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Vendredi 13 Decembre 2024  - Le Magazine de la Communication de Crise et Sensible
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 The West Wing : un monde en crise

L'art et les crises - Magazine de la communication de crise et sensible vol 16
ISBN
2-916429-16-6

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Le magazine de la communication de crise et sensible
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L’art et les crises
The West Wing : un monde en crise

Par Olivier ANDREU

Cette série, créée et co-écrite par Aaron Sorkin et diffusée sur NBC entre 1999 et 2006 , a initié un nouveau genre à la télévision, la série politique. Aidés pour la première fois par d’anciens membres de la Maison blanche sous Clinton, Bush père ou Reagan (comme Dee Dee Myers ou Marlin Fitzwater,…), les concepteurs de « The West Wing » (« A la Maison blanche »), ont raconté pendant sept saisons, l’équivalent de deux mandats présidentiels, la vie du président des Etats-Unis et de ses proches collaborateurs, en décrivant avec beaucoup de réalisme le fonctionnement de la démocratie américaine et de ses institutions . Abordant tous les grands sujets qui préoccupent la société américaine (la peine de mort et le contrôle des armes, l’avortement, les délocalisations économiques, le terrorisme international, le conflit israélo-palestinien et la question iranienne, les relations avec la Chine, le changement climatique et l’indépendance énergétique, etc.), la série cherche à réconcilier le citoyen avec la politique et adopte un parti pris inhabituel (au moins en France) en considérant le téléspectateur comme un être intelligent.

Ambitieuse et réussie , cette série présente plusieurs caractéristiques, de forme et de fond qui en font un objet télévisuel remarquable, riche d’enseignements de tous ordres : « The West Wing » fonctionne sur un mode réaliste, en multipliant les références politiques, économiques, juridiques, historiques (toutes vraies,…et vérifiées) parfaitement intégrées aux dialogues brillants mais exigeants d’Aaron Sorkin ; le téléspectateur est ainsi noyé sous un déluge de chiffres et de références : budget de l’Etat fédéral, situation économique, jurisprudences de la Cour suprême, fonctionnement du Congrès,…

Mais le réalisme ne s’arrête pas là et s’étend également au fonctionnement des institutions, aux prérogatives des personnages, des fonctions qu’ils occupent et dans la mise en scène des fondements même de la société américaine : respect de la règle de droit, séparation et indépendance des pouvoirs : exécutif, législatif, judiciaire, transparence et droit à l’information pour les médias et l’opinion publique,…toutes choses particulièrement malmenées ces dernières années aux Etats-Unis. La série propose donc une vraie alternative aux deux mandats de G. W. Bush, quitte à écrire ou réécrire des épisodes pour mieux coller à l’actualité . Il s’agit de proposer une réalité alternative ou une fiction dotée de tous les attributs de la réalité, chose que les scénaristes américains maîtrisent à la perfection. Comme l’écrit Julien Tendil à ce sujet : « plus que de se contenter de s’insérer dans la réalité de la vie de tous les jours de l’administration Bush en l’auscultant en quasi temps réel, Sorkin choisit de lui opposer son exact négatif » ; le 11 septembre et la guerre en Irak, les crises humanitaires dans le monde, le cyclone Katrina,…tout est prétexte à (dé)montrer que d’autres réponses politiques sont possibles. Dans un registre un peu différent, les productions de la BBC (« MI-5 », « State of Play », par exemple) réussissent également brillamment cette imbrication de la fiction dans la réalité politique, économique et sociale. Quant au rythme incroyablement trépidant de « A la Maison blanche », parfaitement en accord avec les dialogues, il s’exprime à travers la technique du walk and talk, déjà observée dans d’autres séries comme « Sports Night » ou « Law & Order ». Suivis par la steadycam, les personnages parcourent les couloirs de la Maison blanche tout en débattant et gérant les crises et les affaires du pays,…sans prendre le temps de s’arrêter ; l’effet est étourdissant.

