Une nouvelle vision des relations publiques : "Slow
PR"
Par Thierry Libaert
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Parmi les évolutions majeures de la communication
organisationnelle figure l’extrême raccourcissement de la
temporalité des stratégies de communication. Là où les plans de
communication s’effectuaient sur des horizons de 3 à 5 ans, les
plans actuels se confondent avec les plans d’action annuels,
document purement budgétaire destiné à permettre l’allocation
financière des actions envisagées.
La stratégie se transforme en tactique, le plan de
communication devient un plan comptable, la réactivité devient le
maître mot et l’horizon temporel est souvent limité par les
annonces de résultats financiers semestriels, voire trimestriels
pour les entreprises anglo-saxonnes.
L’ultra court-termisme de la communication engendre
d’innombrables conséquences à tous les niveaux de l’activité du
responsable de communication.
L’impact immédiat s’effectue sur le communicant lui-même, il
est symptomatique que le premier terme utilisé en France par les
communicants pour caractériser leur métier soit celui de « stressé
». La situation est d’ailleurs universelle puisqu’au Royaume-Uni
où la question était posée en termes similaires aux agences de
communication et le terme arrivé en première place était « pompier
».
L’autre conséquence réside dans le zapping communicationnel.
Les campagnes publicitaires se suivent mais ne se ressemblent plus
et les changements de signatures institutionnelles s’accentuent.
L’explication tient dans le nouveau mode de pilotage de la
communication qui s’effectue par des tableaux de bord . Il suffit
qu’un indicateur d’image plonge et aussitôt le communicant tâchera
de redresser cet indicateur par une campagne adaptée. L’image «
Chaleur – sympathie - proximité, » a plongé et aussitôt une
campagne basée sur l’ouverture, la disponibilité, la convivialité
et la notion de service sera engagée. Quant à l’année suivante, si
l’item « Sens de l’innovation et solidité financière » a décru,
une nouvelle campagne sera effectuée, portant les efforts sur ces
thèmes.
Il est impossible pour une entreprise de convaincre de la
solidité et pérennité de son engagement dans le développement
durable lorsqu’elle change d’axe de communication tous les 18
mois. Il n’existe pas d’étude sur la stabilité des messages de
communication et la profondeur de l’engagement dans la démarche de
développement durable mais l’hypothèse d’une corrélation très
étroite apparaît probable.
Il existe un curieux paradoxe en étudiant la communication sur
le développement durable à constater que la communication vit dans
l’urgence permanente et le développement durable dans le temps
long des générations futures. A l’aune du développement durable,
la communication doit se réapproprier la perspective temporelle, à
l’exemple du mouvement relatif à nos modes de consommation
alimentaire Slow food. Né en Italie en 1989, celui-ci prône une
réhabilitation du plaisir alimentaire au détriment de la seule
obligation alimentaire tout en insistant sur les conséquences
majeures au niveau de la production des denrées. Créé en
Angleterre en 2004, le mouvement Slow design a pour finalité la
réappropriation de la qualité de l’aménagement intérieur en
privilégiant l’harmonie des matériaux et des couleurs au détriment
des produits manufacturés entreposés rapidement dans nos
habitations. L’objet slow est réalisé selon des techniques
traditionnelles, il est « conçu à base de matériaux recyclés, ou
encourageant le développement durable » .
Plus de cent ans après la naissance des relations publiques, il
serait opportun d’envisager la naissance d’un mouvement Slow PR
qui aurait pour objectif de proposer des stratégies de
communication basées sur les valeurs de développement durable à
savoir l’échange, le respect, la flexibilité des outils et la
stabilité des messages. Communication qui prendrait en compte ses
impacts à l’exemple d’une procédure classique de cycles de vie
d’un produit, à savoir depuis sa conception jusqu’à son
utilisation finale.
Cette conception des relations publiques dé-segmente les
processus de communication en les ouvrants de manière horizontale
et verticale. Horizontale car la communication considère
l’ensemble des cibles de ses messages et non seulement son noyau
central, et verticale car elle se situe dans une perspective
temporelle où le dispositif de création et de diffusion des
messages s’effectue sur le temps long. Cette vision Slow PR d’une
communication durable exerce son effet au plus profond de
l’activité communicationnelle dont elle interpelle les objectifs.
La communication d’entreprise ne vise plus à séduire et sa place
dans les baromètres de popularité devient secondaire. Elle se
situe dans une perspective davantage utilitariste au sens originel
du concept développé par J.S. Mill, puisque son utilité sociale
est prédominante. L’urgence de la communication organisationnelle
est incompatible avec une réelle communication éco responsable,
c’est-à-dire une communication qui ne s’attacherait pas seulement
à communiquer sur son éco responsabilité mais à considérer la
responsabilité sociale de la communication sous l’ensemble de ses
aspects, notamment sa temporalité.
Extrait de l’ouvrage « communication & Environnement, à
paraître à la rentrée prochaine aux PUF.
T.L
Thierry Libaert est Professeur en Sciences de l'information
et de la Communication. Université catholique de Louvain;
Directeur du Lasco (Laboratoire d'Analyse des Systèmes de
Communication d'Organisation)
Il est, entre autres, Directeur Scientifique de
l’Observatoire International des Crises.
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