarisation faute de pouvoir
être réellement compréhensible.
• La proximité. C’est au plus proche de ses interlocuteurs que
la communication sensible évolue, tout discours effectué par
l’utilisation de médias unilatéraux est inefficace. La crédibilité
se gagne par la proximité.
Un nouveau type de communication est en émergence. Incluant la
communication sur les risques, les thèmes sensibles,
l’acceptabilité et la crise, il rencontre également à sa
périphérie des communications plus traditionnelles, comme la
communication financière, ou d’apparence plus conventionnelle
comme la communication environnementale. Mais dans ces deux cas,
l’hyper sensibilité est présente et il suffit de constater la
volatilité boursière, suite à l’annonce de micro événements, ou
d’observer l’effet boomerang de la communication environnementale
pour se convaincre que la communication sensible ne peut faire
l’objet d’une définition trop rigide dans l’intégration de ses
composantes. Elle traduit l’évolution vers une nouvelle approche
de la communication sur les frontières entre disciplines tendant à
se réduire au profit d’une approche plus globale et plus flexible.
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La communication sensible, nouvelle discipline
Thierry Libaert Professeur à l’Université catholique de Louvain
Maître de conférences à Sciences Po Paris
Directeur Scientifique de l'OIC
Thierry Libaert.
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