Et la crise ? A la tête de la première puissance militaire et économique du monde, le président Bartlet et ses collaborateurs affrontent de nombreuses crises de toutes natures, mettant en avant les nombreuses limites auxquelles les décideurs (politiques ou économiques) sont soumis dans l’exercice quotidien de leur pouvoir. Si la série, « A la Maison blanche », est souvent qualifiée de fable utopique, car mettant en scène des individus irréels, alliant noblesse d’âme, intégrité et idéalisme politique, tels des « Jefferson Smith » dans un film de Frank Capra, l’intelligence des scénaristes est de les confronter en permanence à des situations révélant leurs propres faiblesses, les contradictions de la société américaine, les inerties et le cynisme du système politique ou le poids des réalités économiques. Et nécessité dramatique oblige, les crises n’arrivent pas non plus sagement les unes après les autres, mais simultanément, par deux ou trois, déstabilisant avec encore plus de force les institutions et les hommes en charge de les affronter. Un lieu et un personnage, chacun emblématique, permettent d’appréhender la question de la crise et de sa gestion dans « The West Wing » : la salle de crise (Situation Room) et la porte-parole du président (White House Press Secretary), Claudia Jean Cregg, comme éléments et symboles du pouvoir en temps de crise. La (vraie) Situation Room ou salle de crise, symbolise, en cas d’évènements graves, l’exercice d’un pouvoir à la fois expert et efficace, concentré entre les mains du président entouré de ses conseillers. La Situation Room , créée en 1962 sur décision de J.F. Kennedy et gérée par le National Security Council se situe sous l’aile ouest de la Maison blanche. Avec la montée en puissance et en fréquence des crises internationales (tensions géopolitiques, terrorisme,…) et intérieures (catastrophes climatiques comme Katrina,…), cette salle de crise est devenue incontournable dans le fonctionnement et la communication de la Maison blanche. Entièrement rénovée entre 2006 et 2007, elle s’est modernisée et dotée de moyens audiovisuels et informatiques modernes. Cette évolution s’observe également dans la série : d’une simple salle équipée sommairement (vidéos-projecteurs, téléphones,…), la Situation Room de la fiction se transforme au fil des années (et un peu plus que la vraie) en centre nerveux high tech, empli d’écrans et d’ordinateurs ultramodernes, comme si responsables politiques et scénaristes télé faisaient le même constat sur les nouvelles menaces d’un monde devenu plus instable et dangereux et sur les réponses à y apporter (lieu à la fois symbolique et opérationnel, dédié à la gestion de crise et concentrant les systèmes de communication, d’information, l’expertise et la prise de décision et représentation d’un pouvoir exécutif moderne, capable d’affronter les nouvelles menaces).

Une place majeure est également consacrée dans la série, à la communication, aux médias et à l’opinion publique, à travers le personnage de CJ Cregg, attachée de presse du président Bartlet. C’est un des rôles les plus intéressants et attachants de la série ; c’est aussi celui que les scénaristes feront évoluer le plus au fil des sept saisons, jusqu’à en faire le personnage le plus important après le président.

Pour créer ce personnage, Aaron Sorkin s’est directement inspiré de Dee Dee Myers, porte-parole de Bill Clinton de janvier 93 à décembre 94 et conseillère auprès de NBC sur la série. Aujourd’hui, ce poste stratégique de l’exécutif américain est occupé par Dana Perino. Les conférences de presse sont au moins quotidiennes et le White House Press Secretary dispose de moyens importants (collaborateurs, prérogatives diverses,…) pour accomplir son travail. On est bien loin des tentatives maladroites et éphémères de l’Elysée pour instituer un semblant de porte-parole, façon « Maison blanche » en 2007.

C’est aussi l’exact reflet d’une Amérique, modèle et référence ultime de la communication sous toutes ses formes : nul doute que l’actuelle campagne présidentielle opposant B. Obama et J. McCain et sa « guerre totale » des images, des petites phrases et de la web-campagne version 2.0 est observée de près par tout ce que la planète compte de spécialistes es-communication.

