A la prise en compte des risques majeurs et des crises qui en
découlent, il convient de ne pas négliger les micro-crises qui, si
insignifiantes qu'elles le paraissent peuvent, par accumulation,
nuire de manière durable à l'image d'une organisation. Cet article
tente de définir la micro-crise et en présente deux exemples.
La sensibilisation aux risques et à la crise, depuis quelques
années, a permis une prise en compte de plus en plus importante du
phénomène au sein des organisations. En attestent la création de
cellules permanentes de crise dans certaines grandes entreprises
comme Veolia Environnement, où des spécialistes de la
communication et du risque sont en capacité d'intervenir à tout
moment lorsqu'une crise éclate dans une des sociétés du groupe.
Les organisations évoluant dans le secteur de la santé développent
des formations de crise (l'Assistance Publique a récemment publié
un appel d'offre pour la formation des cadres de santé à la
communication de crise), d'autres encore (les enseignes de grande
distribution par exemple) établissent des protocoles permettant de
faire face à une crise lorsqu'elle se présente.
Même si ces mesures ne sont pas optimales - dans bien des cas,
la prévention des risques autres que naturels ou majeurs est bien
souvent négligée - elles contribuent largement à gérer de mieux en
mieux les crises et leur communication auprès des publics internes
et externes.
Toutefois, il ressort de ces diverses actions un certain nombre
de traits communs :
- La gestion des crises concerne principalement les crises
importantes, ayant des conséquences visibles et médiatiques
immédiates : accidents graves, dangers pour la santé,
dysfonctionnement conjoncturel durable, etc. - Hiérarchiquement,
la formation à la gestion de crise semble s'arrêter au middle
management en partant du haut de la pyramide : " […] la prestation
est destinée à préparer les directeurs d’établissements et
personnes ressources de l’AP-HP à la gestion de la communication
de crise et à la prise de parole" (Appel d'offre pour les
Prestations de formations à la communication de crise et à
l’entraînement à la prise de parole pour le compte de l’Assistance
Publique - Hôpitaux de Paris. Cahier de clauses particulières N°
07/MPA-46. 2007).
Cette dernière attitude peut se justifier du point de vue
économique et pratique : la formation des personnels d'exécution
de grandes entreprises publiques et privées entraînerait des coûts
très importants pour celles-ci du fait du grand nombre de salariés
concernés. On pourra également avancer que les personnels formés
sensibiliseront et formeront leurs collègues à leur tour… Espoir
bien souvent vain du fait des contenus de ces formations qui ne
sont pas sensées "former à former"…
On pourra toutefois relever le paradoxe qui consiste à former à
la communication de crise uniquement des personnes n'ayant pas à
faire directement au public quotidiennement…
Paradoxe qui n'en n'est pas un si l'on considère - à tort - que
seuls les événements "graves" sont importants et méritent d'être
considérés comme des crises et donc d'être gérés comme tels.
Encore faudrait-il définir ce qu'est la gravité d'une crise… La
confusion est ici forte entre la gravité du risque (évaluée par de
nombreuses grilles d'analyse comme celle éditée par la DGCCRF) et
la gravité de la crise pour l'image de l'organisation.
Nous proposons de procéder à une séparation des deux concepts :
gravité du risque et importance de la crise dans l'opinion. Cette
dichotomie a déjà été soulignée à plusieurs reprises en
particulier au sujet de l'acceptation des crises et du rapport
paradoxal existant entre l'évaluation "objective" d'une crise et
des aspects idéels qui lui sont corrélés : "Contrairement au
risque de manifestation d’un danger, qui peut s’apprécier dans le
cadre d’un raisonnement probabiliste, le risque de crise procède
d’une logique intuitive rebelle à la quantification […]
L’objectivité de l’analyse fait place à la subjectivité des
ressentis" (Bolnot F.H. et Carlier V. 2000)
Partant de cette dissociation gravité du risque / importance de
la crise, nous proposons une définition du concept de micro-crise.
