Le paradoxe BP Les risques du « court-termisme
» dans les stratégies de communication
Par Hédi Hichri
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Article révisé en septembre 2010
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Maîtriser les premiers moments d’une situation de crise est
capital pour une entreprise. Ces instants sont souvent
révélateurs de sa capacité à gérer un évènement exceptionnel
qui met en péril la pérennité de ses activités.
La communication de crise se focalise souvent sur cette période
critique pendant laquelle l’entreprise, dans un contexte de
pression extrême, doit adopter les bons réflexes et délivrer
rapidement ses messages aux médias, aux autorités, aux
collaborateurs, aux clients et dans certains cas aux familles des
victimes, sous peine de sombrer complètement. Cette
cristallisation des « tous premiers moments » paraît d’autant plus
justifiée que notre société évolue depuis quelques années dans
l’ère de l’instantanéité. Instantanéité de l’information et de sa
diffusion, multiplication des sources d’information : tous ces
facteurs entraînent pour l’entreprise un accroissement du risque
de polémique et de débat. Cependant, comme nous l’observerons à
travers l’analyse du cas BP, il serait dangereux dans l’approche
de la communication de crise et plus largement dans celle de la
communication d’entreprise de se laisser guider uniquement par une
vision à court terme.
Le paradoxe BP
Lorsque le 20 avril 2010 les agences de presse annoncent 11 ou
12 disparus après une explosion sur une plateforme pétrolière au
large de la Louisiane (Etats-Unis), personne n’imagine l’ampleur
de la marée noire que va connaître le golfe du Mexique. La
plateforme Deepwater Horizon sur laquelle s’est produit l’accident
appartient à la compagnie Transocean et est exploitée par BP.
Malgré quelques atermoiements au début de la catastrophe, BP
adopte très vite une attitude responsable relayée par son
directeur général Tony Hayward. Celui-ci déclare le 22 avril «
nous sommes déterminés à faire tout ce qui est en notre pouvoir
pour contenir cette fuite et résoudre la situation aussi
rapidement que possible » et explique « assumer toute la
responsabilité de la marée noire » le 30 avril. BP opte ainsi pour
une stratégie de communication qui consiste visiblement à assumer
aux yeux de l’opinion la responsabilité de l’accident et à engager
les actions nécessaires face à la catastrophe. C’est l’une des
approches généralement recommandée en situation de crise car elle
permet d’asseoir le positionnement « d’entreprise responsable »
que les grands groupes, notamment dans un secteur aussi sensible
que celui de l’industrie pétrolière, mettent des années à
construire. Cette stratégie de responsabilité assumée au départ de
la crise - elle évoluera par la suite - peut sembler évidente à
suivre pour toute entreprise habituée à communiquer sur sa
politique de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Pour
autant, elle reste souvent difficile à imposer en interne du fait
même des risques juridiques et financiers qu’une telle posture
peut entraîner au moment d’une crise. En France, le souvenir du
naufrage de l’Erika en 1999 est encore bien présent dans les
mémoires : aux yeux de l’opinion, TotalFina avait semblé se
dédouaner sur l’armateur et fuir ses responsabilités. La compagnie
pétrolière française avait en quelque sorte préféré jouer la carte
« du parapluie juridique » plutôt que préserver son image. Au
contraire, dans le cas de Deepwater Horizon, BP a su réagir
rapidement en adoptant les bonnes mesures de communication au
début de la crise. Tony Hayward assume, il veut démontrer que sa
compagnie prend les choses en main, il se rend sur le terrain.
Toute l’armada des premières actions de communication de crise est
déployée par la compagnie. L’entreprise communique régulièrement
par le biais de points presse organisés sur place et la diffusion
de nombreux communiqués. BP met en ligne un site Internet dédié
(www.deepwaterhorizonresponse.com) qui intègre de nombreux flux et
réseaux sociaux. Tous ces outils permettent une fluidité de la
communication de la compagnie et donnent l’apparence d’une
interactivité avec les internautes, voire d’une certaine
transparence dans l’information. Mais ce qui est réellement
remarquable est la capacité de mobilisation de BP sur le terrain.
