Communication d’entreprise : Azincourt ou la transparence ?
Par Jean baptiste FAVATIER
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Une enquête que le cabinet vient de mener pour une groupe
industriel auprès d’acteurs locaux décisifs : préfets, élus,
organismes publics ; agences de l’eau…, associations, mais aussi
riverain et collaborateurs …conduit l’entreprise à faire de la
transparence le concept stratégique de sa communication globale ,
à court et moyen terme, au plan interne et externe, par temps
calme et temps de crise, au plan local, national et international.
Pourquoi, au-delà de ce groupe particulier et de ses enjeux, la
transparence est elle en passe de devenir à notre avis un levier
majeur d’innovation et de création de valeur pour les politiques
de communication, et non une réponse de circonstance à la «
Grenellisation » de l’action publique et privée ? Pourquoi, aussi,
nous semble-t-il que la bataille d’Azincourt de la communication
risque d’être perdue malgré les armures interactives et la mise en
communautés sociales des arbalétriers. Questions que nous
développons ici autour de cinq clefs de lecture, qui indiquent que
parfois, il ya loin entre l’idée qu’on s’en fait et ce
qu’attendent les acteurs de l’entreprises : collaborateurs,
actionnaires, clients, partenaires, institutions… : Pas de
définition préalable, on le verra, mais une philosophie de
l’action en communication, autour de clefs de réflexion, que
j’espère très concrètes
1. Face à la « métropolisation », la transparence devient le
concept d’action créatif de la communication :
La communication des organisations connaît aujourd’hui une
situation de « métropolisation » très forte. Cette situation se
caractérise par une nécessité d’agir au cas par cas, au plus près
des personnes ou communautés de personnes, multiples et aux
motivations très différentes voir divergentes.
Cette communication se caractérise par la capacité à se faire
entendre dans des contextes bruyants, paradoxaux ou de tensions;
satisfaction vs insatisfaction – usages contre usages - ressources
contre ressources, valeurs contre valeurs….. Positives ou
conflictuelles. Elle repose sur des techniques ajustées, à fort
niveau relationnel et capable de faire vivre autant une structure
sociale de l’entreprise ou de l’institution, qu’une gamme ou des
produits. Elle interroge les modèles « one best way »
émetteurs-récepteurs placés sur la force de conviction , ouvrant
la voie d’ une communication caméléon, « au milieu des personnes
et des groupes» dont la vocation première est l’écoute et, parfois
préalablement, la régulation des pressions. Abolissant les «
vieilles » distinctions : temps calme/crise, interne/externe….elle
amène aujourd’hui à redéfinir les objectifs de la communication.
On en connaît les causes, multiples : tertiarisation des offres et
des attentes, défiance vis-à-vis des statuts trop puissants et des
politiques trop globales, évolution de la démographie des clients
et partenaires, impact de la net communication, interpellation sur
l’impact environnemental, perte d’identité… On en mesure les
effets : - Du côté des récepteurs : fatigue et défiance vis-à-vis
des discours institutionnels, répulsion vis-à-vis d’une
communication trop communicante « c’est de la com ! »,
multiplication d’espaces de communication sur l’organisation,
notamment sur le net, qui lui échappent et qui sont plus puissants
qu’elles…. - Du côté de émetteurs : difficulté à rester visible et
lisible en couvrant de manière cohérente tous les sujets
nécessaires, performance limitée des indicateurs d’image et de
notoriété, limite relationnelle des réponses médias et messages
dits « affinitaires », incapacité fonctionnelle à faire une
communication par acteur, difficulté à Grenelliser des sujets
complexes sans accroître les insatisfaction… Et la nécessité de
trouver non de nouveaux médias, mais une nouvelle doctrine
opérative de communication. C’est ce que j’appellerai le syndrome
d’AZINCOURT ; des moyens forts, une doctrine frontale classique
n’excluant pas des segmentations, un terrain complexe et à priori
défavorable, des acteurs cibles souples, réactifs, très
