1. Corruption : un risque non assurable et non
externalisable
Le risque fait partie de la vie de l’entreprise, or si le
risque se matérialise soudain, il y a crise. Les risques de
l’entreprise sont variés et les outils pour y faire face et gérer
au mieux les crises qu’ils engendrent sont nombreux. Certains
outils prennent la forme d’assurances. Face au risque d’impayés :
l’assurance crédit ; face au risque de destruction de l’outil de
production : l’assurance du chiffre d’affaires… D’autres risques
sont plus difficilement assurables et l’on anticipe des solutions
de rechange ou de protection. Face au risque de perte de données
informatiques, on externalise les sauvegardes ; face au risque de
vol de propriété industrielle, on dépose des brevets… Certains
risques enfin ne sont absolument pas assurables ni ne permettent
d’envisager des solutions de rechange : ce sont ceux qui mettent
en cause la responsabilité pénale du chef d’entreprise. Le risque
lié à la corruption en fait partie. Aujourd’hui, le dirigeant
d’entreprise n’est pas à l’abri d’une crise engendrée par le
risque de corruption, et ce, quelles que soient son intégrité
personnelle, sa détermination à mettre en œuvre un programme de
conformité, sa vigilance et la rigueur de ses contrôleurs de
gestion. Cette crise peut trouver son origine dans un délit de
corruption avéré, découvert lors d’un audit interne ou externe,
révélé par une accusation d’un tiers, ancien collaborateur ou «
corbeau », ou tout simplement inventé, par un concurrent ou toute
personne malintentionnée pour déstabiliser l’entreprise. Sans
doute ce dernier cas est le moins grave car le délit n’étant pas
constitué, le risque pénal disparaîtra de lui-même… une fois la
preuve de l’innocence apportée plusieurs années après. Une crise
liée à la corruption entraîne immanquablement l’attention des
autorités locales, la curiosité des médias, l’inquiétude des
partenaires, la suspicion des clients et le malaise des
collaborateurs. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’une
affaire de corruption, aussi minime et aussi éloignée du siège
soit-elle, ne prenne des proportions démesurées. Dès lors, les
conséquences potentielles, qu’elles soient judiciaires,
financières ou d’image, sont telles qu’il est capital pour un
dirigeant d’entreprise de les maîtriser au mieux afin d’en limiter
l’onde de choc.
2. Les trois difficultés d’une crise liée à la corruption
Une crise liée à la corruption ressemble a priori à toute autre
crise, et pourrait être gérée selon les principes généraux d’une
gestion de crise. Cependant, une crise provenant d’un problème de
corruption présente trois difficultés spécifiques qui la
distinguent de toute autre crise et qu’il faut absolument prendre
en compte pour définir la stratégie permettant de la maîtriser.
Une mise en cause personnelle du dirigeant La première difficulté
vient du fait qu’une crise liée à la corruption, plus qu’aucune
autre, touche personnellement le dirigeant. Elle le met
directement en cause de deux façons. D’une part, la logique
judiciaire veut que le dirigeant soit considéré comme pénalement
responsable. D’autre part, l’opinion publique est prompte à penser
qu’un dirigeant est nécessairement impliqué dans toute affaire de
corruption et qu’il ne peut avoir les mains propres. N’oublions
pas le double sens du mot affaire, qui renvoie à la fois à
l’activité commerciale de l’entreprise, mais qui désigne également
une pratique délictueuse scellée par un pacte de corruption. La
pression de l’opinion, et l’amplification médiatique qui y est
associée s’ajoutent à la contrainte judiciaire. Les conditions
d’une réaction sereine, rationnelle et donc efficace, sont loin
d’être réunies. Une mise en cause morale du dirigeant La deuxième
difficulté tient à la nature du délit de corruption. L’accusation
de corruption constitue une remise en cause morale de l’intégrité
du dirigeant et des principes de gouvernance de l’entreprise qu’il
représente. La corruption est associée au calcul, à la
dissimulation, au secret. Au tribunal de l’opinion, la simple
allégation de corruption décrédibilise toute parole de
l’entreprise et de son dirigeant : l’explication sera prise pour
un mensonge, la prudence des propos considérée comme un aveu et le
silence jugé comme la preuve de la culpabilité. Malgré tout, le
dirigeant doit parler, prendre position, montrer qu’il contrôle la
situation. Cependant, sa stratégie de communication envers
l’opinion publique, les consommateurs, les clients, les
actionnaires ainsi que les collaborateurs est un exercice
particulièrement délicat. Une mise en cause dont il est difficile
d’évaluer l’ampleur voire la réalité La troisième difficulté est
qu’en général dans une situation de crise liée à la corruption, le
dirigeant, et avec lui l’équipe dirigeante, en évaluent mal
l’ampleur voire, lorsqu’il s’agit d’une allégation, la réalité.
Appelé à s’expliquer rapidement, le dirigeant n’a souvent en sa
possession aucun élément précis. D’autant qu’il peut y avoir une
crise liée à la corruption sans qu’il y ait délit : par exemple
une accusation de corruption orchestrée par un concurrent ou par
toute personne animée d’intentions malveillantes. Mais là, où, en
général, devrait s’ouvrir un procès en diffamation, s’ouvre un
procès en accusation. Le soupçon de corruption dans le monde des
affaires étant, pour l’opinion publique, rémanent, la moindre
allégation le transforme en condamnation. Avec la corruption, il y
a inversion de la charge de la preuve. L’entreprise doit montrer
qu’elle est innocente, sachant que, d’entrée, elle ne sera pas
considérée comme telle. De plus, il se peut également que
l’entreprise et son dirigeant se croient sincèrement innocents
mais qu’en réalité, au fin fond d’une filiale étrangère, un délit
ait bien été commis. Le dirigeant se voit dès lors dans
l’obligation de démontrer son innocence tout en veillant à ce que
ses paroles ne puissent se retourner contre lui, ce qui serait
ajouter le mensonge à la faute. Devant une crise liée à la
corruption, le dirigeant d’entreprise doit donc faire face à une
accusation qui le met personnellement en cause, qui décrédibilise
la légitimité de son explication et dont il apprécie mal
l’ampleur, voire la simple réalité de la cause.