Une micro-crise est une crise dont les risques immédiats et
pris séparément sont nuls ou quasi-nuls du point de vue des
conséquences qu'ils provoquent - que ce soit pour l'organisation
considérée ou pour les publics qu'elle touche - mais dont
l'accumulation peut produire des dommages importants pour l'image
de l'organisation. Généralement, ces micro-crises touchent
directement et immédiatement le consommateur ou l'usager dans son
quotidien, sans conséquences graves mais non-négligeables pour
autant.
Deux expériences récentes, vécues par l'auteur et analysées de
manière très empirique illustrent ce propos :
La première expérience est ferroviaire, elle concerne le retard
d'un TGV Paris-Lille le 20 décembre 2007, la seconde touche une
panne de réseau de paiement dans une grande librairie lilloise.
Expérience 1
Annoncé à 18H28, ce TGV est en réalité parti à 20H20. Cet
incident est somme toute sans réelle gravité et relativement rare
: sur environ 120 voyages aller-retour Paris-Lille effectués sur
une année par l'auteur, les incident de ce type - grèves exceptées
- sont de l'ordre d'une dizaine… Plus nombreux en revanche sont
les retards moindres : dix minutes, un quart d'heure (environ 15 à
20 % des voyages). Un quart d'heure, cela n'est pas grand chose…
cela représente tout de même 25% du temps du voyage et donc un
risque de désorganisation à l'arrivée, dans le cas de rendez-vous
enchaînés dans une journée par exemple.
Revenons au 20 décembre. Les phrases entre guillemets ont été
notées dans le hall de la gare de Nord.
Le froid aurait semble-t-il, si on en croit la seule tentative
d'explication au micro effectuée, perturbé le réseau
d'alimentation électrique… "Le climat du Nord de la France étant
de type subtropical, il est logique qu'une baisse de la
température entraîne des problèmes"… Cette saillie d'un des
voyageurs en attente de son train est symptomatique d'une des
pensées latentes des centaines de voyageurs à ce moment vis à vis
d'une grande entreprise "incapable de gérer les emm… lorsqu'ils
surviennent". Le sel de la situation est que Madame Idrac,
actuelle PDG de la SNCF évoquait la régularité et la qualité de
service de la SNCF le matin même sur France Info. Au temps pour le
décalage entre le discours et la réalité perçue : "Ouais, je l'ai
entendu la pédégère de la SNCF ce matin, sur France Info. Elle
prend jamais le train ma parole".
Autre sujet d'exaspération, la virgule sonore diffusée en guise
de jingle d'annonce : primesautière, elle se justifie peut-être,
dans un esprit de cohérence d'image, lorsque tout va bien. Mais en
période de tension relative (plusieurs trains et TGV accusaient
des retards importants ce jour-là), est-il pertinent de faire
précéder chaque annonce de cette "musiquette", d'autant qu'elle
est accompagnée, depuis le record du monde de 472 km/h établi par
le TGV par un "SCHHHH" identifiant sonore signifiant, on peut le
supposer, la grande vitesse… "Font ch… avec leur musiquette à la
c… feraient mieux de nous donner les renseignements…"
Enfin, l'absence d'agents de la SNCF sur les quais est
certainement le fait le plus mal ressenti par les clients (Madame
Idrac insiste sur cette dénomination, car elle implique selon elle
une qualité de service forte). "Y sont où, les types de la SNCF ?"
"Ouais, jamais là lorsqu'on a besoin d'eux. Ça, pour faire la
grève, pas de problème, ils sont bien là, mais pour bosser…" . On
notera au passage l'antinomie entre présence et grève ; mais c'est
également le signe de la présence dans les esprits des grèves
récentes qu'a connu la SNCF en novembre et d'un amalgame entre
celles-ci et l'incident du jour : "De toute manière, c'est les
syndicats qui ont fait le coup, pour faire ch… le gouvernement,
pour leur montrer qu'il faut plus de monde. Sarko, t'embauches
pas, ben voilà, c'est le b…" Ici naît une vague rumeur en tant que
tentative d'explication d'un phénomène dont les raisons nous sont
inconnues (Ambrosini P.J. 1983, cité par Brodin). La politique
entre également dans la partie : "Ouais, de toute manière, ils
vont te privatiser tout ça…", "Ben ça fonctionnera peut-être
mieux", "N'importe quoi, c'est à cause du libéralisme que c'est
comme ça, vous n'avez qu'à voir, en Angleterre. Aujourd'hui, ce
sont les retards, demain, ce sera notre sécurité."
