Communication
interne de crise
La communication RH pour restaurer la confiance
Par Marc-Edouard Brunelet
Sans être à l’origine de la détérioration de la relation
salariés/entreprise, la crise financière et ses nombreux impacts
économiques et sociaux semblent avoir pour effet la
cristallisation voire l’aggravation de la perte de confiance des
salariés et leur démobilisation subséquente. Une récente étude du
cabinet Hewitt Associates sur le thème “La crise financière:
quelles conséquences RH?” révèle que les entreprises appréhendent
cette démobilisation et, qu’en conséquence, la communication
interne sera une de leurs priorités dans les prochains mois.
Ce regain d’intérêt pour la communication interne dans le but
de remobiliser ses salariés est plutôt surprenant dans la mesure
où l’on observe déjà depuis plusieurs années une véritable
dégradation de la plupart des critères liés à l’environnement
professionnel. En effet, les nombreuses études en la matière sont
unanimes. Elles nous révèlent que les conditions de travail, la
qualité de vie et l’ambiance au travail, l’accomplissement, la
fierté ou la satisfaction professionnelle sont autant
d’indicateurs en perte de vitesse depuis 2005. On apprend encore
que de nombreux salariés sont en situation de stress et se sentent
peu soutenus par leur direction générale et par les cadres en
ressources humaines. La distance entre le salarié et l’entreprise,
qui ne cesse de s’amplifier, n’est donc pas un phénomène nouveau.
Parmi les objectifs que peut poursuivre la communication
interne figure notamment celui de relier et d’unifier. Perçue
comme «la » solution visant à créer l’adhésion du salarié et à
rétablir le pacte de confiance, il s’agit cependant de ne pas
brandir son plan de communication interne comme on agite une
amulette. La magie et les incantations n’ont pas leur place en
communication. Face à la démobilisation des salariés l’objectif de
communication consistant à rétablir la confiance nous paraît
clairement défini. Néanmoins, il s’agit de ne pas négligera
l’identification et la compréhension des causes profondes à
l’origine de la rupture dans la relation salariés/entreprise. La
démarche est loin d’être évidente car elle va contraindre de
nombreuses entreprises à faire un sérieux travail d’introspection.
En moins de deux siècles le visage de l’entreprise a
considérablement évolué. Nous sommes passés de l’entreprise
paternaliste à « l’entreprise citoyenne » investie de
responsabilités sociales, environnementales et culturelles. Malgré
cette évolution, elle a toujours joué un rôle de régulateur en
contribuant à créer et à maintenir le lien social. A la lecture
des nombreuses enquêtes évoquées précédemment un constat s’impose.
Alors même qu’aujourd’hui la responsabilité sociale de
l’entreprise ne cesse de croître, elle assume avec beaucoup de
difficultés son rôle de régulateur social. Dans un contexte de
moralisation de la vie économique entamé dans les années 80, les
sociétés ont compris l’enjeu de la communication éthique en
intervenant sur de nombreuses thématiques relevant de l’intérêt
général. Santé, écologie, culture, autant de sujets de
communication dont l’entreprise s’est emparée soit pour faire son
apparition dans l’espace public, soit pour renforcer sa position
dans celui-ci. C’est la naissance de « l’entreprise citoyenne »
qui s’efforce de concilier, souvent maladroitement, l’objectif de
rentabilité que lui assigne l’acception libérale de l’unité
économique qu’elle représente et la responsabilité sociale qu’elle
s’est initialement assignée. Aujourd’hui, l’entreprise nous semble
prise au piège d’une responsabilité sociale qui ne cesse de
progresser en raison de deux phénomènes. D’une part, la pression
du consommateur devenu « consommateur d’éthique » alors même que
c’est l’entreprise qui a créé ce besoin. D’autre part, en
légiférant et en dépassant ainsi le principe du volontarisme, les
pouvoirs publics ont particulièrement encouragé cette dynamique.
Dans ce cas de figure, il est encore trop tôt pour observer des
résultats probants. Le constater est amer. Jamais l’entreprise n’a
autant parlé d’éthique et de bien agir et jamais la défiance du
salarié à l’égard de sa société et/ou de son encadrement n’a été
aussi criante. Privilégiant une communication tournée vers
l’extérieur et relative à de « plus nobles » sujets, l’entreprise
a souvent négligé voire occulté sa relation avec le travailleur.
Par ailleurs, la dissonance entre la parole et les actes n’a pas
contribué à maintenir le climat de confiance. Gagnée par le
soupçon, la parole du management est décrédibilisée. Paul Aries
dénonce cette évolution en parlant de l’entreprise « mauvaise mère
» par opposition à l’entreprise paternaliste d’antan. Il considère
que la souffrance du salarié est notamment liée à la modification
du rapport hiérarchique. À l’origine, l’entreprise était un lieu
de conflits directs, exprimés en tant que tels. À présent, elle se
voit comme un cocon maternel, une « grande famille » où les
rapports hiérarchiques sont occultés au profit d’un rapport
personnalisé et pseudo-amical. Il cite l’usage du tutoiement qui
vise à accréditer l’idée que le chef hiérarchique est un copain.
