Crises et entreprises : toute une histoire !
Catherine Malaval, docteur en histoire
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article
- « Une thèse sur quoi? »
- « Sur rien… Les chevaliers paysans de l’an Mil au lac de
Paladru ».
- « Excuse-moi, il y a des gens que ça intéresse? ».
- « Non, personne ».
Cet échange culte entre Agnès Jaoui, l’intello, doctorante en
histoire médiévale, et Jean-Paul Bacri, dans le film d’Alain
Resnais, On connaît la chanson, amuse parce que, caricature, c’est
du Bacri-Jaoui bien bourru. Et pourtant. L’histoire, pour quoi
faire? Enseigner ou chercher : encore aujourd’hui il est difficile
d’imaginer une troisième voie qui ne soit autre que transmission
des savoirs ou réflexion académique. Par nature celui qui « n’est
d’aucun temps, ni d’aucun pays » selon la formule de Fénelon,
l’historien se fait donc rare hors de ses terres d’élection, dans
les entreprises particulièrement. Dès les années 1960,
sociologues, philosophes ou économistes les ont investies. On se
souvient de Sartre juché sur un énorme bidon pour haranguer les
ouvriers de Renault. Les historiens, beaucoup moins. Et pour
cause, la reconnaissance universitaire de l’histoire du temps
présent est récente. Historiens et entreprises se fréquentent
depuis un peu plus de trente ans seulement, et encore se sont-ils
longtemps seulement intéressé aux entreprises publiques ou issues
des grands secteurs des transports et de l’énergie. Que
faites-vous là, m’ont souvent demandé les postiers, au cours des
six années que j’ai passées à les observer (La Poste au pied de la
lettre, Fayard, 2010)? Sans se sentir eux-mêmes objets d’étude,
presque désolés que je passe ainsi mon temps, de leur point de
vue, inutilement. Il y avait tant à écrire du passé de La Poste,
pourquoi s’intéresser à ces années présentes, si infimes à
l’échelle d‘une entreprise née sous Louis XI? Tant à écrire sur
les mythologies postales, l’aéropostale, le facteur, les lettres,
les grands mouvements sociaux, le bureau de poste, pourquoi
s’intéresser au présent? Verdict : ce n’était pas de l’histoire.
Un jour toutefois, à force de me croiser ici et là, un dirigeant
s’interrogea : « lorsque nous devrons rendre des comptes, ce que
vous aurez noté sera opposable, vous serez la mémoire de ce qui
sera devenu notre passé. » La conscience de la mondialisation et
la crise économique, les enjeux de refondation et d’après-crise,
auraient pu changer la nature des « utilités » des historiens
auprès des entreprises, au moins par quête de sens du côté de
leurs enseignements. Doux rêve.
Un vieux débat : à quoi sert l’histoire pour une entreprise?
Depuis quelques années, l’apport des sciences humaines est
pourtant loué régulièrement, ne serait-ce que pour nourrir des
notions nouvelles pour les entreprises (la gouvernance, l’éthique,
le développement responsable, etc.), ne serait-ce parce que
celles-ci doivent désormais publier des informations prouvant
qu’elles assurent leur durabilité (part consacrée à la recherche,
aux investissements, stratégies d’innovation, etc.). Durabilité :
voilà une notion historique par excellence! Et bien, non,
l’histoire n’y a pas partie liée. L’économie de la connaissance
fut aussi au cœur de la stratégie de Lisbonne. Connaissance : là
aussi, une notion historique. Toujours non. Constatons-le enfin,
nombreux sont les grands dirigeants d’entreprise, publicitaires ou
conseils en management heureux d’aller converser avec des
historiens ou des philosophes à Davos, à la cité de la Réussite,
dans les amphis chargés d’histoire de la Sorbonne. O temps suspend
ton vol ! Mais le lundi, quand revient le temps des affaires…
Comme le lundi au soleil, le lundi avec un historien, c’est une
chose qu’on ne verra jamais. Une folie. Le lundi, c’est « business
as usual »! « Papa, explique moi donc à quoi sert l’histoire ?»
