L’événement se passe le 13 décembre 2006, sidérant. Peu
après 20H, la RTBF interrompait brusquement ses émissions pour
annoncer l'indépendance de la Flandre, scénario choc appuyé par
une mise en scène particulièrement alambiqué d’un docu-fiction
paré des couleurs de l’information. Cette expérience grandeur
réelle de l’impensable est analysée adroitement par 14
spécialistes * dans le livre « Le vrai-faux journal de la RTBF ».
Le livre se présente comme une étude d’un cas unique dans
l’histoire médiatique récente. Avant toute chose, rangeons dans
nos placards toute idée de belgitude dans cet ouvrage : comme
souvent, l’universel se trouve dans le particulier, c’est ici le
cas.
L’ouvrage commence par une analyse factuelle nécessaire à la
démarche et à la compréhension de l’événement avec un découpage au
laser des différentes séquences (sujets, duplexes, interviews),
chacune analysée à leur tour, dans un style qui sans céder un
quelconque terrain à la démarche scientifique, permet de se saisir
de l’instant. Mais très rapidement se posent les questions de fond
auxquelles répondent prudemment les auteurs : imbrication du réel
et de la fiction, les problématiques de médiation, les enjeux
journalistiques et déontologiques, l’éducation aux médias, les
enjeux politiques.
Nous avons apprécié, entres autres, la contribution de Philippe
Marion sur l’hybridation et la transgression des genres avec un
point de vue éclairé sur la différenciation entre authenticité,
vérité et réalité : associé aux codes télévisuels (breaking news),
l’inimaginable peut devenir réalité à partir du moment où celui-ci
est recevable par le corps social, lorsqu’il se situe à la
frontière du seuil d’acceptabilité. Pierre Vercauteren s’interroge
sur la dépendance mutuelle entre politiques et médias et
l’équilibre des pouvoirs qui s’installe dans une relation
tripartite dans lequel le citoyen semble réduit la plupart du
temps dans un rôle passif, même si l’auteur refuse de conclure
pour nous interroger « dans ce cadre démocratique, qui
équilibre le pouvoir des médias ? ».
Nonobstant le cas qui nous préoccupe, Axel Gryspeerdt s’intéresse
à la gestion de crise par la RTBF qui a du faire face à l’ampleur
de réactions pourtant prévisibles. Enfin, Patrick Verviers met en
doute l’affirmation que la seule éducation aux médias aurait pu
éviter à nombre de personnes de tomber dans le piège : ce serait
nier les origines sociales et politiques de cette expérience
médiatique tout comme le format télévisuel « hors norme » utilisé
pour l’opération ; et de rappeler qu’il n’y a pas de JT sans
fiction.
Cependant, un petit bémol vient crédibiliser l’ensemble de
l’ouvrage : nous n’avons pas compris la trop grande précision de
l’intrusion helvétique sur « La place du Conseil de la Presse dans
la régulation du journalisme en Suisse » : si le propos est utile
dans la réflexion sur les droits et devoirs de la presse, les
références aux articles de la législation helvétique alourdissent
la lecture.
Mais avant de conclure, arrêtons-nous sur un passage de Benoît
Grevisse qui donne le ton de cet ouvrage cohérent malgré ses
nombreux auteurs « Une des grandes caractéristiques, et
peut-être faiblesses, des pratiques journalistiques, comme de
leurs analyses, est sans doute l’immédiateté et donc le manque de
perspective historique, voir intellectuel. Cela n’exclut pas la
puissance ou la fulgurance des réflexions. Au contraire, ce
déficit les provoque peut-être d’ailleurs, disqualifiant d’autres
formes de raisonnement. »
Abordable, ce livre se destine aux enseignants, analystes,
journalistes, communicants et politiques, bien sûr, mais également
à tous ceux, citoyens, à qui s’adressent les médias télévisés. A
lire avant que d’autres OVNI médiatiques – moins bien intentionnés
– ne viennent envahir nos écrans.
D.H.
* "Le vrai-faux journal de la RTBF - Les réalités de
l'information"
Livre réalisé sous la direction de Marc Lits de l’Observatoire
du récit médiatique, publié par
Couleur Livres (Belgique) - 19€50
Les auteurs du livre : Frédéric Antoine,
Bernard Cools, Daniel Cornu, Gérard Derèze, Thierry De Smedt,
Benoît Grevisse, Axel Gryspeerdt, Jean-Jacques Jespers, Marc Lits,
Philippe Marion, Sarah Sepulchre, Dave Sinardet, Pierre
Vercauteren, Patrick Verniers.
Magazine de la communication de crise et sensible.
© Tous droits réservés par les auteurs
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