L’art et les crises
The West Wing : un monde en crise
Par Olivier ANDREU
Cette série, créée et co-écrite par Aaron Sorkin et diffusée
sur NBC entre 1999 et 2006 , a initié un nouveau genre à la
télévision, la série politique. Aidés pour la première fois par
d’anciens membres de la Maison blanche sous Clinton, Bush père ou
Reagan (comme Dee Dee Myers ou Marlin Fitzwater,…), les
concepteurs de « The West Wing » (« A la Maison blanche »), ont
raconté pendant sept saisons, l’équivalent de deux mandats
présidentiels, la vie du président des Etats-Unis et de ses
proches collaborateurs, en décrivant avec beaucoup de réalisme le
fonctionnement de la démocratie américaine et de ses institutions
. Abordant tous les grands sujets qui préoccupent la société
américaine (la peine de mort et le contrôle des armes,
l’avortement, les délocalisations économiques, le terrorisme
international, le conflit israélo-palestinien et la question
iranienne, les relations avec la Chine, le changement climatique
et l’indépendance énergétique, etc.), la série cherche à
réconcilier le citoyen avec la politique et adopte un parti pris
inhabituel (au moins en France) en considérant le téléspectateur
comme un être intelligent.
Ambitieuse et réussie , cette série présente plusieurs
caractéristiques, de forme et de fond qui en font un objet
télévisuel remarquable, riche d’enseignements de tous ordres : «
The West Wing » fonctionne sur un mode réaliste, en multipliant
les références politiques, économiques, juridiques, historiques
(toutes vraies,…et vérifiées) parfaitement intégrées aux dialogues
brillants mais exigeants d’Aaron Sorkin ; le téléspectateur est
ainsi noyé sous un déluge de chiffres et de références : budget de
l’Etat fédéral, situation économique, jurisprudences de la Cour
suprême, fonctionnement du Congrès,…
Mais le réalisme ne s’arrête pas là et s’étend également au
fonctionnement des institutions, aux prérogatives des personnages,
des fonctions qu’ils occupent et dans la mise en scène des
fondements même de la société américaine : respect de la règle de
droit, séparation et indépendance des pouvoirs : exécutif,
législatif, judiciaire, transparence et droit à l’information pour
les médias et l’opinion publique,…toutes choses particulièrement
malmenées ces dernières années aux Etats-Unis. La série propose
donc une vraie alternative aux deux mandats de G. W. Bush, quitte
à écrire ou réécrire des épisodes pour mieux coller à l’actualité
. Il s’agit de proposer une réalité alternative ou une fiction
dotée de tous les attributs de la réalité, chose que les
scénaristes américains maîtrisent à la perfection. Comme l’écrit
Julien Tendil à ce sujet : « plus que de se contenter de s’insérer
dans la réalité de la vie de tous les jours de l’administration
Bush en l’auscultant en quasi temps réel, Sorkin choisit de lui
opposer son exact négatif » ; le 11 septembre et la guerre en
Irak, les crises humanitaires dans le monde, le cyclone Katrina,…tout
est prétexte à (dé)montrer que d’autres réponses politiques sont
possibles. Dans un registre un peu différent, les productions de
la BBC (« MI-5 », « State of Play », par exemple) réussissent
également brillamment cette imbrication de la fiction dans la
réalité politique, économique et sociale. Quant au rythme
incroyablement trépidant de « A la Maison blanche », parfaitement
en accord avec les dialogues, il s’exprime à travers la technique
du walk and talk, déjà observée dans d’autres séries comme «
Sports Night » ou « Law & Order ». Suivis par la steadycam, les
personnages parcourent les couloirs de la Maison blanche tout en
débattant et gérant les crises et les affaires du pays,…sans
prendre le temps de s’arrêter ; l’effet est étourdissant.
Et la crise ? A la tête de la première puissance militaire et
économique du monde, le président Bartlet et ses collaborateurs
affrontent de nombreuses crises de toutes natures, mettant en
avant les nombreuses limites auxquelles les décideurs (politiques
ou économiques) sont soumis dans l’exercice quotidien de leur
pouvoir. Si la série, « A la Maison blanche », est souvent
qualifiée de fable utopique, car mettant en scène des individus
irréels, alliant noblesse d’âme, intégrité et idéalisme politique,
tels des « Jefferson Smith » dans un film de Frank Capra,
l’intelligence des scénaristes est de les confronter en permanence
à des situations révélant leurs propres faiblesses, les
contradictions de la société américaine, les inerties et le
cynisme du système politique ou le poids des réalités économiques.
