Avec l’accident du vol AF 447 Rio-Paris, Air France a été
confrontée à ce qui peut arriver de pire pour une compagnie
aérienne : perdre un avion avec son équipage et ses passagers.
Dans ce type d’évènement, la communication devient l’un des
piliers de la stratégie de gestion de crise. Elle doit à la fois
démontrer la capacité de l’entreprise à gérer une situation
exceptionnelle et l’aider à préserver la qualité de ses relations
auprès de tous ses publics. La moindre dissonance dans cette
communication peut déstabiliser toute l’entreprise et la rendre
plus que jamais vulnérable.
Air France semble confrontée à cette dernière situation. Elle
bénéficie pourtant d’une réputation exemplaire et a déjà dû faire
face à des accidents tragiques par le passé (Mont Saint-Odile,
1992 ; Concorde, 2000). A chaque fois elle a su traverser ces
périodes difficiles en gardant la maîtrise de sa communication.
Avec le vol AF 447 les choses sont différentes.
Avec toute l’humilité que cet exercice impose, essayons de
déterminer les facteurs propres à la compagnie et ceux
constitutifs des mécanismes de l’opinion qui rendent cette
première séquence de la crise si déstabilisante pour Air France.
La crise se gagne dès les premiers instants ? Plus tout à fait
… Air France bénéficie sans doute de l’un des dispositifs de
préparation à la gestion de crise les plus aboutis. De par la
nature de ses activités, il existe au sein de la compagnie une
véritable organisation dormante capable de se mettre en action
immédiatement selon les différents niveaux d’alertes. La compagnie
va le démontrer lors de l’annonce de la catastrophe.
Le 1er juin en milieu de matinée, lorsque le centre des
opérations techniques d’Air France comprend que le vol AF 447
n’arrivera jamais à destination, la compagnie applique son plan
d’actions pour faire face aux premières priorités : prendre en
charge les familles et diffuser les premières informations.
L’accueil des familles et des proches des passagers est
organisé dans le terminal T2 de CDG, à l’écart du public. Cette
mesure permet d’apporter aux familles et aux proches l’aide
psychologique nécessaire grâce à la présence d’une cellule
spécialisée, tout en les protégeant des caméras déjà sur place
pour saisir en images l’émotion de la tragédie. Des images qui
défileront en boucle sur toutes les chaînes d’information du
monde. Parallèlement, une autre cellule d’accompagnement est
ouverte pour le personnel navigant commercial, et un numéro vert
est mis en service pour toutes les personnes concernées par
l’accident.
C’est un travail colossal qui doit être accompli en très peu de
temps par la compagnie. Sans organisation préalable, sans
dispositif de gestion de crise, il lui aurait été impossible d’y
faire face. Prévenir les familles ou les ayants droits, alors que
la compagnie n’a souvent que les numéros de portable des
passagers, est une démarche longue et complexe. Cependant il faut
aller vite, tout en respectant un cadre légal très précis, pour
répondre aux besoins des familles, aux demandes des autorités, des
médias et des collaborateurs.
C’est le cas typique de la crise où l’entreprise est assiégée.
Elle est soumise à un flux exceptionnel de demandes venant d’une
multitude d’interlocuteurs alors même qu’elle doit rechercher,
trier et analyser ses propres informations pour comprendre ce
qu’il se passe. Il faut aller vite sans pour autant commettre la
moindre erreur dans les informations qui seront à délivrer sous
peine de se voir discrédité immédiatement.
Pour sa première prise de parole la compagnie organise une
conférence de presse le 1er juin à 13h00 à Roissy avec le
Directeur Général M. Pierre-Henri Gourgeon. Aucun autre
porte-parole n’est possible face à la dimension de la crise,
aucune autre solution que la conférence de presse ne peut être
envisagée.
C’est un exercice extrêmement difficile qu’endosse le Directeur
Général qui vient tout juste de prendre ses fonctions (janv.
2009). Malgré l’émotion et le traumatisme, malgré les innombrables
informations ou hypothèses qui ont dû être évoquées en cellule de
crise, il doit prendre la parole et adopter le ton juste : celui
de l’empathie et de la responsabilité.