Début mai, plus de 3 000 collaborateurs sont envoyés sur place et
des milliers de volontaires sont formés. La compagnie orchestre et
coordonne un immense travail de proximité. Sur place, BP répond
aux demandes des pêcheurs, tente de les rassurer et apporte des
informations sur les procédures administratives à engager. BP
occupe le terrain et devient le principal interlocuteur des
populations. BP souhaite ne laisser à personne l’opportunité
d’informer les populations en lieu et place des acteurs habituels
(autorités publiques, associations locales, ONG, etc.). La
compagnie se positionne ainsi comme une source d’information utile
et efficace auprès des personnes directement touchées. C’est
exactement ce qu’il faut faire pour essayer de limiter les
incertitudes de début de crise. Suivant cette volonté de maîtrise,
la compagnie tente même « d’encadrer » les milliers de reporters
présents sur place pour contenir la diffusion d’images fortes
comme celles d’oiseaux mazoutés agonisant sur les côtes. Toutes
ces actions menées très rapidement vont conduire à un étrange
constat au début de la marée noire : la relative neutralité des
pêcheurs locaux, premiers concernés par la catastrophe, à l’égard
de BP. Certes, l’industrie pétrolière est, avec la pêche, le
principal employeur de la région. Mais le facteur économique
n’explique pas tout. Le travail de proximité engagé par BP est
fondamental. Il est rendu possible par les relations que la
compagnie a su construire au fil des années avec l’industrie de la
pêche et les autorités locales. A l’évidence, tout était prêt dans
les « cartons » de BP pour gérer une telle situation. Malgré
l’ampleur du désastre, la situation semblait être gérée de manière
responsable. La compagnie a été si convaincante que même le
Président Obama a paru mesuré à l’égard de la compagnie au début
de la crise.
Une stratégie de réassurance trop risquée
Pourtant, cette maîtrise apparente dans la gestion de la crise
va très vite s’effriter. A la stratégie de communication «
responsable » de début de crise, BP associe un discours fort de
réassurance. La compagnie affirme que la situation sera maîtrisée
et minimise l’impact de la marée noire, « sans doute très, très
modeste » selon Tony Hayward. Alors qu’elle a agi en parfaite
cohérence avec les principes de communication, la compagnie prend
un risque énorme avec cette tactique de réassurance. En effet, en
situation de crise, l’entreprise ne peut pas se permettre de
spéculer sur l’avenir. Soit elle affirme que tout est maîtrisé
parce que les informations qu’elle possède le démontrent, soit les
informations et données qu’elle détient sont partielles (ce qui
est souvent le cas lors d’une crise) et elle doit opter pour une
communication plus prudente, s’appuyant uniquement sur les faits.
Le discours de l’entreprise est alors rythmé par les moyens mis en
œuvre face à la crise puis les progrès enregistrés lorsqu’ils sont
tangibles. Cette seconde option est certainement moins rassurante
mais elle préserve le peu de crédibilité qu’il reste encore à
l’entreprise. Cette approche évite les démentis et dédits futurs,
toujours catastrophiques en situation de crise. Dans le cas de BP,
au fur et à mesure des échecs successifs des tentatives de
colmatage de la fuite, la compagnie a commencé à perdre la
crédibilité qu’elle avait réussie à conserver depuis l’origine de
la crise. Les errements ou dissimulations sur le volume réel de la
fuite (BP annonçait une fuite équivalente à 1 000 barils par jour
fin avril alors qu’elle atteignait au moins 10 000 barils) n’ont
fait qu’accentuer ce sentiment de perte de contrôle face à la
crise
La gestion dans la durée
A partir du moment où aucune solution technique n’était
trouvée, BP s’engageait dans une crise longue qu’elle n’avait
certainement pas anticipée voire imaginée. C’est dans cette
incapacité à gérer autre chose que les premiers instants de la
crise que la communication de BP a vacillé avec une multiplication
de lourdes erreurs de communication. L’entreprise fait par exemple
le choix de lancer une campagne de spots TV pour expliquer son
action et démontrer son engagement au grand public. Cette campagne
est revenue comme un boomerang à la figure de BP lorsque le
Président Obama, fustigeant l’initiative, a déclaré que la
compagnie devait concentrer ses dépenses sur la résolution de la
crise plutôt que sur le financement de films publicitaires.