interpellai Marc Bloch, fondateur de la chaire d’histoire
économique et sociale de la Sorbonne, en introduction de son
Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien. A quoi peut
bien servir l’histoire pour des entreprises par nature tournées
vers le futur et la croissance? Les questionnements de l’histoire
peuvent-ils être utiles dans la compréhension d’une crise,
l’analyse d’une rupture identitaire ou d’un moment sensible? En
quoi la conscience du passé permet-elle de ne pas subir le présent
d’une crise (car, les historiens le savent, les crises finissent
toujours par passer…) et tout simplement d’agir avec la vision
profonde de l’expérience? Depuis que la business history existe en
France, ces questions reviennent sans cesse chez les historiens
qui peinent à se faire une place dans les entreprises, à
simplement consulter leurs archives, ou à prouver combien
l’histoire peut-être un outil de management et de réflexion au
service du présent. En octobre dernier, c’était l’un des sujets de
conférences organisées par la revue Tracés autour du thème «
sciences sociales et mondes de l’entreprise », plus récemment un
sujet partagé au sein de l’Association des professionnels en
sociologie de l’entreprise. Les mêmes questions étaient déjà
posées il y a vingt ans à sa création dans la revue Entreprise et
Histoire.
L’histoire, un double sujet de communication sensible
Du côté des entreprises, l’accueil de l’histoire est modeste et
nourri de mille et un a priori. Le besoin d’histoire, limité, est
aussi mal cerné, sans doute aussi par faible prosélytisme des
historiens eux-mêmes, qui moins que d’autres, ont pensé à faire le
marketing de leurs savoirs et de leurs méthodes (capacité à
hiérarchiser des faits, caractérisation des identités, mise en
perspective du présent dans le temps long historique, etc.). Ce
fut le talent de Jacques Marseille d’y parvenir, mêlant histoire
et économie, interpellation de l’opinion publique sur de grands
sujets d’économie (l’argent, le travail, etc.) et recherches
historiques en entreprises (L‘Oréal, Wendel, etc.). Commémoration,
célébration d’un anniversaire par l’édition d’un livre pourquoi
pas, tant qu’il s’agit d’épopées et de « success stories » à même
de fédérer les salariés autour de valeurs communes, définir les
fondamentaux d’une culture d’entreprise et rassurer sur sa
pérennité par son inscription dans le temps et dans l‘espace. «
Sans verser dans la nostalgie » recommandent souvent les
commanditaires. Nostalgie : du grec nostos, retour, et algos,
douleur. Comme le cholestérol, il y a bonne et mauvaise nostalgie
pour l’entreprise ! Convocation de l’histoire pour écrire un
récit, voire réécrire (storytelling) une histoire à des fins
publicitaires, l’histoire d’un fondateur, d’un yaourt, d’un jean
ou d’un parfum, là, c’est d’accord. Voilà l’histoire et la
nostalgie « utiles », garantes de l’authenticité, de la paternité
commerciale, des traditions, de l’ancrage territorial, celle de la
Laitière, de la Mère Denis ou de Guy Degrenne à l’école! Ou effet
miroir historique qui transforme le consommateur en héros de
l’histoire, ainsi avec « La nouvelle Fiat, c’est aussi votre
histoire ». Dans tous ces cas, le goût de l’histoire n’est jamais
innocent. Il est constructif et profitable. L’histoire nourrit la
culture d’entreprise et apporte la touche de communication
sensible, au sens affectif et émotionnel du terme, le rétro qui
fait vendre. Le reste du temps, autrement dit, tout le temps, à
quoi bon regarder dans ce rétroviseur? Ainsi est souvent perçu
l’historien par les entreprises comme celui qui doit faire
l’inventaire des belles choses et non celui qui pourra « autopsier
» le présent (celui qui voit par soi-même), selon le projet de
Thucydide et des premiers historiens, non celui qui peut
interroger les échecs ou apprécier la vraie nature des crises :
passage ou rupture ? De la sorte, les entreprises associent plus
généralement l’écriture et la communication active de leur
histoire à une fête qu’à une crise ou à une communication
sensible. De même, dans le second sens de cet adjectif, les
narrations et les qualifications de la culture d’entreprise sont
le plus souvent positifs. Conquêtes et innovations se succèdent.