Cette première prise de parole illustre, à ce stade, la
maîtrise de la communication de crise d’Air France. En faisant
part de la douleur de la compagnie, en ne communiquant que sur les
faits établis, en affirmant que tout sera fait pour connaître les
causes de l’accident, le Directeur Général suit exactement ce
qu’il convient de faire en pareille circonstance.
Le lendemain, l’un des tout premiers communiqués diffusés par
la compagnie concerne la mobilisation de ses 4000 salariés
volontaires, ceux qui se sont mis au service d’Air France pour
l’aider dans cette situation exceptionnelle. C’est une manière de
communiquer positivement en démontrant que toute la compagnie est
soudée et fait front. On se souvient par exemple que face « à la
tempête du siècle » en 1999, l’opinion avait salué la capacité
d’EDF à mobiliser toutes ses ressources, y compris ses retraités,
pour rétablir le plus rapidement possible l’électricité dans les
zones sinistrées. Quoi de plus fort comme preuve de solidarité que
de montrer des retraités revenus pour prêter main forte.
Avec cette première phase, nous sommes dans la droite ligne
d’une gestion qui correspond à l’image d’Air France :
responsabilité et proximité.
Savoir ou non enrayer les premiers moments d’une polémique
Si les premiers temps de la crise semblent être parfaitement
gérés, très vite le discours de la compagnie va être remis en
question sur ce qui fonde sa réputation : la sécurité et la
fiabilité. On est là dans la suite logique du déroulement d’une
crise.
La grande majorité des crises connaissent 3 phases : la phase
de l’émotion, la phase de la polémique et la phase rationnelle.
Tout l’enjeu pour l’entreprise est de pouvoir endiguer la
polémique afin que la petite boule de neige ne se transforme pas
en une avalanche destructrice. Schématiquement, plusieurs
alternatives s’offrent à une entreprise lorsqu’émerge une
controverse.
La première est de couper court à toute suspicion en y
répondant par des preuves. Par exemple, Air France a très vite mis
fin à la rumeur sur la vague de démissions massives de ses PNC
(hôtesses et stewards) suite à l’accident du vol AF 447,
information lancée par Le Parisien du 1er juillet 2009. La
compagnie a été réactive et à su démontrer, preuves à l’appui,
qu’il n’en était rien ; fin de l’épisode.
Seconde stratégie possible : reporter la responsabilité d’un
dysfonctionnement, d’un incident sur un tiers (fournisseurs,
pouvoirs publics, collaborateur isolé…). C’est en quelque sorte la
stratégie adoptée par la Société Générale en janvier 2008 avec son
trader Jérôme Kerviel. La crise n’est pas notre faute nous sommes
victimes d’une fraude. C’est une technique assez risquée mais qui
a permis à la Société Générale d’amortir quelque peu le choc de la
crise.
Enfin, troisième alternative, reconnaître immédiatement un
incident, sans chercher à le minimiser, et montrer que tout est
mis en œuvre pour le gérer. Cela implique une posture de
communication plus ouverte afin d’expliquer ce qui est fait au
cours de la crise. C’est la stratégie choisie en octobre 2005 par
Michel-Edouard Leclerc, lorsqu’une trentaine de clients, dont une
dizaine d’enfants, sont victimes d’une grave intoxication
alimentaire dans le Sud Ouest. Le problème vient des steaks hachés
de la marque repère du distributeur. M.E Leclerc va très vite
réagir et prendre de front la situation sans chercher à reporter
la responsabilité sur son fournisseur, Soviba. Via son blog, De
quoi je me M.E.L, il explique quasi quotidiennement l’ensemble des
actions mises en œuvre pour prévenir tous ses consommateurs. Le
soir même de la décision de retirer le produit des étalages, 90%
des clients avaient été contactés par Leclerc.
Cette troisième option, toujours difficile à accepter pour une
direction, est pourtant souvent salvatrice. En effet, si l’opinion
est prête à accepter qu’une erreur soit commise au sein d’une
organisation, elle ne tolèrera jamais que l’entreprise ne sache
pas y faire face ou qu’elle essaie de dissimuler la réalité.
Lorsque que l’entreprise louvoie entre ces stratégies, elle
prête le flan à la polémique et sa communication devient
incohérente. Or en situation de crise toute incohérence est
immédiatement sanctionnée. Le fait d’être au centre de toutes les
attentions rend dangereuse la plus petite dissonance. C’est ce que
l’on va observer dans le cas d’Air France.