Le seul agent aperçu furtivement dans le périmètre
d'observation et interrogé quant aux causes des retards a juste
émis "C'est RFF, on n'en sait pas plus que vous"… On peut ici, à
juste titre se poser la question de l'utilité d'agents de
renseignement qui ne renseignent pas… "A quoi y servent, s'ils ne
peuvent pas nous dire quoi que ce soit… quelle bande
d'incapables"… "Ouais, juste bon à te foutre une amende lorsque tu
prends un train plus tôt ou plus tard…" , "Qu'est-ce qu'il a dit
que c'était ?"… Outre l'expression d'une exaspération
compréhensible (nous en étions à une heure et demi de retard sans
plus d'explication, avec le jingle et le "SCHHHH" dans les
oreilles, les pieds glacés…), on notera l'interrogation d'un des
voyageurs immobiles quant à RFF. Qui connaît en effet Réseau Ferré
de France ? La seule vague justification du manque d'explications
fournies était donc incompréhensible par le voyageur non
spécialiste… "On n'en sait pas plus que vous" pose également un
problème quant aux capacités de maîtrise de l'information par les
agents.
Interrogé sur le manque d'information, dans le TGV enfin parti
pour sa destination deux heures plus tard, un contrôleur confie à
l'auteur "nous ne sommes pas formés pour les incidents de ce
genre, de toute manière, on ne nous tient pas informés… les seules
formations qu'on a, c'est un truc sur les conflits avec les
passagers récalcitrants et des informations sur les nouveaux
tarifs ou les échanges de billets, comme dernièrement le
sur-paiement si vous prenez un TGV avant ou après l'horaire prévu
sur le billet… mais c'est nous qui nous faisons eng… par les
passagers…"
Ajoutons, et ce n'est pas un détail, qu'aucun agent n'était
présent pour remettre les formulaires de remboursement à l'arrivée
du TGV.
Nous identifions ici plusieurs problèmes manifestement non
maîtrisés par l'organisation :
- Absence d'information générale en direction des passagers. -
Manque manifeste d'information entre les agents et leurs services
eux-mêmes. - Absence de tout personnel sur les quais et dans la
gare. Absence due à une certaine logique : pourquoi seraient-ils
là alors qu'ils n'ont rien à dire ? Certes, mais les clients
interprètent cette absence comme une désertion, une incapacité
voire un mépris vis à vis d'eux. - Malaise des personnels vis à
vis de l'incident ; ils ne défendent pas leur organisation et son
fonctionnement ; ils sont même prêts à la dénigrer pour peu que
l'on ne soit pas agressif et que l'on pose des questions. -
Défiance des usagers-clients vis à vis de l'entreprise - Risque de
dissonance cognitive entre le discours très professionnel émis par
la direction et la réalité perçue par les usagers-clients. (L.
Festinger (1957) in Le comportement du consommateur et de
l'acheteur. Ladwein )
Expérience 2
Les très grandes structures ne sont pas les seules à rencontrer
ce type de crise : le samedi 15 décembre, en pleine période
d'achats de Noël, une grande enseigne culturelle lilloise a connu
une panne de son service de paiement par carte bancaire.
Les week-ends précédents les fêtes de fin d'année représentent
généralement une aubaine commerciale pour les magasins. L'enseigne
dont il est question ici ne fait pas exception à la règle : des
milliers d'acheteurs en quête de cadeaux se pressaient ce samedi :
chaleur, queues interminables aux caisses… étaient au rendez-vous.