Et nécessité dramatique oblige, les crises n’arrivent pas non plus
sagement les unes après les autres, mais simultanément, par deux
ou trois, déstabilisant avec encore plus de force les institutions
et les hommes en charge de les affronter. Un lieu et un
personnage, chacun emblématique, permettent d’appréhender la
question de la crise et de sa gestion dans « The West Wing » : la
salle de crise (Situation Room) et la porte-parole du président
(White House Press Secretary), Claudia Jean Cregg, comme éléments
et symboles du pouvoir en temps de crise. La (vraie) Situation
Room ou salle de crise, symbolise, en cas d’évènements graves,
l’exercice d’un pouvoir à la fois expert et efficace, concentré
entre les mains du président entouré de ses conseillers. La
Situation Room , créée en 1962 sur décision de J.F. Kennedy et
gérée par le National Security Council se situe sous l’aile ouest
de la Maison blanche. Avec la montée en puissance et en fréquence
des crises internationales (tensions géopolitiques, terrorisme,…)
et intérieures (catastrophes climatiques comme Katrina,…), cette
salle de crise est devenue incontournable dans le fonctionnement
et la communication de la Maison blanche. Entièrement rénovée
entre 2006 et 2007, elle s’est modernisée et dotée de moyens
audiovisuels et informatiques modernes. Cette évolution s’observe
également dans la série : d’une simple salle équipée sommairement
(vidéos-projecteurs, téléphones,…), la Situation Room de la
fiction se transforme au fil des années (et un peu plus que la
vraie) en centre nerveux high tech, empli d’écrans et
d’ordinateurs ultramodernes, comme si responsables politiques et
scénaristes télé faisaient le même constat sur les nouvelles
menaces d’un monde devenu plus instable et dangereux et sur les
réponses à y apporter (lieu à la fois symbolique et opérationnel,
dédié à la gestion de crise et concentrant les systèmes de
communication, d’information, l’expertise et la prise de décision
et représentation d’un pouvoir exécutif moderne, capable
d’affronter les nouvelles menaces).
Une place majeure est également consacrée dans la série, à la
communication, aux médias et à l’opinion publique, à travers le
personnage de CJ Cregg, attachée de presse du président Bartlet.
C’est un des rôles les plus intéressants et attachants de la série
; c’est aussi celui que les scénaristes feront évoluer le plus au
fil des sept saisons, jusqu’à en faire le personnage le plus
important après le président.
Pour créer ce personnage, Aaron Sorkin s’est directement
inspiré de Dee Dee Myers, porte-parole de Bill Clinton de janvier
93 à décembre 94 et conseillère auprès de NBC sur la série.
Aujourd’hui, ce poste stratégique de l’exécutif américain est
occupé par Dana Perino. Les conférences de presse sont au moins
quotidiennes et le White House Press Secretary dispose de moyens
importants (collaborateurs, prérogatives diverses,…) pour
accomplir son travail. On est bien loin des tentatives maladroites
et éphémères de l’Elysée pour instituer un semblant de
porte-parole, façon « Maison blanche » en 2007.
C’est aussi l’exact reflet d’une Amérique, modèle et référence
ultime de la communication sous toutes ses formes : nul doute que
l’actuelle campagne présidentielle opposant B. Obama et J. McCain
et sa « guerre totale » des images, des petites phrases et de la
web-campagne version 2.0 est observée de près par tout ce que la
planète compte de spécialistes es-communication.
Claudia Jean « CJ » Cregg est donc une des pièces maîtresses du
dispositif de la Maison blanche. Elle incarne le lien entre le
président et les citoyens à travers le relais des médias (et
notamment des correspondants accrédités auprès de « Maison blanche
»). Etrange spectacle pour un non-américain que celui montrant
tous ces journalistes omniprésents , entourant les responsables
politiques et posant sans cesse des questions. Dans la série, CJ
Cregg revendique la défense du droit des citoyens à être informés
et à savoir. Cela s’exprime tout au long de la fiction par des
discussions, débats (souvent très animés) avec ses collègues, au
cours desquels le président est amené à trancher en faveur des uns
ou des autres. C’est particulièrement vrai lors de la survenance
de crises ou d’évènements importants : ainsi, dans un épisode de
la saison 3 , la Maison blanche découvre, au milieu d’une crise
diplomatique avec un pays du Moyen-Orient, la présomption positive
d’un cas de vache folle dans un élevage américain ; sitôt les
mesures d’urgence décidées et les analyses ordonnées, la question
de la révélation au public de ce cas est débattue dans le bureau
ovale, entre le président et ses proches collaborateurs, dont CJ
Cregg qui défend une action de communication proactive envers
l’opinion publique : «…ce sera plus grave si cette affaire sort
sur CNN avant que la Maison blanche ne le fasse ». Mais le
président et d’autres collaborateurs hésitent car les enjeux
économiques sont très importants et la viande de bœuf est un des
piliers de la culture américaine, comme le rappelle J. Bartlet : «
les perturbations les plus grandes arrivent quand quelque chose en
quoi on avait confiance s’arrête de fonctionner ». Ce à quoi CJ
Cregg répond : « Monsieur le président, en cas de crise, les gens
veulent être des soldats et non des victimes ; l’information crée
la confiance, le silence crée la peur ». Il est finalement décidé
de faire sortir l’information par une « source intermédiaire » au
sein du ministère de l’agriculture. Autre épisode emblématique de
la série : la survenance d’un accident dans une centrale nucléaire
. Alors que nous sommes en pleine campagne présidentielle et que
le président Bartlet est impliqué dans une grave crise
internationale opposant la Chine et la Russie au Caucase et
susceptible de faire basculer le monde dans une quatrième guerre
mondiale, un grave accident survient dans la centrale nucléaire de
San Andreo en Californie. Des rejets de vapeur radioactive sont
rejetés dans l’atmosphère et le risque de fusion n’est pas écarté.
