Politique et crise
Les similitudes des communications de crise publique et privée
Par Christelle de Cremiers *
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Le terme «
communication de crise » apparaît régulièrement dans la presse
depuis la fin des années 80 seulement. C’est ce que montre l’étude
de Didier Heiderich «
La gestion de crise a un demi-siècle ». Elle montre aussi que
l’apparition de ce terme s’intensifie nettement dans les années
2000, que ce soit en France ou aux États-Unis. Pourtant, la
communication de crise, dans sa pratique, n’est pas nouvelle.
Quelles peuvent alors être les origines de cette intensification
remarquable et récente ?
Traditionnellement réservée à la sphère politique, l’apparition
fréquente, dans les années 2000, de la « communication de crise »
dans les media s’est accompagnée d’une professionnalisation de
l’offre de services aux entreprises qui ont, de plus, créé des
directions internes dédiées. On peut donc se demander qui, de la
communication de crise publique ou privée, l’a entraîné par
rapport à l’autre.
En première approche, il est clair que la généralisation
d’Internet a globalement intensifié la communication dans toutes
ses disciplines et donc celle de la communication de crise en
particulier, qu’elle soit pratiquée par les politiques ou par les
PDG. Mais, dans ce contexte d’intensification générale, il existe
une différence néanmoins entre les Etats-Unis et la France, ou du
moins entre la fréquence d’apparition des termes américains «
crisis management », « crisis communication » et des termes
français « gestion de crise » et « communication de crise ». Dans
les deux langues, le nombre de citations commence à augmenter à la
fin des années 80 jusqu’à maintenant, mais tandis que le nombre de
citations en français s’intensifient nettement à partir de 2002,
les citations américaines déclinent nettement à partir de 2004 et
ce, quel que soit le terme américain choisi.
La communication des politiques aurait-elle donné le ton à la
communication de crise ? Grâce aux moteurs de recherche sur
Internet, on peut évaluer la corrélation entre le mot « crise » et
le nom d’un chef d’Etat. Ainsi il apparaît que le nom de François
Mitterrand est lié dans 11 % des cas au mot « crise », celui de
Jacques Chirac 17 %... et celui de Nicolas Sarkozy, 25 % ! Dit en
d’autres termes, quand on parle de Nicolas Sarkozy, une fois sur
quatre, c’est lié à une crise. Pourtant, François Mitterrand avait
eu à faire face en 1983 à la crise des euromissiles dans laquelle
la crainte d’une troisième guerre mondiale était largement
partagée dans la population. Il avait dû faire face aussi à la
crise du sang contaminé à partir de 1985, de loin la plus
dramatique pour les Français.
2002 est l’année où Nicolas Sarkozy devient Ministre de
l’Intérieur, entre en campagne et explose médiatiquement jusqu’à
son élection en 2007. 2004 est l’année de la réélection de George
W. Bush. Le nom de « W » est lié, lui, une fois sur trois au mot «
crisis ». Malgré le décrochage du terme « crisis communication » à
partir de 2004, rien à dire, les Américains sont bien les
premiers. On peut avancer l’hypothèse que « W », dans le contexte
de l’attentat du WTC et dans la volonté d’imposer au monde la
guerre en Irak, a intensifié la communication de crise dans des
proportions jamais égalées auparavant, et qu’une fois réélu, il
lui a semblé qu’il était peut-être moins nécessaire de
communiquer. Dans le sillon américain, Nicolas Sarkozy adopte dès
2002 un ton vraiment différent, qui est celui de la communication
de crise (même sans crise à proprement parler), et il imprime sa
marque dans la communication politique française.
La communication de crise publique et la communication privée
partagent désormais les mêmes objectifs dans un monde qui vit à
l’heure d’Internet. D’une part, l’objectif traditionnel de
rassurer, que ce soit la population (François Mitterrand exhortait
les Français à garder « leur sang-froid » lors de la crise des
euromissiles) ou bien les actionnaires ou les consommateurs.
D’autre part, l’objectif d’apporter une explication du monde qui
soit adoptée par le plus grand nombre, qu’ils soient électeurs ou
consommateurs. C’est la technique du « Storytelling » qui est très
efficace en termes d’adhésion du public.
L’intensification de la communication de crise publique semble
avoir donné le ton de la communication de crise en général, et
entraîné une professionnalisation des services offerts aux
entreprises pour la communication de crise privée. Le politique a
peut-être donné le ton, mais il aura du mal à se retirer. Le
besoin est créé désormais au sein du public de recevoir des
explications, d’être rassuré. Le public demande une explication du
monde avant d’accorder sa confiance, et remet sans cesse son
adhésion en jeu. Il demande de la communication de crise, et il
sait de plus que «Le plus grand danger dans la communication de
crise est de donner le sentiment qu’il ne s’agit que de
communication», ainsi que l’avertit Thierry Libaert. Puisse donc
l’intérêt des politiques à intensifier la communication de crise,
dans le but d’emporter l’adhésion des électeurs, se transformer en
un véritable levier d’action à la fois de la part des
gouvernements comme des entreprises.
* Christelle de
Cremiers
Responsable marketing dans l'industrie automobile
Fondatrice du think tank "valeurs démocrates"
Magazine de la communication de crise et sensible.
www.communication-sensible.com
© Tous droits réservés par les auteurs
Voir également :
La gestion de crise a un demi-siècle
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