L’entreprise cherche à garder ses secrets de famille et, comme les
peuples, peine à reconnaître les moments sombres de son histoire
(collaboration, colonisation, échecs commerciaux, accidents
industriels, etc.). Elle préfère souvent l’omission, sans
comprendre que ce « passé qui ne passe pas » nourrit sa propre
construction historique. C’est toute la difficulté des relations
entre historiens et entreprises, par éthique, ne pas passer outre
mais laisser aux entreprises le temps qu’ont pris aux peuples pour
accomplir leur devoir de mémoire, ni plus, ni moins. Nombre
d’historiens s’en détournent pour ces raisons. Puristes, ils
voudraient faire « œuvre historique » ou rien tandis que, vue de
l’entreprise, l’utilité de l’histoire est dans les lignes de
force, pas nécessairement dans la somme de faits. Et finalement,
la plupart peine à labourer le terrain hors des commémorations qui
ouvrent les portes de l‘entreprise aux historiens. Le temps
présent et le temps des crises révèlent pourtant bien de multiples
utilités de l’histoire, au moins parce que l’historien sait mettre
les faits à distance. Il leur donne une intelligibilité historique
qui vient souvent compléter le travail immédiat du journaliste, de
l’économiste ou du conseil en stratégie. Le temps nouveau de
l’information communautaire exige enfin plus de maturité ! Quelle
entreprise peut aujourd’hui prétendre être maîtresse de la
narration de son histoire ? Médias et réseaux sociaux veillent. Ce
qui était possible jusqu’au XXe siècle l’est de moins en moins. En
quelques clics, Internet garantit à l’opinion une mémoire
gigantesque et fouillée. Les crises d’entreprise ressurgissent à
l’envi, dix ans, vingt ans plus tard et plus, collent à l’image
comme le sparadrap du capitaine Haddock. Pas de droit à l’oubli.
Petit inventaire des « utilités » de l’histoire
En 2003, l’historien Olivier Dumoulin publiait un ouvrage
passionnant et très documenté : « Le rôle social de l’historien,
de la chaire au prétoire » (Editions Albin Michel). A la lumière
de plusieurs procès où les historiens avaient été appelés à la
barre comme « experts », il analysait les mutations de ce métier
et l’émergence de nouvelles responsabilités… Dans les industries
du luxe (joaillerie, parfumerie, haute couture, etc.), l’affaire
est entendue, le patrimoine a une valeur. Le patrimoine nourrit la
marque, il s’entretient et se régénère. Utilement en période de
crise, il réduit les temps et les dépenses de la création. Ainsi,
resurgit là la mode des années 1970, ailleurs un modèle de sac des
années 1920. Dans l’industrie, cette conscience est plus rare.
Face à leur patrimoine réel ou immatériel, nombre d’entreprises
sont souvent négligentes et le découvrent parfois trop tard, quand
la crise est là. L’épilogue de l’affaire Eiffage-Eiffel le
confirme assurément. Eiffage ne pourra plus utiliser le nom Eiffel
pour sa filiale de construction métallique, a décidé le tribunal
de grande instance de Bordeaux en janvier 2010. Ainsi résumé dans
plusieurs médias : « cette décision est d’autant plus difficile à
avaler pour Eiffage que c’est le groupe de BTP lui-même qui avait
assigné l’arrière-arrière-petit-fils du constructeur, Philippe
Coupérie-Eiffel, pour lui interdire d’utiliser des marques
comprenant le nom d’Eiffel. C’est un document historique produit
par les héritiers d’Eiffel qui a motivé la décision du tribunal.
Un procès-verbal de l’assemblée générale de la société anonyme
Compagnie des établissements Eiffel daté du 1er mars 1893.