Claudia Jean « CJ » Cregg est donc une des pièces maîtresses du dispositif de la Maison blanche. Elle incarne le lien entre le président et les citoyens à travers le relais des médias (et notamment des correspondants accrédités auprès de « Maison blanche »). Etrange spectacle pour un non-américain que celui montrant tous ces journalistes omniprésents , entourant les responsables politiques et posant sans cesse des questions. Dans la série, CJ Cregg revendique la défense du droit des citoyens à être informés et à savoir. Cela s’exprime tout au long de la fiction par des discussions, débats (souvent très animés) avec ses collègues, au cours desquels le président est amené à trancher en faveur des uns ou des autres. C’est particulièrement vrai lors de la survenance de crises ou d’évènements importants : ainsi, dans un épisode de la saison 3 , la Maison blanche découvre, au milieu d’une crise diplomatique avec un pays du Moyen-Orient, la présomption positive d’un cas de vache folle dans un élevage américain ; sitôt les mesures d’urgence décidées et les analyses ordonnées, la question de la révélation au public de ce cas est débattue dans le bureau ovale, entre le président et ses proches collaborateurs, dont CJ Cregg qui défend une action de communication proactive envers l’opinion publique : «…ce sera plus grave si cette affaire sort sur CNN avant que la Maison blanche ne le fasse ». Mais le président et d’autres collaborateurs hésitent car les enjeux économiques sont très importants et la viande de bœuf est un des piliers de la culture américaine, comme le rappelle J. Bartlet : « les perturbations les plus grandes arrivent quand quelque chose en quoi on avait confiance s’arrête de fonctionner ». Ce à quoi CJ Cregg répond : « Monsieur le président, en cas de crise, les gens veulent être des soldats et non des victimes ; l’information crée la confiance, le silence crée la peur ». Il est finalement décidé de faire sortir l’information par une « source intermédiaire » au sein du ministère de l’agriculture. Autre épisode emblématique de la série : la survenance d’un accident dans une centrale nucléaire . Alors que nous sommes en pleine campagne présidentielle et que le président Bartlet est impliqué dans une grave crise internationale opposant la Chine et la Russie au Caucase et susceptible de faire basculer le monde dans une quatrième guerre mondiale, un grave accident survient dans la centrale nucléaire de San Andreo en Californie. Des rejets de vapeur radioactive sont rejetés dans l’atmosphère et le risque de fusion n’est pas écarté. Sitôt informée, la Maison blanche décide d’organiser une allocution du président déclarant l’Etat d’urgence dans l’Etat ; Jed Bartlet se désigne lui-même directeur de la crise, suite à une remarque de CJ Cregg : « Monsieur le président, vu le nombre important d’acteurs et de niveaux de responsabilité en jeu il va falloir nommer rapidement un « Tsar ». Si, à ce moment de la série, CJ Cregg n’est plus l’attachée de presse du président, la communication occupe toujours une place importante dans le dispositif dramatique ; il est rapidement décidé de désigner un porte-parole unique pour l’ensemble du gouvernement et de l’administration et les rares manquements à cette décision sont immédiatement sanctionnés. Quant à la crise elle-même : en accord avec le gouverneur de Californie, l’ordre d’évacuation est transmis rapidement, sans hésitation ; le président préfère voir des scènes de panique sur les routes que prendre des risques pour la santé des gens. Il est aussi décidé de donner au public un maximum d’informations factuelles ; le porte-parole de la Maison blanche fait un point presse toutes les heures. On peut noter, curieusement, que les exploitants (totalement absents de l’épisode) de la centrale nucléaire accidentée sont rapidement présentés comme complètement dépassés par l’ampleur de la crise et ses conséquences. La situation finira par être maîtrisée, au prix de deux irradiations mortelles chez les ingénieurs intervenus sur le site et de plusieurs dizaines de milliers de personnes évacuées en urgence, sans parler des conséquences politiques qui bouleverseront le cours de la campagne présidentielle.

Conclusion : On pourrait continuer, presque à l’infini, de trouver des échos à cette série dans notre réalité politique et médiatique. C’est une des forces de « A la Maison blanche », d’avoir su dépasser le cadre télévisuel en devenant un objet de fascination journalistique, universitaire et politique dans la grande majorité des pays occidentaux. Mais le nombre impressionnant d’articles que cette série a suscité dans des revues et journaux dits sérieux ou de travaux universitaires, ouvrages réalisés sur elle, n’est rien en comparaison de l’influence (sur les stratégies de communication, les tactiques politiques, les discours,…) que « The West Wing » a eu et continue d’avoir sur les leaders politiques de nombreux pays, L’influence se fait d’abord sentir aux Etats-Unis, tant chez les républicains que chez les démocrates depuis le début, en 1999, jusqu’à la campagne présidentielle , alors que la série s’est arrêtée en 2006. Mais elle n’épargne pas la Grande Bretagne où travaillistes et conservateurs ne jurent que par Léo, Josh ou C.J . ; la presse anglaise avait d’ailleurs accusé Tony Blair de : « West Wing-isation of Downing Street ». Quant à la France, si des politiciens comme Jean-Louis Bourlanges ou le député Pierre Moscovici avouent volontiers être « fan » de la série, le doute subsiste pour le président et le gouvernement, même si le style hyper-présidentiel s’accorde très bien avec celui de la série. Mais à une époque ou leaders politiques et économiques sont souvent confrontés aux mêmes défis, aux mêmes risques et que leurs discours et leurs stratégies en viennent souvent à se confondre (faire de l’entreprise la référence ultime en matière d’action politique pour les uns et voir ses - nouvelles – responsabilités, sociale, environnementale,… dépasser le strict cadre économique pour les autres), la force didactique de « The West Wing » ne doit pas se limiter au seul champ politique. Si celui de la communication (notamment à travers l’inoubliable C.J. Cregg) paraît évident, la gestion de crise pourrait également trouver là, dans la fiction en général et dans cette série en particulier, un terrain propice à la réflexion pour les experts et à l’émergence de nouvelles pratiques pour les entreprises,…dans un monde en crise.

Olivier Andreu travaille sur les risques émergents dans une grande entreprise.


 

 

 

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