relationnels…. Et, au final, la victoire de la posture sur le
contenu. Tout l’enjeu de doctrine est là, pour l’entreprise et
l’institution ; réussir la posture par la communication, dans un
univers de développement qui privilégie de plus en plus la
relation, le statut, l’identité, la structure sociale de
l’émetteur et de son offre. Pour certains secteurs ;
administrations, entreprises se développant sur un modèle
d’économie de service, activités sensibles ou plan social ou
environnemental…l’enjeu est même vital. C’est maintenant que la
Transparence s’impose aujourd’hui comme le concept d’opération
créatif de la communication des organisations, appelé à renouveler
profondément les politiques de communication et d’action. Pourquoi
? D’abord, au plan stratégique, car elle est, ontologiquement, à
la fois la posture par excellence : la transparence c’est « être
transparent » (on fait des machines/ on a des produits ou des
services/on est transparent). On est au cœur de ce qui fonde la
relation à l’autre : trans - parere = laisser passer à travers, et
par la preuve ; sur le même registre que le « il n’y a pas
d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » de Paul Valéry. C’est
ainsi le meilleur registre pour légitimer un discours de relation
à l’autre. Ensuite car, au plan opérationnel, elle offre une
posture de l’action forte ; - Légitime et universelle : qui parle
à tous et est attendue par tous ; clients, actionnaires,
collaborateurs, partenaires, autorités… - Cohérente : capable de
fournir à une entreprise une base communicante, valable pour
toutes les dimensions de sa communication : commerciales,
financières, humaines - Globale : susceptible de fonctionner de
manière asymétrique auprès d’acteurs ayant des intérêts très
divergents. Il ne s’agit pas de financiariser toute la
communication de l’entreprise, car après tout c’est sur la terrain
de la financer que le concept de transparence est le plus fort et
organisé, mais bien de situer en quoi aujourd’hui il s’affirme
comme doctrine 360° d’emploi de la communication. Précisons que la
transparence interne ne peut être qu’un concept de communication
externe, car c’est aussi une réalité pour les collaborateurs, au
cœur de la question de la place de l’homme dans l’entreprise, en
crise aujourd’hui autour de la question du lien et de la solitude
au poste de travail. Nous sommes frappés de voire monter, pour
toutes les fonctions de l’entreprise, et dans toutes les cultures
internes, une attente forte de transparence managériale, souvent
portée par le sentiment que « la direction ne nous dit pas la
vérité ». Les politiques de communication interne ont bien
progressées comme support de travail aux collaborateurs, elles
restent souvent très en retrait pour ce qui concerne la capacité à
créer le sentiment de transparence. Back to Azincourt : on imagine
le discours du roi à ses troupes « je compte sur vous mais je sais
que je peux avoir confiance, rien ne se fera sans l’effort de
tous, tout est dans le Kit de com ». On en connaît les limites…
2. Dans bien des cas, la transparence n’est plus un choix,
légalement obligatoire, elle devient de plus en plus norme sociale
:
La transparence n’est pas l’apanage de sociétés cotées :
un corps légal, européen et français, très ouvert, crée un
véritable droit à l’information : Convention d’AARUS du 25 juin
1998 et directive du 28 janvier 2003 sur l’accès à l’information
en matière d’environnement, Art 7 Constitution française, Loi
Grenelle…qui aujourd’hui est, et sera de plus en plus, actionné
par les associations et les citoyens. Les définitions normatives
de la transparence sont suffisamment larges, tant du point vu de
l’information que de la notion d’environnement, pour n’exclure
aucune activité, aucun secteur, aucune partie civile. .. Le modèle
de référence est, à ce point de vue le modèle nucléaire, dont on
dit qu’il est le seul encore à bénéficier d’une loi sur la
transparence, alors que depuis bien longtemps une crise dans tout
secteur en bourse, nucléaire ou pas, à des conséquences
financières ou commerciales (achat/vente sur les marchés mondiaux)
très rapides. Mais au-delà du cadre légal, la transparence