Souhaitant rompre définitivement avec sa Compagnie, Gustave Eiffel
avait annoncé son retrait aux actionnaires. “Pour marquer de la
façon la plus manifeste que j’entends désormais rester absolument
étranger à la gestion des établissements qui portent mon nom, je
tiens expressément à ce que mon nom disparaisse de la désignation
de la société” est-t-il précisé dans ce procès-verbal. » Tel est
pris qui croyait prendre. En réalité, alors qu’elle est tout
l’inverse, pour exister dans un monde économique mobilisé par le
retour sur investissement, par les cycles courts et la rentabilité
immédiate, où la connaissance se volatilise d’une entreprise à
l’autre ou s’en va à la retraite, l’histoire doit faire la
démonstration de ses utilités. Pas seulement son utilité
opportune, commémorative ou publicitaire, mais comme dans
l’exemple d’Eiffage, la valeur de son utilité dans le temps
présent de la stratégie et du management des entreprises, dans la
connaissance experte des cycles de croissance, dans la définition
des valeurs qui fondent la réputation d’une entreprise, dans la
prise de décision, l’analyse des risques ou le décryptage des
mutations d’un environnement. Tout cela, elle le peut par temps
calme ou dans la tempête... quand le savoir-faire ingénieur qui a
fait la réputation de l’entreprise est mis en cause (Aéroports de
Paris et l’effondrement du terminal E, Total et l’usine AZF,
accident du Concorde), quand une entreprise découvre que ses
valeurs historiques et sa bonne image ne la protègent pas plus
longtemps qu’une autre lorsque survient une crise majeure (Le Zéro
défaut de Toyota face aux défaillances de ses pédales
d‘accélération, le modèle social de Danone face la crise LU),
quand le personnel perd ses repères (France Telecom et les
suicides parmi ses salariés) ou ne comprend pas une fusion avec
une entreprise dont les gènes historiques et culturels sont si
différents (l’entreprise publique française Arcelor et
l’entrepreneur privé indien Mittal, aussi étrange que naguère la
fusion de la vieille manufacture Saint-Gobain avec le fabricant
lorrain de tuyaux Pont-à-Mousson), quand tout le positionnement
d’un produit s’effondre (Perrier, qui communiquait sur l’eau pure
qui prend sa source dans les montagnes, et doit faire face la
crise du benzène), quand le marché historique prend un virage qui
nécessite de retrouver l‘âme pionnière (Total face à la fin des
énergies fossiles, Kodak face à la fin du film et l’avènement de
l‘imagerie numérique). Réputation, modèle, gènes, repères, image,
valeurs : là encore, toutes ces notions que les crises éveillent
ou révèlent avec brutalité sont par essence éminemment historiques
et démontrent pleinement le rôle de l’histoire dans la
compréhension des crises d’entreprise et des ruptures de marché.
D’aucuns diront qu’elles sont tout autant psychologiques et
sociologiques. Naturellement, car elles imposent souvent un rapide
apprentissage de soi à rebours, au cœur de l’indicible enfoui…
Quelles sont les leçons de l’histoire et de toutes ces histoires?
Une fois passée, la crise est parfois cathartique : Franck Riboud,
le patron de Danone, dit aujourd’hui qu’il a beaucoup appris de la
crise LU. En moins de dix ans, l’entreprise a redressé son image.
Tout en le nourrissant de ses gènes historiques (le double projet
économique et social d’Antoine Riboud), elle a complètement
renouvelé son discours autour de l‘alimentation et de la santé.
Personne morale, l’entreprise est un être sensible, les crises le
rappellent parfois trop tard.
L’histoire pour entrer dans une nouvelle histoire
Il est enfin d’autres moments où l’entreprise a vitalement
besoin d’histoire, des moments sans symptômes médiatiques et
paroxystiques, mais marqués par des « signaux faibles » et une
sensibilité nouvelle au présent. Des moments où les dirigeants ont
soudain l’intime conviction que leurs décisions stratégiques ont
une historicité forte ou que, plus que les précédentes, elles
devront avoir une intelligibilité historique pour que le
changement qu’elles impliquent soit accepté et ne se transforme
pas en « grand soir ». A l‘histoire de rassembler les faits,
d‘aller puiser aux sources de la permanence historique, d’inscrire
le changement dans la durée et finalement d‘apporter les preuves
que tout change mais que rien ne change. C’est dans les années
1990, EDF qui demanda à deux historiens de retracer l’histoire de
la décision dans l‘entreprise publique. Décrypté par l’un d’eux,
l’objectif était, dans le contexte de la contestation
anti-nucléaire des années 1980, de montrer qu’en allant vers le
nucléaire, EDF ne rompait pas le lien qu’elle entretenait avec la
Nation depuis la Libération. Ce fut encore Zodiac qui profita de
son centenaire, en 1996, pour retrouver ses origines aéronautiques
alors qu’elle se relançait sur ce marché. De mémoire d’homme, la
plupart des salariés n’avait connu que la grande saga du bateau
pneumatique. Jamais l’histoire n’avait été écrite, personne ne
savait même, comme je le découvris par la suite dans les Archives
de Paris, que la société ne s’appelait pas Zodiac à ses origines.
