L’art et les crises
L’art et les crises
Edito de Thierry LibaertPour ce numéro de
rentrée, nous avons décidé de prendre un peu de recul et de sortir
de nos visions traditionnelles axées sur le management des crises
et l’approche opérationnelle. Notre ambition était d’analyser
comment l’art se représentait les crises. Nous avions à l’esprit
l’exposition « Ce qui arrive » qui s’est tenue en 2002 à la
Fondation Cartier et où Paul Virilio avait voulu donner à voir les
catastrophes. Notre approche était un peu différente puisque
centrée sur le concept de crise. Concept un peu fourre-tout qu’il
fallait tenter de délimiter.
Première contrainte de notre dossier, la crise n’est entendue
ici ni dans ses causes, ni dans ses conséquences, mais dans la
réaction qu’elle amène. Comment réagissons-nous face aux crises ;
nous sommes donc ici dans une immédiateté, une temporalité limitée
à l’instant présent.
Deuxième contrainte, il fallait délimiter également les
dimensions de l’approche artistique et proposer des approches
originales dans le regard que certaines disciplines artistiques
pouvaient porter sur la crise. Nous avons écarté la littérature
générale, domaine qui nous semblait hors de portée, pour
privilégier des angles plus variés comme celui du cinéma, du
théâtre, de la peinture, de la bande dessinée, de la littérature
policière. Certaines libertés ont été prises avec les définitions
de l’art puisque les jeux vidéo y furent introduits. D’autres
thèmes auraient pu figurer comme la sculpture, l’architecture ou
la photographie mais nos connaissances des auteurs étaient trop
réduites. Nous avions également envisagé d’introduire un article
sur la représentation publicitaire de la crise, mais là, c’est la
substance qui nous manqua puisque nous ne pûmes repérer de
publicité représentant une crise (et ce, même si la « crise » est
souvent tacite et que l’acquisition du nouveau produit permet de
la surmonter).
C’était là que se glissait la troisième contrainte ; la
difficulté de séparer la représentation de la crise engendrée par
l’œuvre. Le carré noir de Malevitch (1913) est la représentation
d’une crise, mais celle-ci est indissociable de la crise
qu’apporte le tableau en signifiant la fin d’une dimension
artistique.
Le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 est peut-être le
premier événement à avoir eu un impact majeur sur certains
penseurs et artistes, et notamment par Voltaire et Rousseau. La
foudre, les inondations, les éruptions volcaniques, les
tremblements de terre sont ainsi présents en musique, littérature
et peinture. Dans son ouvrage Catastrophes, (Le Seuil, 2008),
François Walter indique que la représentation de la gestion
compassionnelle de la crise apparaît avec Napoléon III et que
l’artiste ne peut qu’immortaliser cette action, ce qui en
l’occurrence donnera des toiles comme celle intitulée : « Sa
Majesté l’Empereur distribuant des secours aux inondés de Lyon »
ou « l’Empereur visitant les inondés d’Angers ».
Si la représentation des crises passées semble teintée de
fatalité et de religion (les deux étant fréquemment liées), la
vision moderne reprend souvent le thème de l’apocalypse (Fin de
partie chez Beckett, 100 ans de solitude chez Garcia Marquez, La
Peste chez Camus, Le 7ème sceau chez I. Bergman. Quant à la
représentation de la gestion de crise, c’est peut-être le cinéma
et les séries télévisées qui nous la représentent le mieux. Dans
ces films, deux constantes apparaissent souvent. D’abord le poids
des considérations individuelles dans la prise de décision, que ce
soit dans le film le plus emblématique de la gestion de crise «
Docteur Folamour » (1964) de Stanley Kubrick ou dans un autre
genre « 12 hommes en colère » (1957) de Sidney Lumet, à chaque
fois le tempérament extrémiste d’un ou deux individus tire
l’histoire vers des positions dangereuses. La composante
individuelle est récurrente et le groupe s’efface devant le
leader. Côté série télévisée, « The West Wing » apporte le
meilleur témoignage de cette représentation moderne de la gestion
de crise. La communication y est centrale, si bien que dans une
scène où l’on s’interroge pour savoir si le Président doit appeler
les parents d’une victime, la réponse est immédiate « pour pouvoir
dire que nous l’avons fait ». Autre élément de cette
représentation, l’extrême rapidité des prises de décision. Le
Président pénètre dans la salle de crise, écoute ses conseillers,
pose invariablement une question sur les conséquences humaines et
tranche.
Dans ce numéro, vous trouverez ainsi plusieurs éclairages de ce
que peut être une représentation artistique de la crise. Olivier
Andreu qui connait parfaitement les phénomènes de crise pour les
pratiquer dans une grande entreprise prend l’exemple de la série
télévisée « The West Wing », Salem Brahimi, producteur présente
une vision cinématographique globale de la crise et Didier
Heiderich un focus sur un film « Persépolis ». Quittant
l’audiovisuel, Sébastien Jardin, Sales Manager chez IBM qui nous a
déjà proposé quelques articles pour notre newsletter, nous
présente une vision originale de la représentation de la crise
dans le jeu vidéo. Nadia Dhoukar, une des meilleures références
françaises dans le roman policier contemporain, et par ailleurs
responsable de la communication d’une importante fédération
professionnelle nous offre son regard sur le polar et la crise.
Marie Claude Cazottes qui exerce dans une grande entreprise de
téléphonie et passionnée de théâtre propose sa vision théâtrale du
sujet. Pour le thème « Bande dessinée », Jean Marie Pierlot,
Enseignant à l’Université de Louvain et l’un des meilleurs
connaisseurs de la communication associative, nous dévoile un
point de vue original, notamment sur la base de la série Largo
Winch. Coté peinture, Philippe Thirion, enseignant dans le MBA «
Management, Communication & société » de la Sorbonne/Celsa, auteur
d’un ouvrage à paraître début 2009 sur « les tableaux de bord de
la qualité » nous offre un point de vue détaillé sur le célèbre
tableau de Géricault, le radeau de la Méduse. Jean Marie
Charpentier, auteur récent d’une thèse sur la place du débat dans
les entreprises et professeur associé à l’Université Paris 13 nous
présente une courte vision de la crise au travers d’un peintre
contemporain, Gérard Titus Carmel.
Toutes ces analyses nous conduisent à une vision de l’art et de
la crise, cette vision serait elle éloignée de la pratique de
gestion de crise en organisation ? L’héroïsme teinté d’humanisme y
est largement présent. Le lecteur se forgera son opinion sur le
décalage éventuel, nous sommes bien sur à l’écoute de toute
réaction.
Thierry Libaert Directeur Scientifique de l’Observatoire
International des Crises.
Coordinateur du numéro 16 du Magazine de la Communication de
Crise et Sensible.
Retrouvez l'article complet sur :
Le magazine de la communication de crise et sensible
Vol 16 - pdf - 70 pages - 4 Mo (gratuit)
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