Et que peut-on refuser à un copain ? L’objectif est d’obtenir à la
fois l’allégeance et l’adhésion. On ne doit plus seulement
participer au système. Il faut faire semblant de l’aimer ! Les
entreprises veulent ainsi contrôler la subjectivité des salariés
qui, puisqu’ils n’ont pas le choix, font de leur mieux pour
satisfaire à ces exigences. Cette « servitude volontaire », pour
reprendre le terme de Bossuet, est source de souffrance et de
dépréciation de soi. On peut considérer cette analyse spécieuse,
mais elle traduit au moins une réalité. Le rapport hiérarchique a
changé, le lien de subordination, élément constitutif du contrat
de travail, est devenu une notion abstraite et passéiste. La
définition juridique du contrat de travail est occultée au profit
d’une vision purement économique qui se résume à un service rendu
en contrepartie d’un salaire. Les salariés en ont pris acte.
L’étude Ifop Michael Page révèle que la rémunération reste, pour
une majorité de salariés, la principale motivation au travail
(57%). A la lecture de ce qui précède, il est loisible de se
demander ce que peut faire la communication pour sauver la
relation salariés/entreprise ou le couple salarié/dirigeant. La
volonté de compréhension mutuelle entre les dirigeants et les
salariés est sans doute le grand projet, un peu utopique, de la
communication interne. Son grand dessein consiste à créer, ou
recréer, puis à maintenir le lien social. Elle vise à donner un
sentiment d’appartenance, à prendre en considération le salarié en
tant qu’acteur de l’entreprise tout en favorisant le sens du
collectif. Aussi, elle repose incontestablement sur le principe
d’intérêt collectif. Il ne nous a pas échappé, néanmoins, qu’elle
consiste aussi à promouvoir la notoriété et l’image de
l’entreprise. Dès lors, certains dénoncent cette ambivalence et
considèrent que la communication interne est nécessairement viciée
puisqu’elle tend à valoriser uniquement l’entreprise. Par
ailleurs, en raison de la finalité économique de l’entreprise et
du lien de subordination existant entre le salarié et son
employeur, l’analyse de la communication interne peut paraître
assez délicate. Il est en effet difficile de savoir quelle part
revient à la communication pratiquée au nom de l’intérêt
collectif, et quelle part a vocation à servir les seuls intérêts
de l’entreprise et/ou de sa direction. Il nous faut cependant
accepter ce dualisme car la valorisation de l’entreprise participe
incontestablement à développer et renforcer des liens entre
celle-ci et le salarié. En outre, il s’agit de ne pas oublier que
le salarié a une capacité critique qu’il sait mettre en œuvre lors
qu’il identifie « la parole manipulée ».
Il faudra du temps pour sortir de l’ère du soupçon et pour
restaurer la confiance mais, dans le contexte actuel, c’est le
grand défi des ressources humaines. Comment faire ?
De la transparence ! Quitte à générer du conflit, la
transparence doit être au cœur de toute communication interne, et
encore plus particulièrement en période de crise. Il est
d’ailleurs logique que l’entreprise soit un lieu de conflits
maitrisés avec la coexistence de tant d’intérêts antagonistes.
De la cohérence ! S’il ne faut pas tout attendre de la
communication, elle pourra toutefois participer, sous réserve de
respecter un principe de cohérence, à unifier et à relier les
acteurs de l’entreprise autour de valeurs communes. Les messages
délivrés par l’encadrement doivent être conformes à ceux délivrés
par les ressources humaines et non pas contradictoires. La
cohérence requiert aussi une action réfléchie et définie par un
plan. Outre le souci d’efficacité auquel il répond en définissant
des objectifs, des cibles et des messages, il est aussi le moyen
d’asseoir une plus grande crédibilité à la démarche en affichant
toute l’ambition de la communication.
Des moyens adaptés ! Le choix des moyens de communication va
nécessairement dépendre des objectifs que l’on s’est assignés.
Dans le contexte de démobilisation et de perte de confiance
actuel, la communication de proximité qui implique une présence
physique nous semble intéressante dans sa dimension symbolique.
Avec la présence physique du manager sur le terrain, le salarié va
se sentir plus valorisé. Cette présence est d’autant plus
pertinente lorsque le climat social est largement dégradé. Par
ailleurs, la communication de proximité est un bon moyen de
délivrer des messages sans distorsion. En période de crise, les
erreurs d’interprétation et les messages mal relayés peuvent avoir
des conséquences difficilement réversibles. Naturellement, la
communication de terrain ne peut convenir à toutes les
organisations, notamment en raison de leur taille et de la
dispersion des sites qui la composent. Certains moyens écrits nous
semblent alors parfaitement complémentaires et nécessaires sous
réserve qu’ils respectent des critères de sobriété et que leur
flux soit parfaitement contrôlé. Dans une logique de contrôle
sévère des coûts, une inflation des moyens pourrait très
facilement être perçue comme une somme d’argent dépensée
inutilement. Aussi, les moyens écrits doivent faire l’objet d’un
savant dosage.
Ces dernières années, la légitimité de la fonction ressources
humaines a souvent été mise à mal. Face au risque d’une trop
grande marginalisation, on observe une timide tentative de
reconquête de cette crédibilité chahutée. Il n’est peut-être pas
inutile de rappeler que chaque situation de crise intègre un champ
de risques et d’opportunités. Aussi, la fonction ressources
humaines doit nécessairement profiter de cette période pour
prouver la légitimité de son intervention et mettre en évidence
tous ses avantages concurrentiels par rapport aux autres fonctions
de l’entreprise. La maîtrise de la communication interne en est un
possible levier.
Marc-Edouard Brunelet
Ancien avocat, Marc-Edouard Brunelet a effectué plusieurs
missions en communication de crise. Il est aujourd’hui Manager au
sein d’un cabinet de recrutement de renommée internationale. Il
intervient sur l’ensemble des fonctions Ressources Humaines.
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