Sitôt informée, la Maison blanche décide d’organiser une
allocution du président déclarant l’Etat d’urgence dans l’Etat ;
Jed Bartlet se désigne lui-même directeur de la crise, suite à une
remarque de CJ Cregg : « Monsieur le président, vu le nombre
important d’acteurs et de niveaux de responsabilité en jeu il va
falloir nommer rapidement un « Tsar ». Si, à ce moment de la
série, CJ Cregg n’est plus l’attachée de presse du président, la
communication occupe toujours une place importante dans le
dispositif dramatique ; il est rapidement décidé de désigner un
porte-parole unique pour l’ensemble du gouvernement et de
l’administration et les rares manquements à cette décision sont
immédiatement sanctionnés. Quant à la crise elle-même : en accord
avec le gouverneur de Californie, l’ordre d’évacuation est
transmis rapidement, sans hésitation ; le président préfère voir
des scènes de panique sur les routes que prendre des risques pour
la santé des gens. Il est aussi décidé de donner au public un
maximum d’informations factuelles ; le porte-parole de la Maison
blanche fait un point presse toutes les heures. On peut noter,
curieusement, que les exploitants (totalement absents de
l’épisode) de la centrale nucléaire accidentée sont rapidement
présentés comme complètement dépassés par l’ampleur de la crise et
ses conséquences. La situation finira par être maîtrisée, au prix
de deux irradiations mortelles chez les ingénieurs intervenus sur
le site et de plusieurs dizaines de milliers de personnes évacuées
en urgence, sans parler des conséquences politiques qui
bouleverseront le cours de la campagne présidentielle.
Conclusion : On pourrait continuer, presque à l’infini, de
trouver des échos à cette série dans notre réalité politique et
médiatique. C’est une des forces de « A la Maison blanche »,
d’avoir su dépasser le cadre télévisuel en devenant un objet de
fascination journalistique, universitaire et politique dans la
grande majorité des pays occidentaux. Mais le nombre
impressionnant d’articles que cette série a suscité dans des
revues et journaux dits sérieux ou de travaux universitaires,
ouvrages réalisés sur elle, n’est rien en comparaison de
l’influence (sur les stratégies de communication, les tactiques
politiques, les discours,…) que « The West Wing » a eu et continue
d’avoir sur les leaders politiques de nombreux pays, L’influence
se fait d’abord sentir aux Etats-Unis, tant chez les républicains
que chez les démocrates depuis le début, en 1999, jusqu’à la
campagne présidentielle , alors que la série s’est arrêtée en
2006. Mais elle n’épargne pas la Grande Bretagne où travaillistes
et conservateurs ne jurent que par Léo, Josh ou C.J . ; la presse
anglaise avait d’ailleurs accusé Tony Blair de : « West Wing-isation
of Downing Street ». Quant à la France, si des politiciens comme
Jean-Louis Bourlanges ou le député Pierre Moscovici avouent
volontiers être « fan » de la série, le doute subsiste pour le
président et le gouvernement, même si le style hyper-présidentiel
s’accorde très bien avec celui de la série. Mais à une époque ou
leaders politiques et économiques sont souvent confrontés aux
mêmes défis, aux mêmes risques et que leurs discours et leurs
stratégies en viennent souvent à se confondre (faire de
l’entreprise la référence ultime en matière d’action politique
pour les uns et voir ses - nouvelles – responsabilités, sociale,
environnementale,… dépasser le strict cadre économique pour les
autres), la force didactique de « The West Wing » ne doit pas se
limiter au seul champ politique. Si celui de la communication
(notamment à travers l’inoubliable C.J. Cregg) paraît évident, la
gestion de crise pourrait également trouver là, dans la fiction en
général et dans cette série en particulier, un terrain propice à
la réflexion pour les experts et à l’émergence de nouvelles
pratiques pour les entreprises,…dans un monde en crise.
Olivier Andreu travaille sur les risques émergents dans une
grande entreprise.
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