TotalFina, en lançant une opération similaire, avait subi le même
retour de bâton en 1999. En crise, le recours à une campagne
d’achat d’espace intervient souvent lorsque l’entreprise commence
à perdre pied, lorsque ses messages ne passent plus. Or, sauf cas
spécifique (par exemple informer les consommateurs sur un rappel
de produits), cette option est rarement efficace. Dans le meilleur
des cas, les messages sont annihilés par la réalité de la crise ;
dans le pire des cas, ils sont utilisés contre l’entreprise. Mais
les erreurs de communication de BP se sont surtout cristallisées à
travers son directeur général, surnommé le « gaffeur » par la
presse anglo-saxonne. Entre ses déclarations sur son envie, «
[lui] aussi, [de] retrouver sa vie d’avant » en réponse à une
question sur les victimes de l’explosion, son audition peu
appréciée au congrès américain où, contrairement à son attitude de
départ, il cède au réflexe du parapluie juridique, ou encore son
ubuesque participation à une luxueuse régate de yachts sur l’Ile
de Wight (GB) en pleine marée noire, Tony Hayward a accumulé les
bourdes. Toutes ces erreurs entraîneront son retrait dans la
gestion de la crise puis sa démission. Enfin, et c’est l’élément
le plus important, BP a totalement perdu la maîtrise de sa
communication face aux autorités américaines. De par l’ampleur de
la catastrophe, il est normal que Barack Obama prenne les choses
en main et démontre aux Américains son implication. Le spectre de
la mauvaise gestion de Katrina est dans toutes les mémoires. Mais
l’incapacité de BP à créer de la confiance et à conserver sa
crédibilité face à la marée noire ont précipité une quasi « mise
sous tutelle » de sa communication et de la gestion des opérations
par les autorités américaines. Dès que BP entreprend une action,
la compagnie semble être contrainte par des ordres venus de la
Maison Blanche au lieu de fonctionner sur un mode collaboratif
comme elle aurait pu l’espérer.
Le fonds d’indemnisation de 20 milliards de dollars débloqué
par BP, au lieu d’apparaître comme un geste salutaire de la part
de la compagnie, est perçu comme un désaveu de sa gestion de la
crise par l’administration américaine et une victoire personnelle
de Barack Obama. De manière plus anodine, le site internet
www.deepwaterhorizonresponse.com sera « transféré » sur le nouveau
site mis en place par les autorités américaines :
www.restorethegulf.gov. Tout ce que BP avait réussi à préserver en
termes de réputation au départ de la crise, grâce notamment au
travail mené depuis de nombreuses années avec les populations
locales, a été perdu après quelques semaines d’exposition. Les
ingénieurs de BP n’avaient sûrement pas imaginé être confrontés à
de telles difficultés techniques et cela a complètement déréglé la
mécanique bien huilée de la communication de crise de BP. Devant
l’ampleur de la marée noire, il est évident que BP ne pouvait pas
espérer voir sa réputation sortir indemne de cette catastrophe.
Passés les premiers moments de la crise, la communication de BP
s’est retrouvée en décalage avec le positionnement d’entreprise
responsable qu’elle s’était construit depuis une dizaine d’années.
Bob Dudley, le nouveau directeur général de BP, a devant lui un
long travail de reconstruction à mener, notamment aux Etats-Unis,
pour retrouver le niveau de crédibilité dont bénéficiait
l’entreprise avant la marée noire et redonner corps à son
identité: BP, « Beyond the Petroleum ».
Au-delà de BP
L’une des principales difficultés pour BP a été de gérer son
exposition médiatique et sa communication dans la durée. Cette
situation d’hyper exposition sur un temps relativement long
est-elle rare ? Est-elle spécifique à BP et à l’épisode du
colmatage de la fuite ? Je ne crois pas. Ces situations sont
certainement vouées à se multiplier. Comme nous l’avions souligné
dans l’accident d’Air France du vol AF 447 Rio-Paris , les
entreprises confrontées à une situation de crise doivent faire
face à une multitude de contradicteurs, d’experts, d’informations
internes rendues publiques notamment par le biais d’Internet.