Dissonance
La polémique naît des circonstances de l’accident. C’est
évidemment le nerf de la guerre. Pour une compagnie aérienne et
les autorités de tutelle, l’intérêt est de protéger et de
maîtriser au mieux les informations sur l’enquête. Cette dernière
doit se faire sereinement afin d’éviter les fausses pistes, les
rumeurs extravagantes propres à déstabiliser la compagnie, le
constructeur et les autorités. Air France a toujours réussi à le
faire auparavant. Il est vrai également que par le passé (Mont
Saint-Odile, Concorde) les accidents ont eu lieu sur le sol
français ce qui a facilité la maîtrise des informations liées à
l’enquête.
Dans le cas de l’accident du vol AF 447, apparaît très vite la
problématique sur les sondes Pitot. La crise trouve par ce biais
un interstice dans lequel elle va s’engouffrer. Les médias et les
nombreux sites spécialisés, alimentés notamment par des pilotes
retraités ou en exercice, révèlent très vite qu’en 2008 plusieurs
incidents liés aux sondes Pitot ont produit les mêmes messages
ACARS qui ont précédé le crash du vol AF 447.
Certains syndicats de pilotes, relayés par les médias,
demandent alors pourquoi rien n’a été fait par la compagnie pour
que soit trouvée une solution aux problèmes liés aux sondes Pitot
dès 2008. Cette question trouve d’autant plus d’échos qu’Air
France souffre de la comparaison avec Air Caraïbes qui, face à un
incident sur un vol en 2008 impliquant le même type de sondes
Pitot, a fait le choix de remplacer immédiatement ses sondes par
un modèle plus récent. Ce que n’a pas fait Air France. La
compagnie a suivi les recommandations d’Airbus qui face aux
problèmes signalés indiquait tout d’abord à Air France que changer
les sondes avec un modèle plus récent ne servirait à rien.
Ce non-remplacement ou remplacement tardif – même s’il peut se
justifier sur le plan technique et sur celui de la réglementation
– apparaît en totale dissonance avec l’image de l’entreprise : une
compagnie extrêmement sûre et fiable. Ce décalage de perception,
la compagnie n’est pas arrivée à le combler. On sent par exemple
le malaise et la difficulté d’explication du PDG d’Air France sur
le plateau du 20h de France 2 le 11 juin 2009.
Les arguments de la compagnie pour expliquer le
non-remplacement immédiat des sondes Pitot deviennent inaudibles
face au discours des pilotes et face à la perception d’un principe
de précaution à géométrie variable. En effet, si la réalité est
toujours plus complexe que ce que l’on peut en percevoir de
l’extérieur, l’opinion est aujourd’hui conditionnée par le
principe de précaution. Il est devenu une norme pour l’opinion,
puisque depuis des années il est mis en avant par les entreprises
ou les pouvoirs publics en matière de prévention des risques, de
politique de santé publique etc.
Dans le cas des sondes Pitot, et quelle que soit la réalité, il
est difficilement concevable pour le grand public que le sacro
saint « principe de précaution » ne soit pas appliqué dès lors que
de mauvais signes avant-coureurs apparaissent. Enfin, face aux
explications de la compagnie quoi de plus crédible aux yeux de
l’opinion que la prise de position des pilotes au sujet de la
sécurité des avions ? Le public a naturellement tendance à faire
davantage confiance à ceux qui sont aux commandes des avions qu’au
Directeur Général.
De l’ère de l’information continue à celle du débat
permanent et multiforme
Que nous apprend cette phase de polémique en matière de gestion
et de communication de crise ? Au milieu des années 80, les
entreprises ont dû apprendre à gérer l’arrivée des chaînes
d’information continue comme France Info, CNN… Une révolution
capitale pour les entreprises qui découvrent en situation de crise
que leur problématique tourne en boucle toute la journée sur les
radios et les chaînes télévisées. Elles doivent dorénavant
accepter d’apprendre en même temps que le vulgum pecus qu’un
accident est arrivé sur un de leur site et découvrir horrifiées
avec le téléspectateur les images de la catastrophe. Des
situations terribles que les entreprises savent maintenant
appréhender.
