L'image, rien que l’image, comme seul objet, comme seul
sujet : la communication de crise semble aujourd’hui se soumettre
à l’itération médiatique, celle qui ne conçoit la possibilité
d’exister que face aux médias, que dans l’obsédante prolifération
de l’image. Soumis au stress de l’immédiat, contingentés par la
pensée rétinienne, les acteurs de la communication de crise ne se
séparent plus de la possibilité médiatique. Incrédule, nombre de
mes interlocuteurs me réservent un sourire compassionnel lorsque
j’évoque l’existence d’autres plans de la communication en
situation de crise.
Il y a cependant des motifs à cela. D’abord, nous pouvons
évoquer le processus de déculturation, de « la liquidation de tous
les référentiels » annoncée par Baudrillard. Sans pour autant
estimer que les Lumières s’éteignent lorsque la télé s’allume,
l’espace audiovisuel nous renvoie plus à nous-mêmes qu’à une
quelconque culture. La télévision fascine car elle reste un miroir
pour chacun d’entre nous autant qu’une fenêtre sur le monde. Elle
a le pouvoir de faire de chaque individu sa propre référence par
le regard qu’il pose sur ce miroir, la condition pour initier un
voyage intérieur en se projetant dans le champ télévisuel, comme
autant d’échos. Parce qu’elle exhibe le particulier et refuse une
quelconque culture, la télévision est effroyablement universelle.
Alors pourquoi rechercher spontanément d’autres références que
celle qui nous montre le particulier, dans un espace restreint,
limité, réduit, torturé, amputé mais tellement incandescent ? La
peur de se brûler pousse toute institution en crise à se protéger
d’abord de ce feu sacré qui aura consumé tellement de livres et
aveuglé tellement d’entre-nous que le réel nous apparaît
désincarné et la lecture d’un âge fastidieux, archaïque. En
situation de crise, les médias télévisuels deviennent un phare
dans la nuit. Nous avions déjà évoqué dans le passé la stratégie
du hérisson des institutions en crise qui choisissent « le replis
sur soi, toutes épines dehors. » Nous devrions ajouter
l’aveuglement et la stupéfaction, mais surtout la fascination
exercée par les médias. Et la peur. C’est cette peur qui provoque
tant d’intérêt pour le média training priorité des priorités.
C’est ainsi que l’arène médiatique est considérée comme le seul
lieu de l’exercice de la communication de crise, l’ici où tout se
passe, un au-delà du temps, de l’espace et de la vie. Divine
comédie. Car dans la réalité vandalisée par le réalisme des médias
audiovisuels, délimitée par le format, tout comme dans l’enfer de
Dante, le damné audiovisuel ne peut prononcer mot en son entier,
contraint à l’idée force plutôt qu’à une vérité trop complexe pour
être télégénique. Faute de pouvoir s’y soustraire, il nous faut
nous préparer aux règles dictées par l’enfer télévisuel. Alors
nous acceptons d’être les passeurs cosmétiques de cette réalité
tronquée. Alors nous en sommes à évoquer de substantiels mots clés
et images clés proposées par un porte-parole surentrainé et
sélectionné car suffisamment télégénique pour imprégner l’au-delà
hertzien. Normal de préparer le porte-parole car il lui faudra
être courageux : la communication audiovisuelle de crise a pour
paradigme ceux qui exhibent leurs cornes, leurs furoncles et leur
inculture dans l’espace télévisuel. La concurrence est rude face
aux « vrais gens » et leur instinct télévisuel, si réels, si
prégnants dans les 15 secondes de gloire que peut leur apporter
une vie, ces mêmes 15 secondes qui déterminent une crise. Faute de
temps, faute d’esthétique, faute de structure et parfois faute
d’intelligence et de goût, nous avalisons la façade, acceptons la
cosmétique des passeurs, spécialistes du média training, parfois
véritables esthètes conscients des limites de l’exercice et de
l’intérêt de structurer la communication de crise au-delà de
l’image. Mais nous rencontrons aussi des vedettes désincrustées du
petit écran qui soulignent les écrits de nos auteurs de leur
propre signature, qui bannissent les années de travail et de doute
qui animent les spécialistes pour ne laisser place qu’à un sublimé
sans façon, sans forme, et sans structure : tant pis pour les
effroyables dégâts causés sur l’interne, les partenaires, les
clients, les investisseurs, les élus… Ils ont cependant pour
alliés l’ère du temps et le processus de décivilisation mené par
les médias à grand renfort de micro séquences et autres formats
publicitaires. En situation de crise, les blessures sont réelles,
les douleurs sont images. Les écrans nous posent sans cesse la
question de la réalité. Désirs répétés de réalisme face à une
réalité liquide, devenue trop complexe pour être vécue, trop
tardive face à l’urgence, trop concurrencée pour être concourante
: les médias exhument notre innocence puisée dans notre cerveau
reptilien, pour mieux le satisfaire et le saturer de dopamine et
d’endorphine. Alors que faire du reste, des stratégies fondées sur
l’appréhension des publics, de la détermination des thèmes d’une
crise, de l’importance de la communication interne de crise, de la
définition d’un fil rouge, tous indispensables à la communication
de crise ? Le travail d’acculturation des organisations n’est pas
terminé, fait face à l’incandescence médiatique, au jugement
télévisuel.
Ce numéro ne permettra pas au lecteur averti de se débarrasser
de ce fardeau, mais peut être de l’appréhender différemment,
notamment avec l’excellent article de Christophe Roux-Dufort sur
le cycle d’incompétence habile et à
travers l’article « Persistance rétinienne et rémanence sociale »
de penser la société liquide, voir liquidée comme certains aiment
la voir. Au-delà de la perception, réside la réalité abordée sans
concession dans ce numéro, d’abord par Philippe Montigny qui brise
le tabou de la corruption, ensuite par Sébastien Jardin qui nous
rappelle à l’ordre avec un article sur le
R.O.I (retour sur
investissement) de la communication de crise. Enfin, Thierry
Libaert nous a livré plusieurs brèves en plus de sa
traditionnelle note de lecture, notamment un point de vue
particulièrement intéressant sur
la collusion entre le rapport Attali et le grenelle de l’environnement.
D.H.
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