« Plus qu’hier et bien moins que demain », la communication de
crise dans le domaine financier
Par Éric Giuily
Hier considérées comme un fait extraordinaire, les crises
font désormais partie du quotidien des entreprises comme des
institutions publiques. Pour y faire face, les unes et les autres
ont intégré dans leur fonctionnement des modes de gestion dont
l’objet est de tenter de circonscrire la crise aux frontières de
l’organisation et ainsi l’en préserver.
Aujourd’hui, une crise, une vraie, n’est désormais entendue et
vécue comme telle que lorsqu’elle s’accompagne d’un emballement
médiatique.
Ce risque médiatique n’épargne aucune organisation et toutes
sont convaincues de la nécessité de communiquer quand survient une
crise, réelle ou potentielle. C’est si vrai, qu’en matière de
crise, on confond encore parfois gestion et communication. C’est
dire l’importance de celle-ci car, si elle ne résout pas le
problème de fond, elle peut permettre à l’entreprise ou
l’institution de reprendre la main sur l’événement, en quelque
sorte de rester maître de son destin. Ce n’est pas rien quand, en
période de crise, les tensions s’exacerbent et que l’entreprise ou
l’institution joue sa crédibilité, sa réputation et sa cohésion.
Quel que soit son domaine (financier, sanitaire, social…) quand
une crise émerge, tout le monde s’accorde sur la nécessité
d’élaborer différents scenarii, d’adopter une stratégie, de
communiquer en mots et gestes choisis. Car quel que soit l’usage
inflationniste qui est fait du mot, force est de constater qu’une
crise aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec les crises
telles qu’on les connaissait. Vécue hier comme un incident de
parcours, la crise symbolise désormais une vraie rupture de sens :
une rupture de cohérence entre ce qui est révélé et ce que croit
ou attend l’opinion publique. En témoignent les crises successives
auxquelles ont eu à faire face les plus grandes entreprises, la
rencontre brutale entre la réalité et les aspirations de l’opinion
ne manquent jamais de faire des étincelles. De ce point de vue,
une crise est bien révélatrice de l’importance de l’entreprise et
de ses acteurs dans la chose publique. Chaque fois, la crise met
en évidence une incohérence par rapport aux valeurs, au métier ou
au management de l’entreprise ou de l’institution. Et chaque fois,
cette incohérence s’en vient heurter de front l’opinion publique.
La crise financière actuelle est exceptionnelle. Par son
ampleur bien sûr mais aussi par le caractère simultané des
ruptures qu’elle provoque et qui portent tout à la fois sur le
métier, les valeurs et le management. En effet, les entreprises au
centre de cette crise donnent souvent le sentiment d’avoir rompu
avec les fondamentaux de leur savoir faire et de leur expertise.
Leurs valeurs traditionnellement affichées (professionnalisme,
esprit d'équipe, innovation, créativité, engagement…et la liste
n’est pas exhaustive) ont une résonance particulière aux oreilles
de ceux auxquels elles sont destinés : clients, collaborateurs,
actionnaires…, mais sont battues en brèche par les faits et
comportements qui ont conduit à la crise. Quant au management des
entreprises, considéré défaillant, on le juge souvent incapable de
continuer à remplir sa mission.
Et tandis que la crise s’autoalimente, concentrant l’attention
de l’opinion et des médias, l’actualité éclaire sous une lumière
plus crue les comportements et discours incantatoires d’hier… Tout
le monde s’accorde pour dire qu’il y aura un avant et un après la
crise. Les postures adoptées en période de crise « traditionnelle
» peuvent continuer de l’être mais à la condition expresse que
l’entreprise assume son choix jusqu’au bout, sans jamais faillir.
C’est encore plus vrai aujourd’hui que le contrat de confiance
liant l’entreprise à l’opinion semble rompu ou au moins remis en
cause. Avec cette crise, l’historique querelle entre le fond et la
forme n’a plus de raison d’être : le premier est primordial, la
seconde ne l‘est pas moins. Mais comme on dit souvent qu’« il n’y
pas d’amour mais des preuves d’amour », l’entreprise ne peut plus
se contenter de discourir ou de faire endosser par d’autres sa
prise de parole. Plus qu’hier et encore bien moins que demain,
l’opinion attend des actes, des preuves et un engagement réel et
responsable de son management. Cela vaut pour les établissements
financiers, aujourd’hui sous les feux de la rampe, comme pour
toutes les autres entreprises de tous les secteurs.
« Dire la vérité même si ça coûte, surtout si ça coûte » disait
le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Mery. Les entreprises et
institutions vont devoir faire leur cette maxime. C’est à ce prix
seulement qu’elles pourront prétendre regagner la confiance de
leurs publics. A ce prix que traversant probablement d’autres
crises elles en sortiront renforcées. Et pour ce faire, elles
n’ont plus le temps d’attendre.
Éric Giuily, énarque, ancien directeur général (DG) de la
chaîne de télévision France 2, Président Directeur général de
l'AFP et haut dirigeant dans le monde de la communication
française.
Il est aujourd'hui à la tête de sa propre agence de communication,
fondée en 2009.
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