s’impose comme norme relationnelle et démocratique ; « nous sommes
notre capacité à être transparents les uns pour les autres, et
ceci autorise à nous concevoir encore comme collectivité » à
travers laquelle, de plus en plus, on évalue fonctionnellement la
capacité des dirigeants à dire la vérité et à créer du lien avec
les citoyen ou les collaborateurs. A ce titre ; elle est vitale,
souvent pour de plus en plus de secteurs, et toujours pour
l’action publique :Sont ainsi concernés en particuliers les
sensibles du point de vue de l’acceptabilité ( activités à enjeu
environnemental : industrie, déchets, …) , les secteurs côtés, les
secteurs à modèle économique de service, pour lesquels la relation
client est cœur de business et ceux dont l’activité est suivie par
les instances de contrôles , nationales ou locales. La
transparence offre ainsi au décideur un levier, pour rétablir la
relation, réguler les conflits d’usage, et, à terme, faire de la
crise une opportunité de mobilisation, ce que l’on n’arrive pas à
faire par la communication experte ou par l’injonction politique
ou managériale. Inexorablement, elle devient clef du goodwill et
facteur de différenciation des secteurs très concurrentiels.
3. Elle impose à l’information ses standards contemporains
de qualité, dans l’espace et du temps :
Il faut, préalablement tordre le cou au vieux débat tout dire ?
/ne pas tout dire ? Il n’a plus de sens aujourd’hui, et contribue
même à prendre les acteurs concernés pour des idiots. L’enquête
que nous avons mené indique très clairement que personne n’attend
de tout savoir de l’entreprise et que des espaces naturels secrets
; commerciaux, médicaux…sont identifiés et respectés. je ne parle
pas des prédateurs ou opposants qui utiliseront toujours la
transparence pour déverrouiller ces espaces et vis-à-vis desquels
la seule stratégie possible est celle du choc frontal transparence
contre transparence, argument contre argument. Le fait que les
acteurs n’attendent pas tout de l’émetteur ouvre un espace,
interrogé immédiatement par la question de ce qui produit la
transparence. Le public est consensuel sur le fait que pour être
transparent encore faut il être informer et que cela ne suffit
évidemment pas., Il est très clair sur ce qu’il attend :
- d’abord un sentiment : « la transparence, c’est le sentiment
que j’ai que l’on a voulu être transparent avec moi » disait l’un
des interviewés, très représentatif. On est bien sur le registre
de l’idéal à atteindre et des perceptions. La transparence est
donc d’abord une posture, que la communication construit en
indiquant que tous les moyens ont été mis en œuvre, par celui qui
s’en réclame. - ensuite des vertus , au nombre de quatre : la
fiabilité de l’information, sa clarté ( qui fait de la pédagogie
une vertu cardinale ) , l’indication dans le message des moyens
mis en œuvre ou des comportements attendus à l’issue de la
réception ( ce qui signe la fin de la communication uniquement
attitudinale et de récepteur au profit d’une communication
comportementale d’acteur ) , la réactivité de l’information aux
normes sociales actuelles , soit de 45’ à 1 heure que l’on soit en
crise ou par temps calme. - enfin et surtout : un Agenda de
communication : Il n’y a pas l’ombre d’une feuille de papier à
cigarette entre Comte Sponville et Madame Michu : être
transparent, comme le dit le sociologue, « c’est apprendre à
quelqu’un ce qu’il n’aimerait pas apprendre par quelqu’un d’autre
que vous. » Etre transparent, c’est donc choisir qui informer
avant qui, à partir d’une cartographie transparence capable de
créer un effet boule de neige jusqu’au dernier informé, en
limitant le risque relationnel Cette question de la paternité de
l’information, indispensable doit être tempérée aujourd’hui car
elle ne résiste pas toujours à la porosité des organisations du
point de vue de la communication et à la vitesse I-phone de
transmission des données. Etre acteur de sa propre communication
est un défi mais le monde peut attendre 45’. On voit en tous cas
combien la transparence modifie et enrichit les segmentations
marketing communication habituelles.