3. Gérer une crise avec intégrité, rigueur et responsabilité
Face à une crise engendrée par une question de corruption, la
meilleure stratégie réside moins dans la ou les réponses qui
seront apportées que dans la façon dont la crise sera gérée. Les
médias, les actionnaires, les clients et d’une certaine façon la
justice, attacheront une importance prééminente au caractère
d’intégrité, de rigueur et de responsabilité dont l’entreprise et
son dirigeant auront fait preuve dans la gestion de la crise seuls
moyens de rétablir sa légitimité, voire son innocence.
Gérer la crise avec intégrité
La crise doit d’abord être gérée avec intégrité car la
corruption met en question l’honnêteté de toute l’entreprise. En
faisant preuve d’intégrité dans la gestion d’une telle crise, le
dirigeant mettra en évidence le caractère exceptionnel de cet
accident. Il le détachera de la vie habituelle de l’entreprise. A
l’inverse, en jouant avec la vérité, ou simplement en laissant
croire, intentionnellement ou par inadvertance, que toute la
vérité n’est pas dite, il aggravera la situation tant à l’égard
d’une éventuelle enquête judiciaire que de l’image de
l’entreprise.
Gérer la crise avec rigueur
La crise doit ensuite être gérée avec rigueur. Comme un incendie
évolue au gré du vent, une crise évolue au gré des rumeurs et des
événements externes. Elle peut donner lieu à une exploitation
incontrôlée et partisane, répondant à des enjeux qui ne sont pas
ceux de l’entreprise mais qui sont dictés au mieux par
l’actualité, au pire par des groupes de pressions qui y trouvent
leur intérêt. Le dirigeant d’entreprise doit dès lors faire montre
d’une grande rigueur pour contrôler, autant que faire se peut, le
cours des événements. Il doit chercher à en maîtriser les
conséquences inutiles sur les collaborateurs et l’entreprise et
viser à en atténuer l’impact sur l’environnement social et humain.
Gérer la crise avec sens des responsablités
Enfin la crise doit être gérée avec un sens aigu des
responsabilités.
Qu’en est-il de la réalité de l’accusation ? Est-elle légitime ?
Si oui quelle est son ampleur ? Que révèle-t-elle des failles du
fonctionnement de l’entreprise ? Quelles réponses y apporter ?
Dans quel délai ? Et enfin, s’il y a faute, il doit y avoir
sanction, celle de la justice éventuellement, celle de
l’entreprise nécessairement. Malgré tout, la colère ne doit jamais
l’emporter sur la raison, ni l’arbitraire sur l’équité. Qu’en
est-il de la responsabilité individuelle, de la responsabilité
collective ? Mais la crise peut aussi éclater sans qu’il y ait
délit de corruption, simplement parce qu’une rumeur est orchestrée
de l’extérieur pour déstabiliser l’entreprise à un moment crucial
de son développement : cession ou acquisition, mise en place d’un
consortium, réponse à un appel d’offres. Lors d’une crise liée à
la corruption, le sens des responsabilités d’un dirigeant et sa
capacité de jugement sont mis à rude épreuve. 4. Anticiper la
crise, un moyen efficace de prévenir la corruption La gestion de
ce type de crise est donc un moment de grande intensité dans la
vie de l’entreprise. Mais ce n’est pas parce que la pression est
forte que la gestion de la crise doit être complexe. Au contraire,
face à la crise, les meilleures réactions sont celles qui font
appel au bon sens plutôt qu’à la théorie, aux réflexes spontanés
plutôt qu’au calcul, aux qualités humaines plutôt
qu’intellectuelles. Or, le stress lié à la crise inhibe toutes ces
facultés, déforme la perception de la réalité et affecte les
facultés de jugement. Mutatis mutandis, gérer une crise liée à
la corruption implique des qualités de réflexion, de
décision et d’action. De la même façon, cela suppose de s’y
préparer, en étudiant les modalités d’occurrences possibles, en
préparant les outils d’intervention et en s’entraînant à y faire
face.
Tout autant qu’il est de la responsabilité du chef d’entreprise de
concevoir et mettre en œuvre une stratégie de prévention de la
corruption, il est également de sa responsabilité de préparer
l’entreprise et ses cadres à gérer une éventuelle crise avec
intégrité, rigueur et sens des responsabilités.
L’expérience montre en outre qu’il n’y a pas de meilleure façon de
sensibiliser les cadres et les dirigeants de filiales à
l’importance d’une mise en œuvre d’une politique de prévention de
la corruption… que de les faire participer à des exercices de
gestion de crise liée à la corruption. En touchant du doigt la
réalité des problèmes engendrés par un cas virtuel de corruption,
ils en mesurent d’autant mieux la nécessité impérieuse de
l’éviter.
Philippe Montigny,
Président de l’agence de certification anti-corruption, ETHIC-Intelligence
Président du Groupe de travail du Conseil Français des
Investisseurs en Afrique (CIAN) sur la prévention de la corruption
Auteur de L’entreprise face à la corruption internationale, 771
pages, Ellipses 2006
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