Luxe et crise
La crise et le luxe : quelles marges de manœuvre en matière de
communication ?
Par Rita Fahd
Le luxe, à l’image de nombreux marchés est pénalisé par les
difficultés conjoncturelles liées à la crise financière. Les
actions des leaders mondiaux ont fortement chuté en 2008, en
particulier les cours de LVMH (Louis Vuitton, Chaumet, TAG Heuer,
etc.) et de Richemont (Jaeger-Lecoultre, Piaget, Cartier, Van
Cleef & Arpels, etc.). L’activité est mal orientée pour nombre
d’acteurs.
Handicapées par le ralentissement de la consommation, lui-même
imputable à la crise financière, les ventes de Tiffany se sont
repliées de 20 % (à taux de change constant) pendant la période
des fêtes de fin d'année (novembre-décembre 2008). Richemont a
également vu ses ventes chuter de 12 % (hors impact monétaire) au
dernier trimestre de l’année 2008. "Given the current economic
climate and the uncertainties facing us, we see no cause for
optimism. We must assume that there will be no significant
recovery in the foreseeable future" souligne Richemont .
Les prévisions pour 2009 ne sont en effet guère optimistes.
D’après la banque d'affaires américaine JPMorgan, le marché
mondial du luxe devrait reculer de 4% en 2009. Pour y faire face,
le gel des recrutements voire la baisse des effectifs est
envisagée par les groupes de luxe, le développement des réseaux
des points de vente ralentirait, la production pourrait être revue
à la baisse de manière à réduire les stocks. En période de
difficultés, les entreprises cherchent à maîtriser, voire à
réduire leurs coûts. Les dépenses en communication sont souvent
l’une des premières à être revues à la baisse. Compte tenu de
l’importance de l’image de la marque dans l’univers de luxe, qu’en
est-il de la stratégie de communication des acteurs en présence ?
Le luxe, par essence « accessoire » n’a pas besoin d’importants
investissements publicitaires, y compris dans un contexte de
recentrage des dépenses des ménages sur l’essentiel. La rareté de
la communication et sa sobriété renforcent le caractère
exceptionnel des articles promus, excepté pour les marques qui ont
cherché à se démocratiser (Dolce Gabbana, Gucci, Mauboussin,
etc.). A l’heure où les conditions d’exercice se durcissent, les
stratégies de communication des groupes de luxe devraient
converger vers davantage de discrétion. Les marques qui sont
restées les plus élitistes, continueront à allier l’excellence du
produit à la sobriété de la communication. Les marques qui ont
cherché à élargir le cercle de clientèle en proposant des articles
plus accessibles, risquent de perdre en image si elles poursuivent
une stratégie de démocratisation via une communication plus
offensive. Les gains générés à court terme pourraient être
contrebalancés à long terme par une détérioration de l’image de la
marque. Une communication plus discrète et un retour aux valeurs
historiques et fondatrices de la marque apparaît plus probable.
D’ailleurs Hermès ne s’y trompe pas, en affirmant « Il n’y a pas
de création sans mémoire ». Ce retour aux fondamentaux est d’ores
et déjà à l’œuvre parmi les grands noms du luxe. Fin 2008, Chanel
a annulé une de ses opérations de communication. Il s’agit de La «
Mobile Art Tour », exposition itinérante créée à l’initiative de
Chanel, afin de se recentrer sur ses investissements stratégiques.
La problématique se révèle plus complexe au niveau des
interrelations entre les objectifs stratégiques des groupes et
l’image des marques. La suppression par Chanel de nombreux emplois
(environ 200 CDD et intérimaires qui représentent 10 % des
effectifs de production) qui tient à une baisse de l’activité
touche principalement les secteurs du parfum, des cosmétiques et
des accessoires. Ces évènements posent la question de savoir de
quelle manière les difficultés économiques ou la recherche de
compression des coûts des groupes du luxe interfèrent avec leur
image de marque.
Raffinement et élégance d’un côté et objectif de rentabilité de
l’autre sous-tendent à maintenir une distance entre la marque et
le groupe, au risque de moins maitriser l’image en cas de
difficulté économique. Les résultats financiers sont d’ailleurs
souvent présentés à l’échelle du groupe voir des divisions et
pôles d’activité, rarement par marque ou maison. L’esprit et le
savoir-faire artisanal prédominent en effet de manière à
entretenir la part de rêve inhérente au luxe et le caractère
intemporel des articles. L’enjeu consiste ainsi à véhiculer une
image artisanale et de rareté, tout en se positionnant comme un
groupe d’envergure mondiale. Une alliance que le groupe Hermès
(267 magasins exclusifs, près de 7 500 salariés pour un chiffre
d’affaires de 1,6 milliard d’euros en 2007) parvient à réaliser,
grâce à ce qu’il appelle « une maîtrise industrielle nourrie des
valeurs de l’artisanat, dans un cadre familial et un esprit
créatif ». Hermès privilégie ainsi le « made in France », à
l’image de Chanel. Mais cette stratégie ne fait pas l’unanimité.
Le mouvement de délocalisation est en effet entamé depuis
plusieurs années dans le secteur du luxe. Des marques font
fabriquer une partie de leurs produits (textile et maroquinerie)
en Europe de l’Est (Armani), en Chine (Hugo Boss, Mauboussin) ou
au Maghreb (Dolce & Gabbana). Très souvent ancrées sur un
territoire et fières de leur histoire parfois plus que centenaire,
les marques de luxe ont valorisé le « made in France » ou le «
made in Italie ». La question est de savoir si les marques se
suffisent aujourd’hui pour se permettre de se passer de cette
apposition ? De nombreuses marques de luxe ne détiennent pas leur
légitimité de l’histoire de leur maison ou d’une implantation
géographique reconnue. A coté des marques de luxe traditionnelles
sont en effet apparues des marques de créateurs, intensifiant bien
sûr la concurrence mais brouillant surtout les codes
traditionnels. Si pour les marques françaises ou italiennes, les
origines restent un facteur clé de différenciation, elle l’est
moins pour des marques comme Stella McCartney. La question de la
localisation géographique de la production se révèle moins
sensible, la délocalisation n’étant pas synonyme de moindre
qualité. A l’inverse des biens de consommation courante, le
consommateur ne récolte pas les bénéfices de la délocalisation,
puisqu’une diminution des coûts de fabrication des articles de
luxe ne se traduit pas par une baisse des prix, question d’image
bien sûr. La délocalisation de la production permet aux groupes de
maintenir ou d’augmenter leur marge. Cette situation est-elle
susceptible de se traduire par une perte d’image ? Si oui quel en
est le coût ? Suite aux protestations d’une employée de
l’entreprise Ecce (sous-traitant du groupe LVMH qui fabrique des
costumes Kenzo et Givenchy) à son assemblée générale, LVMH a
renoncé en 2007 à délocaliser cette activité en Europe de l’Est et
a noué un accord de fabrication de 3 ans avec l’entreprise ECCE.
Un recul qui peut laisser entendre un risque de perte en image
important. La crise accéléra-t-elle le mouvement ?
Rita Fahd est titulaire d’un DEA d’économie de l’industrie
et des services (Paris1) et d’un Master de communication (Paris 4-Celsa)
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