Mais aujourd’hui on passe de l’ère de l’information continue à
celle du débat permanent et multiforme. Le débat a toujours existé
pour une entreprise, mais l’émergence du web 2.0 a cette capacité
de l’accélérer et de le démultiplier. Chaque expert, chaque
journaliste ou chaque simple citoyen peut faire émerger des
questions, ses opinions, les faire circuler massivement et
remettre en cause la thèse de l’entreprise ou celle des pouvoirs
publics. C’est en quelque sorte le débat pour tous et par tous.
Sur les sondes Pitot, Air France est confrontée au flux
d’informations et aux contre-analyses menées par de nombreux sites
spécialisés comme www.eurocockptit.fr, www.radiocockpict.fr…
Certains médias tel www .lefigaro.fr organisent des forums dédiés.
Tout le monde peut apporter des commentaires, élaborer ses propres
hypothèses sur l’accident, etc. Face à cette multitude de
contre-information et aux nombreux documents internes à Air France
circulant sur le web et dans la presse, la réponse de l’entreprise
doit être cohérente et sûre sans quoi il lui est impossible de
tenir son discours et de convaincre. Ce qui n’a pas toujours été
le cas.
Communication interne, communication interne, communication
interne
En situation de crise, les décideurs sont souvent polarisés par
la pression extérieure. En cellule de crise, on redoute plus que
tout la pression médiatique et la prise de parole devant les
caméras, ce qui est légitime. Pourtant, la pression de l’interne
doit être considérée avec autant d’attention sinon plus que celle
exercée par l’externe.
Sous le feu des projecteurs, le top management doit prouver à
ses partenaires extérieurs et à ses collaborateurs qu’il est
maître de la situation. Soit il y parvient et la crise peut
devenir une opportunité en confortant les dirigeants dans leur
rôle (hors mise en cause particulière), soit il balbutie dans sa
gestion de la crise avec un risque de remise en cause immédiat. On
arrive dans le schéma de déstabilisation extrême.
Mais pendant une crise, la confiance que les collaborateurs ont
en leur direction dépend avant tout et comme avec les médias, de
la qualité des relations qu’elle aura construites avec eux. Plus
ces relations seront bonnes, plus la direction pourra espérer
avoir le soutien des collaborateurs pendant la crise, et
inversement.
C’est peut être ce qui arrive au sein d’Air France. La pression
des différents syndicats de pilotes, à travers leur communication,
est avant tout un enjeu de sécurité, mais reflète aussi une
question de pouvoir et de rapport de force au sein de
l’entreprise. C’est le propre des crises que de faire remonter à
la surface tous les antagonismes, même très anciens (issus par
exemple d’une ancienne fusion/acquisition), existant au sein d’une
entreprise. Et c’est peut être ce que révèle aussi en termes de
communication la crise que connaît Air France.
La communication interne de la compagnie va devoir relever un
défi immense. En moins de 10 ans Air France a connu deux terribles
accidents (Concorde, AF 447). Cela marque profondément la
compagnie, au travers notamment des collaborateurs qui ont perdu
des amis et des collègues dans ces accidents.
Mais au-delà du traumatisme, les collaborateurs sont confrontés
à un changement total de perception. Ils passent en quelques
années du sentiment de fierté d’appartenir à une compagnie parmi
les plus fiables et les plus performantes au monde, à un sentiment
de doute vis-à-vis d’une compagnie où chaque petit incident
technique est désormais surveillé à la loupe et relayé par les
médias.
Après la fin du mythe Concorde qui concentrait toute la fierté
des collaborateurs envers leur compagnie, après le départ de
l’ancien Président JC Spinetta en janvier 2009 qui, comme tout
départ de ce type, marque la fin d’une époque, après les mises en
cause sur les sondes Pitot et donc indirectement sur la sécurité
de la compagnie, à quel dénominateur commun se relier en interne
alors même que de nouveaux enjeux liés à la crise du transport
aérien apparaissent ?
C’est là l’un des principaux défis à relever pour la compagnie
en matière de communication, notamment interne.
Hédi Hichri
Directeur Conseil
Fleishman-Hillard France
Hedi.hichri@fleishman.com
Magazine de la communication de crise et sensible.
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