4. En situation de climats complexes et de conflits d’usage
forts, c’est la seule la réponse relationnelle capable de
construire l’acteur responsable :
La transparence est une des grandes novations, qui renvoie à la
capacité de la communication à construire la démocratie capable de
réguler les conflits, dans l’espace public ou dans l’entreprise.
Comme le dit un préfet « comment faire autorité ; auprès de
collaborateurs, de citoyens, de partenaires…. dans le contexte
actuel auprès d’acteurs soumis à l’information des très nombreux
experts, quand on occupe un statut dévalorisé d’émetteur :
autorité publique, dirigeant, politique….et lorsque toute décision
se heurte immédiatement à une foule de conflits d’usages ». On
observe que sur les thèmes importants, environnement,
emploi…..plus l’acteur est désinvesti d’une responsabilité qu’il
doit exercer, plus il exige la transparence par effet de
contrepartie ; « si je vous laisse faire, en cas de pépin je vous
demande une transparence maximale », avec d’un côté une volonté de
débattre, de l’autre ; un désengagement, d’un côté une
surinformation, de l’autre ; le sentiment que l’on cache des
choses. Tactiquement : la communication de la transparence est
donc une communication asymétrique, qui à la fois crédibilise
l’émetteur comme acteur de transparence sans l’engager trop, pour
construire le récepteur comme acteur à engager dans la sphère
commune. Stratégiquement : la communication de la transparence
crée un levier de régulation pour à faire de la crise une
opportunité de mobilisation, ce que l’on n’arrive pas à faire en
France, ni par la communication experte, ni par l’injonction
politique ou managériale.
5. « Local is beautiful » : la transparence est un concept
opérationnel qui se joue sur le terrain, en proximité :
Tous les acteurs interviewés le disent ; « on veut de
l’information locale,, et qui indique ce qu’il faut faire
concrètement ». Ils rejoignent ainsi Paul Valéry qui disait « il
n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » s’applique
intégralement à la transparence : il n’y a pas de transparence, il
n’ya que des preuves de transparence et ces preuves doivent se
faire là ou se construit aujourd’hui la motivation et l’identité,
c'est-à-dire dans l’environnement de travail du salarié ou dans le
territoire de vie du citoyen. C’est là ou l’information bien faite
en cas de crise ; information réactive du préfet, d’un élu, d’un
collaborateur….nourri fortement la transparence. C’est sans doute
la seule preuve de l’existence de la crise comme« opportunité ».
C’est aussi le moteur de la communication opérationnelle.
L’enquête que nous avons menée indique bien que pout tous les
acteurs, la transparence est un idéal vers le quel il faut tendre,
à condition de donner les signes de cette volonté. En guise de
commencement. Stratégie de marque « transparence », construction
de l’acteur responsable, conduite de politiques de communication
asymétrique, ultra réactivité du temps calme et régulation des
conflits d’usage , cartographie des privilégiés de l’ information,
démocratie…..la transparence fait rentrer la communication des
entreprises et des institutions dans une nouvelle dimension
stratégique, tactique et technique. Ce n’est pas un moyen mais un
objectif en tant que tel. Au-delà, elle devient de plus en plus le
concept de l’action publique et entrepreneuriale dans le contexte
social d’aujourd’hui, vers plus de cohésion et de concertation,
dans un idéal de vertu vers lequel il faut tendre.
JB FAVATIER, expert en développement sanitaire et social,
conseil de directions d’entreprises et d’institutions publiques,
enseignant à l’ENA et au Conservatoire des Arts et Métiers.
Jbfavatier@favatier-consultants.com
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