Toutes ces informations nourrissent constamment la polémique avec
de nouveaux fronts d’incendie (pour BP, il s’agit par exemple de
la controverse sur la faiblesse de son manuel de crise, sur les
photos de la marée noire retouchées sur son site …). Le fait
qu’une entreprise en situation de crise concentre toutes les
attentions et les suspicions n’est pas un phénomène récent. Ce qui
est nouveau, c’est la facilité avec laquelle ces questionnements
peuvent être portés à la connaissance du plus grand nombre, et
plus seulement par les journalistes. Ce constat peut valoir
également pour les institutions. Dans le cas de la campagne de
vaccination de la grippe A (H1N1), les pouvoirs publics français
ont cru qu’il suffisait de dire « faites-vous vacciner, c’est
nécessaire pour votre santé et celle de vos proches » pour
effectivement convaincre les Français de le faire. Or les
autorités ont dû gérer un nombre important d’opposants qui ont su
facilement relayer leurs prises de position auprès de l’opinion
grâce au web. Dans sa stratégie de communication, le gouvernement
avait sous-estimé l’influence de ces émetteurs et du levier
Internet ?
Communication d’entreprise : court terme
versus long terme ?
Nous sommes en train de vivre une évolution majeure dans nos
modes de communication, celle de l’instantanéité. Instantanéité de
l’information, instantanéité du débat, de la diffusion des idées
et de leur circulation. Dans ce contexte, la tentation est grande
pour la communication d’entreprise de concentrer ses efforts sur
la gestion du très court terme comme cela est généralement le cas
pour la communication de crise. Notre conviction est que face à
l’instantanéité de nos modes de communication, il faut
paradoxalement que l’entreprise soit capable de communiquer dans
la durée. Le débat permanent qui existe aujourd’hui doit plutôt
orienter la communication d’entreprise dans une longue démarche
d’explication et de conviction avec tous ses publics clés. En
termes de stratégie de communication, cela implique surtout en
amont d’avoir su tisser et nourrir des relations avec toutes les
parties prenantes de l’entreprise pour mieux les identifier, mieux
les connaître et être en mesure de dialoguer de façon continue
avec elles en cas de situation sensible notamment. Il s’agit donc
d’engager une vraie stratégie de RP au sens anglo-saxon et non pas
tout miser sur un discours corporate véhiculé essentiellement par
des campagnes de publicité. Enfin, revenons à ce qu’il y a
d’essentiel pour une entreprise : son capital humain. En suivant
la pression du court terme et de l’instantanéité, les entreprises
ont oublié depuis quelques années d’intégrer dans leur
communication la notion capitale de vision et de projet. Il est
frappant de constater qu’aujourd’hui les salariés semblent
perplexes face à l’avenir de leur entreprise. Selon un sondage
Ifop/Le Monde datant du 7 juin 2010, 51 % des salariés des grandes
entreprises ne comprennent ni n’adhèrent à la stratégie de leur
entreprise ! Au cours d’un récent colloque, le directeur de la
communication d’une des plus grandes entreprises françaises
confirmait ce constat en déclarant que 40 % des salariés ne
savaient pas vers où se dirigeait l’entreprise au cours des
prochaines années !!! Ce taux considérable s’explique certainement
par l’orientation de la communication institutionnelle/coporate de
ces dernières années : l’entreprise s’organise pour répondre aux
questionnements permanents, aux défis constants de la concurrence
mais oublie de défendre sa vision, celle qui dépasse la simple
gestion des projets de court terme.
Qu’elle soit de crise ou institutionnelle, la communication
d’entreprise devrait davantage intégrer le long terme dans ses
stratégies afin justement de préserver tout ce qu’elle essaie de
construire en termes de réputation et d’image.
Hédi Hichri
Directeur Conseil Fleishman-Hillard France Hedi.hichri@fleishman.com
Le paradoxe BP - 8 pages (pdf)
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