C’est dire le peu d’intérêt porté alors au passé par une
entreprise toujours tournée vers sa croissance sur de nouveaux
marchés. A l’époque, les dirigeants ne me le dirent pas en ces
termes - la quête d’histoire est souvent feutrée quand elle
cherche à inscrire une stratégie dans son historicité, mais il
s‘agissait bien de dénouer les fils d’une histoire faite d’allers
et retours sur le marché du gonflable, des premiers ballons
dirigeables aux toboggans d’évacuation pour avions, de retrouver
la mémoire et la fierté d’un fondateur aérostier (Zodiac est allé
jusqu’à faire baptiser du nom de celui-ci, Maurice Mallet, la rue
où se situe aujourd’hui son siège social) et sans doute de rendre
moins émotionnel le retrait progressif de l’entreprise du marché
du nautisme. Zodiac est finalement devenue Zodiac Aérospace en
2008. La branche nautique a été entièrement vendue. Depuis 2004,
les dirigeants de La Poste mènent une démarche en bien des points
semblable, réussissant peu à peu à faire passer l’entreprise
publique d’un régime d’historicité à un autre, selon l’expression
de François Hartog (Régimes d’historicité, présentisme et
expériences du temps, 2003), d’une forme de passé (l’ancien, le
révolu) à une formelle nouvelle de rapport au temps, où le passé
n’est plus ni un guide pour le présent, ni la trajectoire du
progrès. Comment faire comprendre les enjeux de la transformation
d’une entreprise publique qui s‘est toujours vécue immortelle?
Comment montrer que le changement est bien réel alors que, par
expérience, pour éviter toute crise, rien ne doit avoir
l’envergure historique d’un grand projet national? Et pourtant
s’attaquer à des symboles (casser les logiques départementales,
devenir une banque, etc.). Pour cela, année après année, La Poste
a déployé quantité d’outils de communication et d’animation du
changement, écrivant le « feuilleton » d’un changement historique,
partout sur le territoire. Elle a créé des moments d’histoire («
ateliers d’appropriation du sens », premières pierres,
inaugurations, célébrations à « 500 jours », etc.) qui ont rendu
inéluctables le retour en arrière et signifié le passage dans une
autre époque. Selon l’expression de ses dirigeants, elle a voulu
éviter « le grand soir et les lendemains qui chantent » en
imaginant des « petits matins ». Assez rare pour être souligné,
elle a aussi acceptée d’être regardée en temps réel, même pendant
les moments les plus difficiles : un conflit à Marseille, la
séquestration de patrons à Bordeaux, du retard dans les projets,
des surcoûts immobiliers, la mise en œuvre difficile de nouvelles
technologies, etc. Fréquentes chez les sociologues (on se souvient
aussi des travaux de l‘Ecole des Mines sur la future Twingo), ces
expériences sont rares pour les historiens. Elles sont pourtant
utiles pour l‘entreprise. « Rien ne se fera sans les postiers »
disent les dirigeants de La Poste. De fait, un regard extérieur
porté sur le changement peut avoir plus de force et de crédibilité
pour les salariés eux-mêmes. Cette expérience « embedded » peut
être critiquée. Pendant ces années auprès des postiers, tout ne
m’a pas été dit, la distance critique et consciente est parfois
difficile à trouver, comme la crainte est toujours là d’être
Fabrice à Waterloo. Rien ne permet pourtant d’être plus proche de
l’événement et de l‘histoire, dans son écoulement mais aussi sa
construction, de mesurer toute la complexité des faits et des
crises.
Catherine Malaval dirige les activités éditoriales d’une
agence de communica-tion et accompagne de grandes entreprises dans
leurs stratégies de change-ment. Elle est par ailleurs l’auteur
d’une dizaine d’ouvrages d’histoire d’entreprise dans les domaines
industriels, agro-alimentaires et bancaires (L’Alsacienne, Banques
populaires, Crédit Mutuel du Nord, EDF, Renault, Zo-diac, etc.).
Récemment, elle a publié La Bêtise économique (Perrin, 2008, en
collaboration avec Robert Zarader) et La Poste au pied de la
lettre, six ans d’enquête sur les mutations du courrier (Fayard,
2010). Avec Robert Zarader, elle anime un blog :
http//:labetiseeconomique.wordpress.com
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