Arrivé à l'une d'entre elles après 30 minutes d'attente,
l'acheteur chargé de livres, CD Rom, disques, DVD, etc. se voyait
informé que le système de paiement par carte bancaire était
momentanément et pour une durée indéterminée indisponible. Il lui
restait donc le choix de payer par chèque ou en liquide. La
généralisation du paiement par carte en France, associée à la
méfiance de plus en plus importante des commerçants vis à vis des
paiements par chèque conduit la plupart des acheteurs à ne plus
emporter ce moyen de paiement encombrant… Bon nombre d'entre eux
étaient ainsi démunis face au problème. Restait le paiement en
liquide… pour des paniers moyens dépassant largement l'argent
liquide contenu généralement dans les portefeuilles ! Seule
solution : partir sans achats, et revenir (?) plus tard.
Apparemment, cet incident n'a aucun rapport avec le précédent.
Pourtant certains traits lui sont commun : les acheteurs n'ont été
avertis qu'au dernier moment de l'incident, sans explication
particulière ; le personnel de caisse n'a pas géré le
mécontentement général, avançant simplement leur
non-responsabilité "j'y suis pour rien, moi, c'est les cartes
bleues qui ne marchent pas" ; "non, on ne sait pas lorsque ce sera
réparé"; "on ne vous a pas averti ? Ah ? Ben peut-être, mais moi
je ne peux rien faire", etc. Par ailleurs, aucun responsable du
magasin n'était présent de manière identifiée ; aucune annonce
micro audible dans le brouhaha n'a été faite…
Les réactions des clients ont marqué un fort mécontentement :
"Ils auraient pu nous avertir, ils nous prennent pour qui ?!",
"J'ai perdu ma journée, moi !", "Bien entendu, il n'y a personne
pour nous dire quoi !", "Je ne remettrai plus les pieds ici, ils
se moquent de nous, personne pour nous renseigner !" ; "Tas vu les
caissières, elle ont vraiment l'air de s'en f… !", "C'est super,
et en plus tu te fais eng… !". Etc.
A l'analyse - rapide - de la plupart des remarques émises, le
manque d'information, de contact est plus fort que l'incident
lui-même : on peut comprendre une panne, un incident
technologique, mais pas le dédain ressenti de la part des
personnels. Pour autant, il s'agit bien ici de ressenti : le
personnel de caisse ne se montrait ni arrogant ni agressif avec
les clients malheureux… mais il ne faisait pas montre non plus
d'empathie particulière : il 'agissait d'un incident technique
pour lequel il n'était pour rien.
Finalement, pas de catastrophe mondiale, aucune incidence grave
sur la vie des clients dans ces deux exemples… Rien qui justifie
la mise en place d'une cellule de crise ou une action forte en
direction des médias. Mais à chaque fois, une petite pierre
apportée à l'édifice de la méfiance voire de la défiance vis à vis
de l'organisation concernée et création d'un terrain favorable aux
crises plus importantes à venir (Roux-Dufort C. 2005). Le manque
de prise en compte de ces incidents - jugés sans doutes
insignifiants par les organisations - vient en totale rupture avec
les discours lénifiants du service optimal, du professionnalisme,
du zéro défaut, etc. La formation des personnels ayant un contact
direct avec le client, sans pour autant être une solution à la
résolution de ces micro-crises, devrait permettre une
communication immédiate, simple, en mesure de déminer toute ou
partie ces terrains favorables.
Stéphane Saint-Pol IAE de Lille
Bibliographie :
Bolnot F.H. et Carlier V. "Sécurité des Aliments : du risque à
la crise". Bulletin de la Société Vétérinaire Pratique de France
(2000)
Brasseur M. "Repenser la Communication Interne en Situation de
Risque :Prévenir la crise en se basant sur la Perception du Risque
des Individus."
Brodin O. "Le contrôle des rumeurs". Décisions Marketing. (N°4.
1995)
Chiva M. : "Les risques alimentaires : approches culturelles ou
dimensions universelles ?" in Risques et peurs alimentaires. 1998,
Ed. Odile Jacob, Paris. (pour les aspects idéels de la crise).
Ladwein R. "Le comportement du consommateur et de l'acheteur",
Economica, 2e édition (2003)
Roux-Dufort C. "Comment en est-on arrivé là ? Du terrain de
crise à la catastrophe" Magazine de la communication de crise &
sensible - Publications. (2005)
http://www.minefi.gouv.fr/directions_services/dgc...
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