Histoire
des crises
La gestion de crise a un demi-siècle
Par Didier Heiderich *
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La gestion de crise a un demi-siècle si l’on en croit la presse
avec une véritable montée en puissance entre les années 1980 à
2000. C’est tout du moins ce que l’on peut découvrir en faisant
une recherche dans les archives de la presse pour l’expression «
crisis management ». On trouve le terme, de façon éparse, dans
de rares papiers à partir de 1925. Et si le New York Time (USA)
évoque pour la première fois la gestion de crise en 1941 dans un
article sur la modification des horaires de travail dans les
usines d’armement, celui-ci ne gagne pas pour autant ses lettres
de noblesse. Il semblerait que le véritable début de l’utilisation
du terme « crisis management » peut être daté d’octobre 1962, à
l’occasion de la crise des missiles de Cuba avec un premier dans
la formalisation du concept. Cependant, The Times (UK) évoquera
seulement pour la première fois la gestion de crise dans un
article daté du 22 décembre 1964 concernant l’installation de
missiles nucléaires en Allemagne. Ainsi, dans ses débuts, la
gestion de crise fut ainsi principalement consacrée à la politique
et plus généralement sur le volet militaire. Il a fallu attendre
les électrochocs de Bhopal (1984) puis Tchernobyl (1986) pour que
la gestion de crise civile rentre véritablement dans l’histoire
récente. Les catastrophes du Torrey Canyon (1967), de Seveso
(1976) et de la l’Amoco Cadiz (1978) ont été associées à des
problèmes de sureté par la presse, mais pas à de la gestion de
crise.
En France, c’est Patrick Lagadec qui a été à l’initiative de la
formalisation de la gestion de crise au début des années 1980,
notamment avec l’ouvrage « Le risque technologique majeur », paru
en 1981 chez Pergamon dans la collection "Futuribles", livre
initié un an avant par un article paru dans « La recherche ». Il
faudra cependant attendre 1993 pour que Lagadec formalise le
concept avec son ouvrage « La gestion des crises : outils de
réflexion à l'usage des décideurs » chez Ediscience International
; travail conforté en 2000 par Christophe Roux-Dufort avec la
publication du livre « Gérer et décider en situation de crise »
aux éditions Dunod.
La communication de crise, plus tardive
Même si elle est évoquée une première fois le 22 janvier 1885
lors de la crise du sucre dans un article du « Parliamentary
Papers » (Great Britain Parliament. House of Commons Published by
HMSO, 1885), la communication de crise connait un véritable
démarrage dans les années 1980. Il est cependant à noter que le
vocable « crisis communication » est moins usité en anglais qu’en
français : à titre d’exemple, les archives du Times ne recèlent
aucune référence pour le terme « crisis communication », ceci sur
200 ans et le Guardian évoque une seule fois la communication de
crise dans un article daté du 18 septembre 2001. De l’autre côté
de l’Atlantique, alors que le journal existe depuis 1851, il
faudra attendre le 8 janvier 1982 pour que le New York Times
évoque pour la première fois la communication de crise sous le
terme « crisis communication » dans un article consacré à la
guerre froide avant de s’en saisir régulièrement. Il est cependant
à noter qu’en anglais « communication » se dit « Public Relations
». En prenant en compte cette donnée, la situation ne s’éclaircit
pas, entre « Crisis Public Relations », « Crisis Public Relations
management» « PR Crisis management » ou encore « Reputation risk
management », les anglo-saxons n’arrivent pas à se mettre d’accord
sur une appellation unique de la communication de crise. Il faut
préciser que « Crisis Public Relations » est à double sens : la
première citation de cette terminologie dans la presse date du 22
mars 1955 et concerne… un pamphlet à l’encontre des agences de
communication.
Rédigé par Ogrizek et Guillery, le premier livre sur la
communication de crise paru en France fut publié en 1997 dans la
collection « Que Sais-je ». Auparavant, la communication de crise
est évoquée par Le Monde le 26 juin 1986 dans un article intitulé
« Le chevalier blanc des phosphates ». Le Monde abordera une
seconde fois le sujet, deux ans plus tard, le 30 avril 1988, avec
un l’article « Des images anti-crise ». Il faudra attendre 1991
pour que Les Echos s’empare de la communication de crise en
évoquant l’ouvrage collectif « La communication de crise, enjeux
et stratégies. » Thierry Libaert abordait la question
communication de crise en 1992 dans son ouvrage « La communication
verte ». Mais c’est véritablement dans les années 2000 que le
sujet s’est banalisé. C’est d’ailleurs en décembre 2000 que fut
créé le « Portail de la communication de crise » devenu en 2005 «
Le Magazine de la Communication de Crise et Sensible. »
Mais que ce soit en anglais ou en français, la confusion règne
dans les agences entre gestion de crise et communication de crise
: dans les deux langues les consultants en communication se
présentent souvent à tord en gestionnaires de crise. Cette
confusion nous laisse penser que le travail d’acculturation est
loin d’être terminé.
La communication sensible, un concept du milieu des années
2000
Le terme de « communication sensible » apparaît en France au
19e siècle dans des revues ésotériques ou religieuses (source
BNF). Dans son acception actuelle, « la communication sensible »
fait son entrée pour la première fois le 20 septembre 1999 dans un
article du Figaro intitulé « Le boom de la communication de crise
» suivi de quelques articles épars. C’est en 2005 que la «
communication sensible » prend véritablement son essor lorsque
l’Observatoire International des Crises a changé le nom de sa
publication principale pour l’appeler « le Magazine de la
Communication de Crise et Sensible. » Ensuite, en juin 2006,
Thierry Libaert a donné la première définition de la communication
sensible dans un article intitulé « La communication sensible »
avant de délimiter en 2008 les contours et principes de la
communication sensible avec la première thèse de doctorat publiée
sur le sujet. On peut cependant noter que la presse ne s’est pas
encore emparée de cette terminologie, à contrario des agences de
communication qui l’affichent de plus en plus fréquemment comme
l’une de leurs prestations.
L’« issues management » est né dans les années 80
Plutôt que de communication sensible, voir même de communication
de crise, les anglophones préfèrent parler de gestion des enjeux
sensibles, en évoquant l’intraduisible « issues management ». Le
terme, aux contours protéiformes, apparait pour la première fois
le 1er août 1928 dans un article du New York Times avant de
réapparaitre le 13 janvier 1942 dans le Syracuse Herald Journal
pour mieux se faire oublier jusque dans les années 60 avec
quelques articles sporadiques. C’est véritablement à partir des
années 80 que l’ « issue management » sera régulièrement évoqué
par la presse.
Pour terminer, nous pouvons nous rappeler que déjà en décembre
1776, Thomas Paine, distribuait en Amérique du Nord des tracts «
The Crisis » qui appelaient à la rupture avec la Grande Bretagne.
Si l’on inverse le débat, l’art d’utiliser la communication pour
générer des crises est loin d’être nouveau.
DH
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Didier Heiderich est Président de l'Observatoire International des
Crises,
consultant et formateur en communication de crise et gestion de
crise, enseignant dans plusieurs universités.
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